Asmodée n’avait pas tort en disant que la ville n’avait guère souffert, comme Neyla n’avait pas tort non plus. Mais les dommages étaient temporaires, en dehors de ce qu’avait subi sa propre famille. De bons administrateurs n’auraient guère de mal à annuler les effets de la surinflation brutale causée par certains excès de son homme. Un effet aussi rapide et court serait mitigé en quelques mois et le Trésor avait bien assez de liquidités pour s’assurer que tout se passe bien entretemps. A certains égards, Ariath en sortirait renforcée ; mais pas sa famille royale, évidemment.
Le roi le savait et il savait que ses conseillers en étaient conscients. Tenir tête maintenant serait vu comme un acte égoïste et serait fort impopulaire. Il lui fallait la jouer fine s’il ne voulait pas être renversé à nouveau, et cette fois pour de bon. Il n’était pas né de la dernière pluie et jouait à ce jeu-là depuis longtemps.
C’est bien pour ça qu’il agréait sans discuter. Même si Asmodée bluffait, il n’avait aucune raison de chercher à le deviner et à l’éventer. Ses hommes seraient déjà inquiets en temps normal, mais avec cette ambiance si particulière flottant dans l’air depuis l’arrivée de l’intrus… Qui savait ce qui pourrait se passer ?
Les protestations de sa fille étaient légitimes, mais vaines. La décision était prise et elle était sage, même si elle n’apportait ni joie ni réconfort au roi, bien au contraire, et la reine baissa la tête avec tristesse et résignation.
Une fois le greffier arrivé, le Déchu tourna son regard vers la princesse, avec une expression vicieuse et narquoise. Son tempérament l’amusait beaucoup et la voir plier face à l’autorité paternelle et à ses propres désirs lui tirait un plaisir certain. Il devait ménager ses ambitions pour le moment mais il ne put s’empêcher de diriger vers elle une vague de son aura, faisant remonter les fantasmes qu’elle enfermait en elle avec détermination, la plongeant dans des rêves éveillés poignants et viscéraux qui ne manqueraient pas de la faire mouiller et chauffer et accroîtraient son inconfort, la honte de se laisser emporter ainsi, la peur d’être dévisagée, confondue dans ses errements.
Lorsqu’on lui demanda des précisions, il retourna son attention vers le roi, faisant souffler la jeune femme sans pour autant lâcher totalement son emprise sur elle. Avec un sourire malicieux, il pointa le papier du doigt pour dicter au lettré.
« Le temple sera voué au Cercle de la Luxure. »
Il y eut des murmures dans la pièce, mais personne ne protesta. C’était évidemment d’un Cercle infernal dont on parlait, mais tout le monde avait plus ou moins compris et fait la paix avec la situation depuis son arrivée.
Le roi comme ses hommes songeaient qu’un culte de plus ne ferait pas de mal et qu’il pourrait être contrôlé. La vérité était que, dans quelques mois, le temple serait en place et des agents infernaux commenceraient à conditionner prêtres et prêtresses pour corrompre la population. Dans quelques années, la Luxure se répandrait insidieusement dans la cité et aurait étendu ses tentacules jusqu’au conseil royal lui-même. Ariath était condamnée à tomber, d’une manière ou d’une autre.
Nouveau mouvement de doigt impérieux. Le sourire du Déchu s’élargit.
« La princesse fera ce qui est demandé d’elle. Mais, puisque vous souhaitez le savoir, je compte bien en faire mon épouse. »
Les murmures furent plus vifs cette fois. Asmodée n’avait pas prévu le coup tout de suite, mais il voulait les provoquer et imposer une humiliation. Qui plus est, n’était-il pas délicieusement savoureux de laisser entendre à la cité que la seule et unique héritière royale pourrait lui donner comme futur prince légitime une engeance infernale ?
Le roi, lui, était visiblement ébranlé, retenant son désarroi et sa colère avec dignité, mais il poursuivit la procédure comme si de rien n'était.
« Il faudra convenir d'une date, » avança-t-il avec circonspection.
Il essayait de gagner du temps pour trouver une parade, Asmodée en était conscient. Il cassa son objection :
« Vos lois stipulent qu'une bénédiction de l'union par un clerc assermenté devant deux témoins suffit à valider un mariage. Je vois ici le Grand prêtre et bien plus de témoins qu'il n'en faut. »
Il sourit malicieusement comme le roi serrait les phalanges sur son trône, se retenant de bondir avant de s'écraser encore, faisant un signe de la main qui avait clairement valeur d'assentiment. Le Grand prêtre d'Ariath, représentant le plus élevé du culte officiel et interlocuteur impartial de chaque culte, se leva et s'avança en soupirant, les doigts blancs autour de son sceptre.
La figure bouillante et dégoûtée de Neyla continuait de lutter contre les assauts mentaux de son nouveau fiancé, très bientôt époux. Asmodée retourna enfin son attention sur elle, lui assénant une nouvelle vague intense de visions tandis que ses pieds quittaient le sol. Elle s'éleva à plus d'un mètre du sol tout en lévitant doucement au-dessus de la table. Elle se posa presque avec douceur juste à côté du Déchu, qui tendit sa main en avant devant elle, dans un simulacre de cérémonie religieuse dans lequel elle était censée la prendre en signe d'union.
Le Grand prêtre arriva une fois leurs mains croisées et, incapable de trouver la force de lever la voix pour demander un bout de tissu, arracha un bout de sa propre robe pour faire un ruban de fortune avec lequel il joignit leurs poignets. Il recita les formules maritales de mémoire, mécaniquement, et posa son sceptre sur leurs mains plusieurs fois avant de couper le ruban à l'aide d'un couteau. Désormais, un ruban métaphorique et invisible les liait à jamais, mari et femme.
Ceci fait, le pontife se retira en traînant la patte, un valet lui apportant son tabouret, son devoir et sa compassion l'emportant sur la béatitude de ses désirs et de son désarroi. Belle preuve d'humanité que peu d'humains savaient démontrer !
« C'est fait, » annonça le roi. « Maintenant, retirez-vous ! Ma fille vous sera remise dans trois jours avec ses effets personnels. »
« Je ne crois pas, » rétorqua Asmodée avec amusement.
L'intrus éclata de rire face aux regards médusés et défaits se posant sur lui.
« Vous comptiez me duper, papa ! Si, dans soixante-douze heures, le mariage n'a pas été consommé devant témoins, il sera automatiquement invalidé ; par ma faute, donc à mettre à mes pertes. Je ne crois pas, non ! Je me suis véritablement entiché de votre Neyla et il me ferait tant de peine de la perdre ! » Son sourire s'élargit. « D'ailleurs, je suis si impatient que je refuse de laisser passer l'occasion de rassembler tant de pairs de votre cité. Neyla-chérie... »
Il pivota en se glissant devant la princesse tourmentée, plongeant ses yeux brûlants dans ses prunelles noires et l'inondant de tout le désir qu'il pouvait diriger sur elle, le déferlement s'écrasant sur l'assistance alentour qui se prit à songer que, oui, elle voulait assister à cela.
D'un petit roulis d'un doigt, le Déchu désintégra théâtralement les habits légers de Neyla et elle se retrouva nue, à l'exception de ses bijoux, face à lui. Lui-même perdit son pantalon et une belle trique raide se tendit entre eux, dégageant un pouvoir d'attraction l'attaquant tant par l'esprit que par l'ensemble de ses sens.
« Fais-moi plaisir et saute dans mes bras ! »