Infatigable et immortel, le Pérégrin restait rarement longtemps au même endroit. Mais malgré ca, il arrivait que sa renommée le précède et s'étende à toute une région. Rumeurs et colportages parlent alors d'un beau jeune homme, à la jeunesse et à la vigueur éternelles, prêt à rendre visite et aider celles et ceux dans le besoin. Si ces histoires à dormir debout ne dépassent que rarement le stade de racontars, il arrive que certains les prennent au sérieux, désireux de s'allouer les services d'un allié potentiellement puissant.
Résultat, il arrivait souvent que Grayle fasse équipe, ou agisse en tant qu'émissaire, courrier, aventurier ou protecteur au service de personnes plus ou moins recommandable. S'il n'était pas amoral, Grayle n'était pas non plus un saint, et n'avait guère de problème à travailler avec quelques criminels, ou personnes à l'activité douteuse.
- Hum, encore quelques jours et je devrais en être sorti...
Grayle avait été chargé de transporter en toute urgence d'importants composants magiques. Onguents, huiles, mais aussi poudres issues de nombreuses plantes, utilisées pour dans de nombreuses formules : sérum de vérité, aphrodisiaques, potion de projection astrale, de stabilisation émotionnelles... enfermées dans des pots et fioles, les contenants étaient précieusement rangés dans un sac qu'il portait sur son dos. Son employeur lui avait formellement interdit de les ranger dans son sac sans fond, craignant quelque interférence magique.
" Il se passe quoi si ces produits sont consommés purs ? " avait demandé le pérégrin. La réponse l'avait quelque peu interloqué. " Folie furieuse, dépression maniaque, arrêt cardiaque... ces composants sont trop puissants pour être consommés sous cette forme par un humain.Ils tuent toute inhibition, et ont aussi d'effroyables effets aphrodisiaques. Mais vous n'êtes pas normal, alors... vous êtes le meilleur porteur "
En échange, Grayle avait obtenu un petit trésor : un laissez-passez de platine, lui garantissant libre-passage dans toutes les villes et régions des pays avoisinants. Voilà qui faciliterait sans aucun doute ses voyages... et en échange de quoi ? Une dizaine de jours de marche ? C'était presque trop facile.
Avançant à toute vitesse entre les arbres, le pérégrin regardait autour de lui avec vigilance. On lui avait conseillé de couper à travers la forêt, malgré la présence de terranides. Toutefois, il lui avait été assuré qu'il n'aurait rien à craindre d'eux.
" Il s'agit de réfugiés qui ont fui les esclavagistes avoisinants. Ils se cachent et vivent de petites rapines ou de vols. Il y a plus de chance qu'ils s'enfuient ou se cachent devant votre arrivée qu'autre chose ! "
Aussi, c'est avec assurance que Grayle s'était engagé sur ce territoire. Il n'en aurait que pour une solide journée à marche forcée, et ce raccourci lui permettrait de gagner 3 jours, par rapport à un détour qui l'aurait forcé à emprunter un chemin montagneux.
Mais le jeune immortel allait vite comprendre qu'il s'était fourvoyé. Car arrivé à mi-chemin de son périple, après avoir traversé une clairière, et alors que les frondaisons des arbres commençaient à cacher la lumière du soleil, un trio de terranides, d'apparence lupine et au pelage coloré, s'était approché de lui. Sans hostilité, Grayle les fixa, saisissant discrètement son bâton divin, accroché dans son dos. Capable de s'allonger jusqu'à des distances faramineuses, il s'agissait d'une de ses armes favorites, capable de le défendre sans tuer.
- Hé connard! Pose ton paquetage qu'on discute un peu!
- Fais-ce qu'il te dit mon chou, si tu ne veux pas qu'on te transperce le bide avec cette putain de lame que j'ai pour toi dans les pattes!
Grayle haussa un sourcil, fronçant l'autre. Il avait rarement vu des agresseurs avec autant d'assurance et de bravado. Aucune négociation, ni même de tromperie. Leur honnêteté était presque rafraichissante, si elle n'indiquait pas une mentalité de psychopathe dangereux. Il recula légèrement, essayant vainement de créer de la distance.
- Vous voulez pas qu'on en parle plutôt ? J'ai de l'argent si vous voulez, on a pas besoin d'en venir aux armes... répondit-il, essayant de négocier sa tranquillité, à défaut d'avoir une quelconque vie à protéger. Mais leur refus et leur clair besoin d'en découdre témoignait de leur inexpérience. Un vrai bandit de grand chemin serait ravi d'obtenir des biens sans effort, ni risque, mais ces trois-là, ne s'étaient montrés que dans un seul but : lui casser la gueule.
En clair... trois sombres connards.
Il soupira. Grayle n'aimait pas se battre. Enfin... si, plutôt. Mais les combats inutiles l'exaspéraient. Il réfléchissait, continuant de reculer, alors qu'ils se rapprochaient avec tranquilités, sûrs de leur victoire.
- Hahaha! Vas-y! Crève cette grosse charogne! De toutes façons, on a pas besoin qu'il soit en vie pour lui prendre tout ce qu'il a surement déjà piqué à d'autres pauvres terranides innocents! Dis? T'as violé combien de terranides mon sale gros porc, pour avoir tout ça sur toi?
- Aucune, j'ai pas besoin de violer pour me taper une terranide. Ta mère devrait le savoir, lâcha Grayle. Quitte à se faire agresser, il ne voyait aucune raison d'être poli, et jeter de l'huile sur le feu.
Le terranide le regarda avec fureur, la réplique le touchant au vif.
- Connard ! Je vais te saigner !
Le plus grand des hybrides, une créature grise aux muscles saillants, fendit l'air avec une large épée. Son compagnon noir bondit simultanément, dague en avant. Le troisième, plus petit mais plus agile, tournoyait autour du jeune homme, cherchant une ouverture.
Grayle fit tournoyer son bâton, qui s'allongea soudainement de cinquante centimètres, repoussant la lame du premier assaillant avant de le faire pivoter d'un mouvement fluide. Une fente, et le bout du bâton frappa l'articulation du genou, qui réagit avec un craquement horrible. L'hybride gris poussa un hurlement de douleur, sa jambe subitement instable. Avant qu'il ne puisse se reprendre, Grayle changea de prise et frappa violemment ses côtes d'un revers l'envoyant valser sur le côté.
Il avait été vif, mais pas assez. Le noir, qui avait chargé juste derrière le gris, percuta Grayle, enfonçant son poignard directement dans son ventre. Grayle poussa un hoquet, crachant du sang devant lui. L'hybride poussa un hurlement de victoire, avant de couiner lorsque Grayle le frappa d'un grand coup de tête, pulvérisant sa truffe. Le bandit grogna, vacilla, retirant son poignard pour frapper une seconde fois. Mais l'immortel, qui ne ressentait même pas la douleur du coup, fut le premier à réagir. Son bâton, devenu matraque, s'enfonca contre la gorge du terranide, lui coupant le souffle, en même temps qu'il lui assénait un grand coup de pied dans les valseuses, transformant ses grognements en couinements.
L'hybride gris, rageur et blessé, profita d'un infime moment d'inattention pour viser le bras de l'humain, frappant vers le bas dans un grand mouvement circulaire. Le coup fut si violent que l'os céda avec un craquement sinistre. Le bâton magique échappa un instant à la main de l'immortel, qui recula, momentanément déséquilibré, avant de riposter d'un coup de poing dans la glotte. Il rattrpa son baton dans un mouvement fluide, le fit se rallonger, et frappa le crâne du loup, juste avant de se faire plaquer contre un arbre par le troisième hybride, qui lui mordit l'épaule, avant de hurler lorsque Grayle lui enfonça son bâton dans l'oreille, l'agitant dans tous les sens, forçant son ennemi à se dégager.
- Connard !
- Fils de pute !
- Crève, charogne !
Les insultes fusaient entre chaque coup. Mais pour chaque blessure que Grayle encaissait, il frappait deux fois, avec sauvagerie et brutalité, allongeant et raccourcissant sans cesse son arme pour varier ses angles d'attaque, bougeant en permanence pour ne jamais être encerclé. Mais face à trois ennemis plus puissants que lui, il lui était impossible de lutter sans casse.
Après une paire de minutes, l'immortel était poisseux de sang, le sien, mais aussi celui de ses adversaires. Oeil tuméfié, truffe cassée, genoux brisé, côte fêlée... l'épaule droite du gris pendait, démise par un coup violent du bâton magique. Le noir présentait les stigmates les plus visibles. Son visage était tuméfié, une large plaie le traversant de la tempe à la mâchoire. Sa main droite, où l'os du poignet avait été brisé, pendait inerte. Des traces de sang noir maculaient sa fourrure, témoignant des coups portés. Le troisième, au pelage brun, avait aussi payé un lourd tribut au combat. Un coup de bâton lui avait ouvert le cuir chevelu, une plaie qui saignait abondamment, colorant sa fourrure de rouge sombre. Une profonde entaille lui barrait le flanc gauche, là où l'immortel l'avait cueilli avec l'extrémité du bâton, révélant sa chair et menaçant de s'infecter. L'une de ses oreilles était à moitié arrachée, pendant lamentablement contre son crâne, séquelle d'une parade violente.
Grayle était aussi dans un triste état. Le poignard du gris lui avait ouvert le flanc sur une dizaine de centimètres, traçant un sillon écarlate le long de sa cuisse. Son épaule droite était littéralement lacérée par la morsure de l'hybride brun, la chair déchiquetée laissant apparaître par endroits la masse musculaire et un fragment blanc d'os. Un coup de griffe lui avait ouvert le visage, de la tempe à la mâchoire, une blessure qui partait de son arcade sourcilière et traversait sa joue, révélant une plaie assez large pour qu'on puisse y voir la musculature. Du sang coulait constamment de cette blessure, déformant sa vision du côté droit.
Mais, petit à petit, ses blessures se refermaient, au point qu'après plusieurs minutes, il évoluait sans séquelle, sa respiration claire et maîtrisée, là où les agresseurs commençaient à ahaner, réalisant que leur adversaire n'avait rien de normal, et que ce combat était plus risqué qu'ils ne le pensaient.
- Bah alors les grandes gueules, on ne la ramène plus ? rugit Grayle, l'oeil injecté de sang, un sourire carnassier déformant son visage. Il jouissait de leur visage inquiet, leur hésitation, malgré le fait qu'il serait mort depuis longtemps s'il était un humain normal. Une autre attaque, plus lente, plus engourdie. Ils se fatiguent. Pas lui. Il se décale sur le côté, projette son baton sur le pied de l'hybride, avant de le remonter brutalement vers le haut, brisant la machoire inférieure du loup dans une giclée de sang.
Mais le noir, dans un assaut féroce, attaque lui aussi. Il frappa violemment l'immortel, qui fit une dramatique erreur. Le cuir de son sac se fendit sous le coup d'épée, et les fioles de verre éclatèrent avant de se briser avec un tintement cristallin. Une fine poussière ambrée s'éleva dans l'air, dansant entre les rayons de lumière qui filtraient à travers le feuillage. Grayle poussa un juron, une colère sourde l'envahissant avec une force incontrôlable.
- ENCULE !
Il leva ses bras, frappant le terranide au visage, le projetant au sol. La poussière flottait dans l'air, s'incrustant contre la peau du pérégrin, absorbée à chaque inspiration, décuplant sa colère et sa vitalité à un degré effroyable, alors qu'il s'écharnait contre le terranide, le rouant de coup sous les regards interdits -et proprement terrifiés- des deux autres agresseurs.
Pendant ce temps, les fioles brisées continuaient de répandre leur contenu, transformant progressivement le sol forestier en un piège chimique subtil dont seul l'immortel semblait affecté...