Jusqu'à ce moment, tout était parfait. Mais il y avait quelque chose de confidentiel chez Frig. Un seul sujet de conversation. Son addiction à l'opium, ou plutôt à la morphine qu'il contient. Ses parents avaient l'habitude de lui administrer de la morphine avant de prendre l'avion, l'enfermement lui donnant d'affreux maux de têtes, et ce depuis toute petite. Inconscients... Parents indignes... Ceci s'appelle « entrainer sa chère et tendre fille vers une fin douloureuse et honteuse ». Un couple de neurochirurgiens qui ont donné à une fille toxicomane une drogue pour lui éviter la souffrance, qu'elle soit mentale ou physique, en somme.
Adelheid savait tout de suite que quelque chose n'allait pas, quand Watari lui dit qu'il devait lui parler de quelque chose. Elle appréhendait, s'imaginant tout et n'importe quoi, mais jamais elle n'aurait imaginée qu'il ose faire allusion au laudanum. Et il a osé... bien évidemment. Dans un mélange de panique et d'indignation, elle se retira légèrement de son étreinte. Que dire, que faire, mentir, ou tout dire... dilemme. Ce n'est jamais facile de parler de trucs comme ça, surtout quand on garde ce « secret » (ce n'en était plus un, maintenant...) au plus profond de soi. La jeune fille n'avait jamais abordé le sujet avec personne, c'était tabou. Que penserait-il si elle lui avouait tout ses écarts de conduite... Qu'elle était une pauvre fille, sans doute. Puis il s'en irait et voilà. Et voilà... De doux moments mis aux oubliettes en quelques secondes.
- C'est pas ce que vous croyez...
Ces mots sortirent avec difficulté de sa bouche. Comment expliquer ce qui se passait réellement sans passé pour une junkie notoire? C'était difficile... Et assez complexe.
- Je m'en fiche d'être jolie... c'est que... c'est... que...
Elle dévia son regard, comme si elle essayait d'échapper à la dure réalité. Malgré sa jovialité, Frig devait avouée qu'elle avait une vie bien pitoyable, pour en arriver à là où elle en était. La vérité la frappa et c'était comme si elle l'avait mise K.O. avant toute riposte. La jeune nordique se sonda quelques temps, cherchant des mots appropriés à la situation. Alene, enslig, ensom. Seule, seule, et re-seule. Le pourquoi et le comment. La drogue est une sorte d'échappatoire à la solitude quotidienne, plus efficace que la musique et la lecture (même si Frig ne les laisse pas de côté, bien au contraire). Ô combien l'alcool était un autre bon moyen. Les addictifs ont l'avantage de pouvoir se prendre seul. Et le lendemain, on en veut toujours... Toujours un peu plus le jours d'après... Un cercle vicieux sans fin, et Adelheid avait les deux pieds en plein dedans. Impossible d'en ressortir, elle se laissait couler. De toute façon, le mal était déjà fait.
- Ce... n'est pas ma faute... Je n'arrive pas à m'arrêter... puis de toute façon il n'y a personne pour m'arrêter... Au moins, je me sens bien ainsi. J'arrive à cacher ce trop de s-solitude (ce mot à vraiment eu du mal à sortir de sa bouche) par ce genre de moyen. Et pour rien au monde je n'arrêterais. Ce serait un peu comme du suicide, vous voyez... J'ai déjà essayé d'arrêter, bien sûr... mais heureusement que vous n'étiez pas là pour voir dans quel état j'étais.
Ses premières phrases étaient emplies d'une grande tristesse, mais plus elle énonçait son discours, plus la colère montait en elle, ce qui n'était pas très habituel chez elle. Ô par combien de moyen elle avait essayé d'arrêter les drogues, mais tout ça finissait par des crises d'angoisses, des courbatures et une sensation de malêtre vraiment dure à supporter. Horrible. Un seul mot pour résumer tout ça.
- Oui, j'avoue, je suis soumise à l'opium, et alors, je vais bien! Je vais très bien! Au moins, je suis heureuse, vous comprenez? On peut... On peut très bien se débrouiller seule... et être heureuse toute seule! Voilà.
Plus elle parlait, plus elle haussait le ton, et elle ne pouvait plus s'arrêter...
- Je suis très heureuse, même si je déteste ce monde exécrable... Vous connaissez les paradis artificiels? Voilà pourquoi je bois, pour oublier la connerie humaine et enfin me sentir là où je devrais être. Je n'ai pas ma place ici, j'en ai marre d'être enfermée dans cette prison aux barreaux dorés... J'en ai marre de me sentir aussi... délaissée... depuis trop longtemps...
C'était trop dur, Adelheid du se lever et se retirer totalement de l'étreinte de Watari. Elle lui tourna le dos à un mètre de lui, lui parler en face était trop difficile. Elle retira ses gants qu'elle jeta sur un meuble, et passa ses mains sur son visage pour essuyer quelques larmes.
- Eh bien bravo, vous avez réussi à me faire pleurer... (elle marqua une pause) Est-ce que vous, j'ai insisté quand vous ne m'avez pas répondu pourquoi vous gardiez votre chapeau... D'ailleurs c'est malpoli de ne pas l'enlever quand on se fait gentillement inviter.
Et contrairement à ses habitudes, elle finit par pleurer toutes les larmes de son corps.
- Je... suis horriblement désolée... Je ne dis que des choses mauvaises, quand... quand je m'emporte...