L’insolence de ce gamin la piqua profondément, mais si elle en avait été affectée, seul un éclair brumeux dans son regard d’émeraude put la trahir. Elle accueillit cependant ses excuses avec un léger signe de menton, n’estimant pas nécessaire de s’abaisser à l’en remercier, ou à explicitement les accepter. Prisma le trouva fort audacieux, et cela éveillait tout à la fois l’envie de lui rappeler sa délicate situation, tout comme celle de souligner cette qualité. N’en était-elle pas une, après tout ?
On la disait, elle-même, très ambitieuse, mais elle avait pour elle d’avoir l’expérience, celle qui sait mesure quand il faut oser, et quand il faut se taire, baisser les yeux, et acquiescer comme un bon serviteur. Oui, elle agissait ainsi lorsqu’elle se trouvait face à une personne supérieure, et à cet instant Julian Antonius devait s’en souvenir à son tour.
« Chiquenaude. Vous manquez cruellement d’imagination. » Avec un sourire presque maternel, la Conseillère, qui sent sa petite Domestique frotter avec une ardeur retrouvée, ricane légèrement. « Chiquenaude… Quelle mignonne punition, hein Rhéa ? »
Quel Maître laisser passer la moindre erreur, même la plus petite ? On la traiterait de faible si l’on savait… Cette suggestion était risible, mais n’était-ce pas là l’idée d’un tout jeune homme ? Sans doute peinait-il à réprimander une Servante ? Pauvre Julian… Si elle avait pu, elle l’aurait plains, et s’apprêtait à lui conseiller de s’endurcir, lorsqu’il interrompit le fil de ses pensées, pour lui tendre la missive de son père.
« Ah, ce cher Erik… »
Il était facile de noter les gestes nerveux de ses doigts lorsqu’elle détruisait le sceau. La moindre parcelle de cire qui voulu lui résister sembla l’agacer immédiatement, sans une once de patience. Lorsqu’elle commença sa lecture, le ton lui parut pompeux, mais le contenu n’en était pas moins intéressant.
L’Héritier Antonius était donc un jeune homme bien fait de sa personne, et correctement éduqué. Il était intéressant de noter que le Patriarche désargenté n’avait pas fait l’effort de mentir à la Conseillère en flattant bien trop son fils de qualité déraisonnables. C’était un trait appréciable, et sans doute pourtant un défaut dans le milieu plein de mensonges où ils voguaient tous.
« Oh j’adore la chasse au renard, moi aussi… » Fit-elle, comme pour elle-même, les yeux décrivant des lignes de gauche à droite à mesure qu’elle descendait sur le parchemin. L’écriture d’Erik n’était pas des plus élégantes, mais son style était franc. Malgré ce qu’elle pouvait laisser paraître, Prisma appréciait…
La Conseillère déglutit.
Oh que de souvenirs. Antonius père n’avait pas été avare de détails concernant leur liaison passée, et s’il ne manquait pas de mémoire pour cela, elle ignorait encore s’il cherchait à s’attirer sa sympathie, ou lui rappeler qu’il possédait quelques informations pouvant éventuellement lui nuire. Evidemment, les tendances paranoïaques de la Louve s’en trouvèrent agitées, et ses joues perdirent une nuance.
Se rendant compte immédiatement qu’elle s’attardait un peu trop sur la lettre, éveillée par la remarque du fils, la Rousse releva immédiatement ses prunelles sur Julian, roulant le document pour le glisser dans l’une de ses nombreuses poches.
« Je vais bien, je vous remercie. » Cette simple phrase n’était destinée qu’à écarter immédiatement de son esprit son état de faiblesse. « Votre père a dépeint de vous un portrait fort aimable, mais il aura oublié de préciser que vous parlez trop vite. »
Un reproche ?
Le sourire qui venait de naître sur les lèvres rouges de la Conseillère paraissait contredire son ton.
« Règle numéro un, ne faites pas remarquer tout haut toute indisposition de votre interlocuteur. Tout comme vous ne ferez pas note, de vive voix, d’une tâche sur son divan. »
Prisma éclata de rire, reprenant son verre, et en servant un second sans prendre la peine de demander son avis à son jeune serviteur. « C’est impoli, et comme vous souhaitez vous rendre sympathique auprès de cette personne, vous garderez pour vous ces éléments inconvenants. »
Elle but une gorgée, en tendant d’un geste sévère la coupe pleine de vin à Julian.
« Règle numéro deux, vous accepterez verre ou boisson tendus, toujours dans le but de vous faire apprécier. »
Seconde gorgée, alors que son regard s’ancre dans le sien, forçant s’il le fallait, par l’attendu social de sa position, à accepter le verre qu’elle lui présentait. Enfin, un petit geste du menton put paraître encourageant.
« Votre perception des détails est intéressante. C’est une excellente qualité. » Un compliment ? « Vous allez peut-être pouvoir m’être utile finalement… »