- Un... un thé?
Raven replongea dans ses pensées. Oui, le thé. Cela remontait à presque un an depuis le jour où elle a trempé les lèvres dans sa dernière tasse, et c'était le jour même où Arès et elle avaient fait l'amour. Elle n'en avait plus jamais touché depuis, trop ébranlée à l'époque par sa première grossesse, puis par le désespoir de sa perte. Elle ne se souvenait presque plus de la douce saveur d'un thé aux myrtilles, ou alors le goût des petits gâteaux qui l'accompagnaient. Elle n,avait même pas mangé la moindre "cochonnerie" depuis sa grossesse. Pas de crème à glace, pas de chocolat, pas de fruits... elle s'était refusée à absolument tout, tout ce qui pouvait menacer la vie de son tout-petit grandissant en elle. Puis était venu la froideur d'Arès. Lorsqu'il est allé visiter Heilayne, il lui a dit qu'il l'aimait, et que même sa prêtresse si aimante, si fidèle, ne pourrait jamais la remplacer, peu importe la volonté qu'elle mettrait dans son entreprise, peu importe à quel point elle l'aimait, jusqu'où elle irait, il ne céderait pas. Arès ne l'aimait pas, et cette réflexion lui causait une telle douleur qu'elle n'arrivait pas à se reprendre en main. Elle tenta vainement de se souvenir du sourire de son amant, de ses baisers sur son cou, de ses caresses sur ses seins, de la chaleur de son corps contre le sien alors qu'il la prenait avec une douceur qu'il ne donnait qu'à elle, petite chose fragile et terrifiée devant un monde qu'elle avait tant envie de goûter, de connaître; le monde de l'amour, mais la tendresse avait totalement été effacée de sa mémoire, et l'amour avec lui. " L’amour n'est qu'une illusion... tôt ou tard, il va falloir que j'ouvre les yeux et que je fasse face à cette réalité, que je l'assume, que je la comprenne. Je pourrais lui donner tout ce qu'il désire, il n'aurait d'yeux que pour cette femme, pour cette comtesse. C'est ses enfants qu'il veut, pas ceux que je peux lui donner. Il se fout des miens, il s'en fout comme jamais. Il se fout de notre fils mort, il se foutra de notre fille, il ne la serra jamais dans ses bras, il ne l'aimera jamais."
-Oui… un thé serait probablement très agréable… murmura la jeune femme, regardant le plafond.
Et surtout détendre la souffrance qu’elle avait au fond du cœur, ce qui l’empêcherait de pleurer ici, devant tout ce monde. Elle pourrait prendre le thé dans un petit restaurant proche de son appartement avec Miya, puis peut-être pourrait-elle l’inviter chez elle, ou alors dans un bel hôtel où elles pourraient parler dans le calme et l’intimité de quatre murs, où personne ne les dérangerait. Elle lui confierait ses petits malheurs, et elle écouterait les siens, elles parleraient jusqu’à ce que leur sac soit vidé, que leur cœur soit enfin en paix. Et si Miya se retrouverait peut-être intéressée, peut-être pourraient-elles se câliner… oh, mais à quoi pensait-elle à ce moment!? Elle est grosse comme un ballon, pas vraiment jolie faute de maquillages, les yeux rougis d’avoir bien trop pleuré, comment pourrait-elle bien intéresser une bombe comme elle? Une femme si sexy, si sûre d’elle… et hétéro, de surcroît. Et pourquoi pensait-elle au sexe? Ah, oui, elle n’avait eu droit à aucune caresse depuis des lustres. Aucun homme ou femme ne l’avait approchée. Les hommes ne désiraient pas les femmes enceintes d’un autre, et les femmes… eh bien, rares étaient les lesbiennes qui s’assumaient, ces jours-ci. Lorsqu’une femme est aussi désirée que Miya, le regard des hommes devient monotone, mais pour elle qui avait gouté à ce même regard puis qui en est privée, c’était comme si on privait un enfant de l’attention de son entourage, c’était un douloureux déchirement. La belle, la sublime, la douce, la lumineuse Magic, cette fille qu’Arès seul appelait Raven, n’était plus. Les hommes ne la désiraient pas, les femmes l’ignoraient, elle était seule. Seule avec cette toute-petite dans son ventre, et une toute nouvelle amie pour lui tenir compagnie. Mais les chances que Miya puisse vouloir être l’amie d’une idiote dans son genre étaient plutôt maigres, et en fait, elle ne savait même pas si elle serait capable de se détacher d’elle le moment venu, ce moment où elle devrait partir pour rentrer chez son dieu, et laisser sa fille quitter son antre, avant de s’éteindre, faute de désir de vouloir vivre sans son amour. Si la vie était moins injuste, elle aurait voulu rencontrer un autre Arès, mais un mortel, cette fois. Un mortel qui l’aimerait jusqu’à son dernier souffle, un mortel qu’elle irait rejoindre dans les enfers pour être avec lui à jamais… un mortel qui lui aurait demandé sa main.
-Et qui m’aurait fait de beaux enfants… murmura-t-elle alors que Miya avait reprit la parole.
Elle sursauta.
-Oh, pardon, je suis désolée… ces derniers temps, je suis sujette aux absences et je passe mon temps à réfléchir. –elle se toqua légèrement la tête du poing, puis elle répondit gentiment à la jeune femme- Non, ce n’était pas une histoire d’un soir, mais Arès ne m’a jamais aimée. Il en aimait une autre. Elle était très jolie, et elle méritait d’être ainsi aimée, et donc, j’en ai toujours été un peu -elle ria- non, pardon, très jalouse…
Elle prit une grande inspiration et s'essuya les larmes de plaisir qui avaient coulé de ses yeux. Pour une fois, elle était enfin détendue... et auprès d'une femme disposée à l'écouter.
- Et de là où je viens, elle est très bien placée. C’est une femme influente, qui a beaucoup de caractère… et qui a su faire abstraction de ses sentiments pour Arès pour goûter au plaisir de vivre… ce que je n’ai pas fait. En fait, moi, je me suis contenté de pourrir celle de l’homme que j’aimais avec mes pleurnichages de gamine, puis avec ma dépendance affective… en dernier recours, pour ne pas avoir fait de mes efforts vaines tentatives, j’ai conçu. En échange de son absence d’amour, il m’a fait un enfant. Seul l’avenir dira si je parviendrai à le mettre au monde ou si je mourrai avant.
Elle regarda Miya et esquissa un petit sourire admiratif.
-En fait, je crois plutôt que les femmes que mon maîter apprécie... sont celle de votre beauté, mais aussi sans coeur que lui, qui ne recherche que le plaisir charnel, et non pas une relation amoureuse à long terme ^^'
Elle avait tout dit avec une légèreté déconcertante. Tantôt triste, tantôt fâchée, tantôt joyeuse, elle était vraiment lunatique, cette elfe immortelle.