" Chez Walter, échoppe de magie" [PV]

" Chez Walter, échoppe de magie"

Depuis la mort de son mentor, un jeune apprenti magicien tenait boutique dans une ancienne bâtisse miteuse des bas fonds de Terra. Une demeure à la façade de pierre blanche, recouverte par la poussière, le toit en ardoise menaçait de s’effondrer. Bref, un ancien manoir aristocratique à l’abandon et aussi une tanière discrète pour un magicien en fuite. Au dessus de la grande porte en bois, on pouvait trouver une sorte d’enseigne, on pouvait y lire :

« Marchandises, sorts et artefacts magiques ».

Une autre enseigne sur le coté, elle disait :

« Attention au chien ».

La porte demeurait ouverte en permanence. Dans le patio ou plutôt une sorte de patio improvisée, une petite entrée où le parquet était craquelé et aux tapisseries usées, une sorte de gros chien noir montait la garde…La créature semblait bizarre, il lui manquait quelques poils, les yeux étaient rouges et injectés de sang. Les magiciens et les sorcières pouvaient deviner aisément que la créature n'était pas vivante. Un chien mort-vivant en quelque sorte. En fait, le chien donnait le ton…Amis et clients, entrez, vous êtes les bienvenues. Chasseurs de mages, sortez ou vous finirez sous les crocs de Hubert le chien fou. Charmante entrée en matière, non ? Un peu plus loin, une autre pièce, la salle principale, le laboratoire. Une salle rectangulaire, aux murs de pierre, une grande cheminée sur le mur du fond, une marmite, un bureau et quelques étagères. Sur le bureau, une liste d’articles. Derrière le bureau, un magicien encapuchonné. Le visage dissimulé dans sa cape, l’homme tenait un sceptre dans une main et était penché au dessus d’un chaudron.

- Encore une petite dose d’ellébore… Et cela devrait faire l’affaire.

Walter pratiquait l’art subtil des potions et tentait de créer une sorte de philtre pour une riche dame de l’aristocratie. Une sorte de philtre d’amour et d’attirance. Une marchandise courante, peu couteuse et très demandée par ces hautes dames. La baronne lui avait parlé d'une sorte de duc à séduire, le magicien s'en moquait un peu...La bourse d'or comptait bien plus. Il tourna une grande louche dans la marmite, dans le sens des aiguilles d'une montre et ajouta un autre ingrédient.

- Un soupçon de mandragore ne devrait que renforcer l'effet du philtre. Conclut il.

Il parlait tout seul sans prêter attention à la cloche qui venait de tinter. Un client venait d'entrer dans la boutique miteuse. Un simple badauds ? Un passant curieux ? Un client désirant consulter son avenir dans une boule de cristal, acheter un sort ou encore un parchemin ? L'alchimiste n'allait pas tarder à le savoir...

Cathleen fuyait depuis des jours, poursuivie par l'ordre qui l'avait élevée. Et s'il y avait bien quelque chose à quoi elle n'arrivait pas à se faire, c'était d'être seule. Elle avait bien fait quelques rencontres, mais toujours éphémères... L'irlandaise refusait de s'attacher à qui que ce soit : des années durant, elle n'avait vécu que pour son frère, et à présent, elle se retrouvait séparée de lui : sa plus terrible épreuve, bien pire au final que la morsure du vampire qui lui avait fait retrouver les souvenirs de cette morbide soirée...

Aujourd'hui, elle avait été à deux doigts de se faire attraper ; les prêtres de l'Enklaster ne l'avait pas reconnue, elle en était persuadée ; Cathleen avait suffisamment altéré son apparence pour cela ! Et que Mère ne s'en offusque pas, dans l'au-delà, car c'était vital... Le souvenir arracha presque un sourire à la jeune femme : elle avait mis du crayon sur ses ongles pour faire comme certaines personnes qu'elle avait vues dans la rue ; Mère en avait été horrifiée... Qu'aurait-elle dit en voyant sa rousse petite fille à présent brune ?

Mais Cathleen n'avait pas le temps de se préoccuper de cela. Car si elle pensait trop à sa mère, nul doute que son esprit finirait par lui imposer cette terrible vision, où Mère hurle, la gorge ouverte, dans un gargouillement horrible... L'irlandaise secoue la tête pour chasser le souvenir.

L'après-midi est déjà bien avancée, elle devrait penser à trouver une auberge pour la nuit à venir. Un endroit pas trop fréquenter, pour changer ; la foule commence à lui donner des migraines. Pourtant, il y a une boutique ouverte qui l'attire étrangement. Elle voit l'écriteau : "Marchandises, sorts, et artefacts magiques." Et la prestidigitatrice en elle frissonne : Saint Dieu ! Elle a besoin de revenir un peu à son monde ! Cette fuite l'épuise, et si un peu de détente la tue, au moins mourra-t-elle heureuse ! Sans hésiter, elle entre.

Bien sûr, Cathleen est impressionnée par le gros chien noir, et elle l'évita soigneusement. Et finalement, quand elle le quitta des yeux, c'était pour constater que ce n'était pas comme la petite boutique de magie où elle avait l'habitude d'aller. Ici, point je jeux de cartes truqués, de chiffons colorés ou de hauts de forme avec une place pour le lapin. C'était intrigant. Le plus bizarre, c'est que Cathleen Bakaar, prestidigitatrice de son état, mais véritable magicienne qui s'ignore, se sentait bien ici. Elle observe les produits en vente, et finit par voir la liste des sorts disponibles à la vente...

Par tous les Dieux ! Elle veut y croire ! Et si la personne chargée de faire les sorts pouvait lui en faire un pour retrouver son frère ? Cathleen regarda autour d'elle et osa demander :

- Excusez-moi... Il y a quelqu'un ?

Le philtre d’amour était bientôt prêt…Une odeur caractéristique, douce et suave, proche de la l’odeur d’une rose, s’élevait dans l’atmosphère du laboratoire de l’apprenti magicien. La potion avait pris une teinte rosée et une légère fumée se dégageait de la marmite. Walter  se dirigea rapidement vers le bureau, pris des flacons et les remplit de cette mixture. Il versa le philtre délicatement et avec minutie, il put, en tout, faire six flacons. Une vraie mine d’or et un bon revenu, une bourse d’or pas flacons, il allait faire un sacré bénéfice aujourd’hui. Alors, le jeune homme entendit une voix.

- Excusez-moi... Il y a quelqu'un ?

- Un instant, je vous prie…

Walter déposa les flacons sur le bureau puis les ferma hermétiquement à l’aide de bouchons en liège. De sous le bureau, il sortit une sorte de gros grimoires…Un livre de compte en fait. Il sortit une plume, une bouteille d’encre, trempa cette dernière dans le liquide noire et inscrivit les philtres sur une page, un chiffre sur une autre. Le magicien tenait parfaitement ses comptes pour éviter la banque route.

- Je suis à vous dans quelques minutes.

Ce travail administratif terminé, il posa de coté la plume et se dirigea vers l'entrée de la boutique et vers les étagères où une cliente semblait attendre. Il détailla cette dernière...Charmante jeune femme, brune, peau pale, ongle sale mais pas assez sale pour être une femme de la populace pauvre des bas fonds de Terra. Nan, nan...plutôt une personne en fuite ou une personne tentant juste de dissimuler quelque chose. Traitres, assassins, meurtriers en fuite et escrocs ne manquaient pas sur Terra. Le magicien et alchimiste se figea net. Une chose l’empêcha de prononcer quelconque paroles. Une sensation étrange venait de s’emparer de son corps. Quelque chose troublait son esprit…Une essence, une essence qu’il connaissait bien : la magie. Une magicienne ? Ici, dans son échoppe ? Nan, cela ne se pouvait ? Décidément, cette journée était dès plus intéressante.

- Que puis je pour vous, mademoiselle ?

Il marqua une pause puis ajouta d’une voix toujours avenante.

- Je peux lire l’avenir, lire vos lignes de la main et voir quand l’amour arrivera. Je peux aussi tirer les cartes, voir si l’amour et le bateleur sortiront du paquet. Je dispose de sortilèges et de parchemins magiques en tous genres….Bruler les parties génitales d’un époux ou copain volage est une chose aisée..Dites et j’exécute.

Le magicien croisa les bras.

- Mais je ne penses pas q'une personne comme vous, "aussi spéciale", sois là pour de vulgaire sort. Non ?

Cathleen reposa une drôle de statuette en ivoire qu'elle examinait, et se tourna vers la personne qui apparut dans la boutique. Le responsable, visiblement. Elle eut un léger sourire à son intention, nullement impressionnée par sa chevelure ou ses yeux aux teintes hors du commun. Les yeux de l'irlandaise se posèrent sur d'autres articles tandis qu'il parlait et qu'elle se rapprochait du comptoir derrière lequel il se tenait.

Il aurait été intéressant de connaître son avenir, bien entendu, et c'était même une proposition très tentante, ne serait-ce que pour savoir si elle allait rapidement revoir son frère, Alastor. Pourtant, Cathleen était persuadée qu'à partir du moment où l'on était au courant de quelque chose d'aussi important, on pouvait altérer les événements au point qu'ils changent. Pourtant, il eut des paroles étranges... Cathleen pencha la tête sur le côté, réellement intriguée, peut-être un brin naïve...

- Que voulez-vous dire, par "quelqu'un d'aussi spéciale que moi" ?

A moins qu'il ne parlait de sa réputation ? La jeune femme était plutôt connue, comme prestidigitatrice... Alors ainsi, il l'avait reconnue ? L'irlandaise sembla soudain gênée à cette idée : si un simple marchand pouvait reconnaître Cathleen Bakaar, l'hérétique en fuite... Elle n'osa pas aller jusqu'au bout de son idée.

- Je ne fais que des tours de cartes, vous savez, rien de plus...

Sorti de nul part, Cathleen ouvrit un paquet de cartes neuf, mit les cartes en éventail, et quand elle les ramena habilement en un tas parfait, son mouvement de poignet donna l'illusion qu'il disparut au profit d'un paquet à nouveau scellé. Elle haussa les épaules et eut un léger sourire : l'un de ses tour préféré.

- Vos voyez ? Je ne fais pas de potions magiques, juste... des tours de cartes. Je ne suis pas si exceptionnelle que vous semblez le croire...

-  Que voulez-vous dire, par "quelqu'un d'aussi spéciale que moi" ?

La réponse était un peu naïve mais, ô combien révélatrice ! Ainsi, personne n’avait soin de mettre au courant cette jeune sur ce petit détail…On ne lui avait peut être pas dit pour la protéger, la magie n’étant pas forcément bien vus dans certaines régions de ce monde. Ou, tout simplement, les géniteurs ignoraient cela. Les personnes capables de détecter la magie dans le corps d'une personne vivante ne couraient pas vraiment les rues. Le magicien écoutait avec une certaine attention le discours de la jeune femme et se disait que la vie était dès plus perverses. Il venait, à peine, de terminer sa formation de magicien, il venait de perdre son maitre et il rencontrait une magicienne future...au moment où il lui manquait un apprenti pour faire tourner ses affaires. Intéressant.

- Je ne fais que des tours de cartes, vous savez, rien de plus...

Rapidement, la jeune femme sortit un jeu de cartes et lui fait un petit tour…un simple de tour de passe-passe, rien de bien surprenant et dès le commencement du tour, Walter avait déjà compris le résultat du tour et la manière dont il fonctionnait. Pour lui, ce genre de magie était surtout de l’agilité, rien de plus. En fait, les prestidigitateurs étaient surtout proche des pickpockets et autres escrocs mais le jeune homme s’abstint de tout commentaire. Pour une fois qu’il avait une visite vraiment intéressante dans son échoppe. Le marchand soupira et secoua la tête. 

-  Vos voyez ? Je ne fais pas de potions magiques, juste... des tours de cartes. Je ne suis pas si exceptionnelle que vous semblez le croire..

Walter contourna le comptoir et se rapprocha de la jeune femme.

- Mademoiselle, sauf le respect que je vous dois, je n'ai pas dit...que vous étiez "exceptionnelle". Votre tour était dès plus simple et n'amuserais guère plus qu'un enfant ou un junkie en manque de son opium...

Il ajouta :

- Comme moi.

Il marqua une petite pause.

- Mais vous avez un petit plus, une chose spéciale, par rapport à la masse vulgaire et anodine de gens de ce monde. Bien sur, personne ne vous à mis au courant de ce genre de petit détail. Vous avez de la magie qui coule dans vos veines...

Il conclut.

-Il ne vous est jamais arrivé quelques petites choses étranges, je ne sais pas, dans le genre, faire du mal à quelqu'un, lancer un sort de ces mains sans le vouloir ou ce genre de maladresses. Bien entendu, je pourrais comprendre que vous ne me croyez pas.

Les paroles de Walter étaient intrigantes, vraiment. Cathleen n'avait jusque là jamais cru en la magie véritable ; les rares fois où elle avait pu être témoin de ce genre de forces, elles n'étaient utilisées que pour faire le mal. Savoir qu'elle possédait ce genre de potentiel destructeur l'effraya soudain. C'était insensé ! Cathleen était incapable de faire du mal à qui que ce soit ! Elle regarda ses mains, et elle entendit le battement de son coeur emplir ses oreilles. Et puis elle secoua la tête, et regarda Walter dans les yeux.

- Vous devez faire erreur, Messire. Je ne remets en doute votre savoir où vos connaissances en magie véritable ; mais je peux pas... Je n'ai jamais...

Cathleen était terrifiée par ce pouvoir qu'on venait de lui révéler, presque autant que par les Frères de l'Inquisition qui lui couraient après parce qu'ils pensaient qu'elle était un vampire. L'irlandaise ne savait pas quoi faire, et elle fourra ses mains tremblantes dans ses poches.

Pourtant, quelque chose lui revint en mémoire. Sa mère avait insisté pour qu'elle apprenne l'irlandais et l'anglais. Il y avait bien eu une fois, quelques heures seulement avant le soir fatidique, où elle ne trouvait pas un crayon bleu pour son dessin. Elle ignorait comment, mais le crayon qu'elle tenait avait changé de couleur. Elle avait seulement pensé au bleu, en anglais, et elle avait prononcé un seul mot. Il avait sonné bizarre à son oreille, mais l'important, à l'époque, c'était d'avoir un crayon bleu.

Le souvenir s'était imposé à son esprit, comme en réponse à la question de Walter. C'était étrange. Cathleen essaya d'occulter la suite du souvenir de cette journée où elle avait tout perdu, sauf l'un de ses frères. Elle inspira profondément et regarda le marchand, le trouble voilant son regard émeraude.

- J'ignore comment ça marche. Ca a bien du arriver une fois ou deux.

L'irlandaise avait peur, et ça se voyait. Et si, après tout, l'Enklaster Aferus avait fini par découvrir qu'elle ne faisait pas que des tours de passe passe ? Et si cette morsure de vampire n'était qu'un prétexte pour en fait éradiquer cette magie qui voulait dans ses veines ? Cathleen joignit les mains :

- S'il vous plaît. Apprenez-moi à cacher cette chose. Je ne veux pas... Je ne peux pas faire de mal à qui que ce soit.