Fin de journée… ou presque.
C’est l’heure du dernier cours de la journée pour les élèves de la classe de Taro, dix-neuf ans, enfin arrivé jusqu’en terminale après cinq ans dans ce même lycée. Si tous frémissent d’avance à l’idée d’affronter les récits souvent barbants de Tama sensei -dernier rempart avant un week-end bien mérité-, notre grand dadais, lui, les redoute plus que quiconque.
La raison est bien simple : au tirage de l’élève le plus malchanceux de tous, tout le désigne grand gagnant. Si Tama sensei est réputé pour être un homme sévère et un poil trop pointilleux en ce qui concerne son barème de notation, Taro, lui, a eu la chance de l’avoir pour professeur d’Histoire ces cinq dernières années… même malgré ses redoublements. Comme quoi, la poisse attire sans doute la poisse.
Vainqueur à la loterie de la génétique, ce grand gaillard aura au moins su prouver à tout le monde la véracité de cet adage qui veut que « l’on ne peut être bon partout ».
Grand bonhomme d’un mètre quatre-vingt cinq au moins, s’il n’est pas vraiment un mec que l’on pourrait qualifier de populaire, tout le monde ici voit quand même en lui un sportif né. Enfin, faut pas se leurrer non plus, le fait qu’il soit plus vieux et plus grand a sans doute pas mal aidé pour ce qui est de sa sélection au sein de l’équipe de baseball cette année encore. Il est grand, il court vite… et frappe plus fort que la moyenne. Mine de rien, c’est un sacré atout.
Et Taro lui, il aime bien ça le baseball.
Au moins parce qu’on l’engueule pas quand il joue. Puis, parce que ça lui permet de passer un peu de temps avec d’autres garçons de son âge, ce qu’il ne fait pas souvent en dehors des cours. En bref, le baseball, c’est un bon exutoire.
Enfin… c’en est un. Ça, c’est s’il continue à jouer.
Plus discret qu’à l’accoutumée, Taro n’a pas l’air bien aujourd’hui et cela n’a rien à voir avec le fait qu’il ait du mal à suivre le cours de Tama sensei. Ayant passé la journée à regarder par-dessus son épaule comme si il avait vu un fantôme, le garçon semble attendre, sur le qui-vive… et pour cause : alors qu’il devait remettre hier l’argent de son inscription pour l’année au club de baseball, le jeune homme a finalement décidé de faire tout autrement.
Las d’entendre toutes ces histoires que racontent filles et garçons dans les couloirs, à propos de la jolie Eunyee -l’étudiante Coréenne venue étudier ici depuis quelques mois-, Taro, qui s’était épris d’elle, de son tempérament comme de sa beauté, s’était décidé à prouver aux autres qu’ils avaient tort sur toute la ligne et que tout ce que l’on racontait à son propos n’était qu’un tissu de mensonges.
N’ayant pas osé lui en parler directement, parce qu’il n’aurait simplement jamais pu faire une chose pareille, celui-ci s’était mis en tête de déposer quelques billets dans son casier puis de la suivre une fois les cours terminés, pour voir ce qu’elle pourrait bien faire de l’argent. Innocemment, il avait même pensé qu’elle se dépêcherait d’aller remettre l’enveloppe aux objets trouvés…
Il n’avait toutefois absolument pas réfléchi au fait que, sur ce morceau de papier destiné à l’administration du club de baseball, figurait son nom, écrit en grosses capitales. Aussi bête que cela puisse paraître, ce détail lui avait échappé.
Lorsqu’il avait fini par s’en souvenir, il était bien trop tard.
Aussi, quand cette jeune fille qu’il avait tant peur de croiser finit par faire irruption dans la classe -alors qu’il ne l’avait pas vue de la journée-, Taro tourna la tête, en priant pour qu’elle ne le remarque pas. Son nom sortit de ses jolies lèvres maquillées, pour la toute première fois… et donc il sursauta.
Eunyee prit la place qui se trouvait juste devant lui… et Taro passa l’heure qui suivit à paniquer, priant encore pour qu’elle ne se retourne pas. Contrairement à d’habitude, il n’osa même pas la regarder, alors même qu’il l’avait bien remarqué, elle portait aujourd’hui ce pull qu’il préférait et qui lui faisait un décolleté absooooolument vertigineux.
Préparant son départ en avance, il ramassa ses affaires pas loin de dix minutes avant la sonnerie et, quand la cloche se mit à tinter, il se leva d’un bond, prêt à détaler, sans même regarder la jeune fille. Il avait bien trop peur qu’elle pense de lui qu’il était de ceux à colporter ces rumeurs à son sujet et ne pensait plus qu’à fuir…
Même si… une petite part de lui aurait aimé que ce soit vrai.
Mais, alors qu’il venait de se lever, la petite brune se tourna justement pour l’interrompre. Mal à l’aise, Taro s’arrêta. C’était bien la première fois qu’elle lui adressait vraiment la parole, seul à seul du moins… et, s’imaginant bien de quoi elle pourrait vouloir discuter, le pauvre appréhendait comme jamais, les joues virant au rouge.
« A-ah… euh… Eu-Eunyee, salut. Vraiment ? »
Déglutissant timidement, le garçon tira la chaise juste à côté d’elle et s’assit, sans oser soutenir son regard. Portant son regard loin, vers l’extérieur de la salle, il continua.
« Tu… voulais recopier le début du cours, c’est ça ? Tu devrais peut-être demander à Saya, ou à Fumiko, tu sais. Mes notes sont pas super, alors… »