Vous croyez connaître mon histoire ? Que je suis ce petit Chaperon Rouge qu’on sert aux enfants pour leur apprendre la prudence ? Ha ! Non. Je ne suis pas cette fillette sage. Je suis le Chaperon qui rôde, qui sent, qui devine. Et je choisis mes proies avec soin.
Les humains… fragiles, prévisibles, trop pleins de peur ou de morale. Leur énergie est douce, presque fade. Ils tremblent trop vite, se consument trop tôt. Le jeu est court, souvent ennuyeux.
Les vampires… délicieux, froids comme la lune, imprévisibles mais trop conscients d’eux-mêmes. Jouer avec eux est un exercice d’équilibre subtil. Trop de contrôle. Je les admire, je les goûte, mais ils ne m’excitent pas. Ils sont des énigmes froides que je ne veux pas assembler.
Les lycans… ah, les lycans ! Chaleur, urgence, imprévisibilité. Chaque respiration me parle, chaque battement de cœur résonne dans mes veines. Leur énergie brute vibre dans l’air comme un parfum invisible. Je sens leur désir, leur peur, leur curiosité. Un lycan n’est jamais loin de sa nature. Il me regarde, se méfie, s’agite, et moi… je souris, je m’approche, je m’aligne.
Tout cela, je l’ai appris avant même de sentir ma faim pour eux. Ma grand-mère… pas la vieille dame impotente des contes. Un esprit des bois, un feu dans ses yeux et dans ses mains. Elle m’a appris le silence, la patience, l’art de la morsure cachée sous le sourire. Chaque regard, chaque geste, chaque souffle pouvait devenir un enseignement.
Et le chasseur, lui… mon premier maître. Il m’a appris à lire la forêt, à pister, à respirer avec le vent, à traquer sans troubler le bruissement d’une feuille. Chaque battement de cœur, chaque empreinte devenait une invitation. Une danse. Une promesse.
Rares sont les fois où je ne prends pas toute l’énergie vitale d’une proie. Mais quand je le fais, l’expérience est précise. Le souffle qui s’accélère, les pupilles qui dilatent, les muscles qui tremblent sans savoir pourquoi. Et si le cœur cède, s’il oublie de respirer, c’est que l’instant l’a happé. Je ne tue pas pour le plaisir. Je vide, je goûte, je sens l’âme vibrer dans la chair et le sang.
Il y a quelques nuits, un jeune lycan, fringant et trop sûr de lui, est passé sur ma route. Je me suis glissée dans sa traque comme une brise noire, me collant à son odeur et à ses pensées. Subtilement, j’ai bu sans qu’il s’en rende compte, sentant son énergie fléchir, ses jambes faiblir malgré sa volonté. Il a titubé, surpris, fasciné et terrifié. Il a survécu. C’est ce qu’ils craignent tous : perdre le contrôle face à moi.
Depuis quelques semaines, la forêt dormait. Pas de hurlement, pas de disparition. Silence après la tempête. Moi aussi, je sommeillais — lovée dans une clairière, peau moite, langue engourdie par le manque. Quand j’ouvris les yeux ce soir-là, la lune était haute, insolente et ronde. Un souffle nouveau passa dans les branches, portant une odeur étrangère. Chaude. Sauvage. Terre et pluie, poils mouillés et cœur battant.
Je me redresse. La sève chante, les insectes s’arrêtent, les feuilles s’écartent presque d’elles-mêmes. Et l’odeur revient, précise, vibrante. Une odeur d’homme. Non… autre chose. Indompté, animal, ancien.
Un frisson court le long de ma nuque jusqu’au creux de mes reins, réveillant une faim assoupie. Cela faisait longtemps qu’une proie ne m’avait pas appelée ainsi, sans le savoir. Longtemps qu’un parfum n’avait pas remué cette curiosité brûlante, cette envie de goûter avant même d'user de tous mes charmes.
Je m’accroupis, glissant mes doigts sur le sol humide, suivant la trace invisible du vent. Mon cœur bat plus fort, régulier, presque félin. Excitation grisante. Dans le lointain, un pas. Deux. Une branche craque.
Je ferme les yeux. Le monde se fige. Et dans l’obscurité parfumée de sève et de terre, je murmure avec un sourire carnassier :
"Intéressant… très intéressant."
Le lycan avance, inconscient qu’il marche déjà dans mon conte. Et moi, sous ma cape rouge comme un avertissement, je m’éveille. La proie et la chasseuse vont danser.
Je tends mes sens, suivant le parfum qui se distingue peu à peu. Chaud, sauvage, métallique, étrange. Quelque chose dans sa présence… un battement de cœur, un frisson qui danse avant même que je ne l’aperçoive.
Je glisse entre les arbres comme une ombre, silencieuse mais consciente de chaque bruit, chaque respiration, chaque odeur. Et là, entre deux troncs, je le vois. Ma cible. Ses yeux sont attentifs, sa carrure tendue, mais… quelque chose vacille. Une étincelle dans son regard, une nervosité que je sens comme un appel.
Un sourire se dessine sur mes lèvres. Adrénaline électrique. Il n’est pas comme les autres. Sa force est brute, mais sa vigilance révèle curiosité et désir. Oh, il résistera… un moment. Mais moi, je sais comment jouer avec le temps et l’énergie qui palpite en lui.
Je m’approche doucement, presque en lévitation sur le sol humide. Chaque pas laisse derrière moi un parfum subtil, caressant ses sens avant même que mes doigts ne frôlent sa peau. Son rythme cardiaque s’accélère, son souffle devient court, son esprit s’agite dans un mélange de peur et de fascination.
Mes yeux plongent dans les siens. Sans qu'il ne me voit. Je ne parle pas. Je sens son énergie vibrer, comme un écho avec la mienne. À quelques mètres seulement, je sais qu’il ne fuira pas totalement. La curiosité le retient, le désir naissant le tient prisonnier d’une danse invisible que moi seule mène.
Je souris, carnassière, et murmure pour moi-même :
"Voilà… c’est toi que je cherchais."
Chaque muscle s’éveille, mes sens palpitent. La chasse ne sera pas la même ce soir. Il ne s’agit plus seulement de boire, de goûter, de vider. Non. Ce soir, je veux sentir sa résistance, le faire vaciller avec mes doigts, avec mes lèvres qui effleurent l’air autour de lui, avec ce lien invisible qui nous attire.
Et je sais, d’instinct, que cette fois, la proie et la chasseuse vont découvrir quelque chose de… différent. Brûlant et interdit. Que seuls les prédateurs connaissent vraiment.