Jackson "Jaxx" Drago [Vanéalidé !]

"Regarde toutes ces jolies lumières…"

Cette phrase lui revenait toujours, comme un mantra inusable, une prière au temps écoulé et aux moments achevés qui plus jamais ne renaîtraient. Ces cinq mots étaient à la fois son refuge et son fardeau, son éternelle malédiction. Ils adoucissaient la douleur des propres plaies qu'ils ouvraient, conservant son âme dans le cycle perpétuel d'un Ourobouros déglingué.

"Regarde toutes ces jolies lumières…"

Qu'y avait-il pour lui, au-delà de la lueur vacillante des cierges urbains ?
Toujours le cri. Toujours la violence absolue et la chaleur des flammes. Ces jolies lumières, aujourd'hui et à jamais, brillaient d'un feu d'enfer.

---*-*-*---

Depuis 38 ans, il portait le nom de Jackson "Jaxx" Drago.
Le fils turbulent d'un immigré russe et d'une pure américaine qui s'étaient croisés un soir de beuverie chez des amis communs et ne s'étaient jamais quittés. Et ce même quand le mari avait enfourné sa viande de l'Est dans quelques cons moites du voisinage. Ils ne s'étaient pas quittés non plus lorsque le ruskov avait commencé à emplâtrer la belle ricaine dès qu'il avait une saute d'humeur -et c'était peu de dire qu'il en avait pas mal.

Jackson avait été pondu dans une période relativement faste, où papa s'excusait encore d'avoir esquinté la petite gueule de maman. C'est que les choses étaient compliquées pour lui, vous comprenez. La conjoncture actuelle, l'abus d'alcool et le manque de pognon. Fallait bien dire que papa Drago était généreux dans son genre et que les pétasses qu'il entretenait dans le dos de sa femme le pompaient pas mal. Autant la queue que le portefeuille, du reste.
Le fiston n'était pas en manque de soi-disant cousines dont les jupes étaient aussi réduites que la capacité de réflexion, grandissant entouré des mensonges creux et hypocrites de son géniteur, de l'hypersexualisation du mâle beauf ainsi que de la vacuité de la triste créature qu'était devenue sa mère, à faire semblant que tout allait bien. Jaxx allait néanmoins apprendre deux choses de ce couple bancal : l'abnégation devant l'absurdité et la nécessité de savoir correctement mentir pour s'en sortir.

Inutile de faire dans l'original, avec des débuts comme ceux-là. Jackson devint rapidement un foutu emmerdeur, qui volait les jouets des autres gosses avant de charmer la maîtresse pour s'éviter la sanction. Un bon cogneur, aussi, à force d'aller avoiner le museau des mouflards rapporteurs. Ça, ça venait de son paternel. "C'est toujours celui qui cogne le plus fort qu'à raison, fiston". A la maison, personne ne contredisait papa.
Mais vous savez comment c'est, n'est-ce pas ? Ce genre de mec cognait certes sur sa bonne femme comme s'il allait réussir à faire faire à ses chicots un foutu Paris-Berlin sans escale, tout en se débinant dès qu'un autre alpha dévoilait ses crocs. Papa, pour éviter se faire bastonner aurait certainement lustré lui-même la pine qui aurait baisé sa femme au beau milieu de leur salon. Foutue lavette.
Jackson, fermement résolu à prouver lui que ses couilles pesaient vingt kilos chacune, se jura de ne jamais se débiner. Et tant pis si cela lui coûtait de se faire passer la gueule au marteau-pilon.

De fait, il se prit bel et bien une paire de branlées en grandissant. D'abord par son père, puis par les grands frères de ses petits camarades d'école. Il ne s'en défendait pas moins à chaque fois, l'animal ! Véritable molosse qui ne lâchait jamais, Jackson se tailla rapidement une jolie petite réputation. Arrivé au collège, le môme Drago avait déjà étalés les différents aînés qui auparavant lui avait collé la tronche sur le bitume. Au lycée, il avait apprit à son père que ce n'était plus lui qui avait toujours le dernier mot. A cette période également, Jaxx était à la tête de la pire bande de fouteurs de merde de la région et personne ne donnait très cher de son avenir. C'était joué d'avance, même ! Cancre plus souvent vu au commissariat que sur les bancs de l'institution scolaire, on prédisait au délinquant un bel avenir pénitentiaire. Personne n'aurait été dans l'erreur et Jaxx lui-même ne se berçait nullement d'illusion ; l'animal était certes une brute, mais avec assez d'esprit pour comprendre qu'il ne faisait jamais que de foncer dans un mur. Cela lui allait, néanmoins. Les alternatives lui manquaient et son rôle lui collait à la peau, si bien qu'il n'avait aucun désir de le sacrifier pour tenter de se sortir du véhicule fou qu'était devenue sa vie. Quitte à se foutre en l'air, autant en profiter avant et y aller en se marrant, les burnes bien roulées sur la gueule de ceux qui prétendaient vouloir lui casser son délire.

Jaxx avait toujours été le mauvais garçon, celui qui se farcissait la reine du bal et quelques une de ses copines. La vie l'avait doté d'une bien jolie tronche, d'une mâchoire carrée et d'un regard d'acier. Le physique ne lui faisait pas défaut non plus, à vrai dire. Le mâle alpha est génétiquement armé pour perpétuer l'espèce et Jackson balançait autant de phéromones que de poings dans le nez. Il n'avait pas trop à forcer pour s'assurer de passer ses soirées avec chaque fois une fille différente, mais avait en même temps conscience de n'être pour ces filles aux cuisses facilement mobiles qu'une sorte d'"expérience", un petit sachet d'épices foutrement corsées avec lequel elles relevaient la fadeur de leurs vies pour quelques heures. On ne mariait pas un Jackson Drago et, à vrai dire, on ne s'y intéressait pas vraiment non plus.
Et cet état de fait, lentement, avait commencé à le ronger.
Une fille, néanmoins, allait changer cet état de fait. Ainsi que le cours tout entier de sa vie.

Elle n'était pas spécialement belle et, comparée à d'autres que Jackson avait sautées, même franchement désavantagée. Il ne l'avait pas du tout remarquée ce soir là, dans le bar où il avait ses habitudes, jusqu'à ce qu'il aille pisser dans la ruelle qui servait de chiottes supplémentaires quand les autres étaient occupées. Un bruit étrange entre deux poubelles avait attiré son attention alors qu'il se secouait la queue après avoir évacué la bière qu'il s'était envoyée toute la soirée. Poussé par la curiosité, il avait remballé son attirail pour aller voir ce qui se tramait et n'avait pas été déçu.
Deux types maintenaient une nana plaquée contre le mur. Le premier lui avait passé les mains sous le pull pour malaxer ses petits nichons et le second, déjà, baissait le jean -le sien et celui de la gonzesse. Il n'y avait pas besoin de sous-titre pour piger que les deux salauds se passaient bien du consentement de celle qui se débattait en pleurant, et le sang de Jaxx n'avait fait qu'un tour. Ces deux fils de pute, Drago les avait rectifiés illico et avait récupéré la fille tremblante et traumatisée. Puisqu'elle ne voulait pas appeler les flics, de peur que le peu de shit qu'elle avait dans les poches lui cause du tort, Jaxx l'avait raccompagnée chez elle. C'était le père de la nana qui leur avait ouvert.

Adonis Shelby était un manager de boxer, comme il l'expliqua à Jackson après l'avoir remercié et longuement réconforté sa fille qui, heureusement, n'avait pas pas été souillée. Drago était arrivé à temps. Le traumatisme n'en était pas moins vif, mais l'honneur aussi sauf que le pucelage. Tandis que Trisha se douchait à l'étage, Jackson recevait d'Adonis une proposition ; passer à son club pour une initiation au noble art. Une façon de remercier celui dont le punch avait sauvé sa fille. Jaxx ne refusa pas, bien qu'il ne comprit pas vraiment pourquoi lui-même. Il ne se voyait pas en héros ni en sauveur. S'il avait sauvé Trisha, c'est parce que le viol le révulsait. Bien sûr, Drago n'avait rien d'un saint… mais avait tout de même quelques valeurs. C'était pour ça qu'il n'avait pas hésité une seule seconde à éclater les deux autres.
Rendez-vous fut prit pour la semaine suivante et Jaxx quitta là la famille Shelby, ignorant alors qu'il finirait vite par en faire partie.

L'initiation avait été un franc succès. Pour tout le monde. Adonis avait vite compris que Jaxx était de la graine de champion et ce dernier avait découvert un sport qui l'attirait réellement. Coller des pains, ça lui avait toujours plu et le cadre d'un combat honorable et réglé donnait à l'affaire une noblesse que le bad boy n'avait jamais connu jusque là. Aussi revint-il le jour suivant, puis l'autre, puis finit-il par prendre sa licence.
Sous la houlette d'Adonis, Jackson se redécouvrit. La boxe lui faisait du bien. Et le fait que Trisha assiste de plus en plus à ses entraînements contribuait à le motiver. L'un et l'autre eurent à s'apprivoiser pour se découvrir et se connaître mais n'en devinrent pas moins inséparables. Trisha l'aida à décrocher un petit boulot pour qu'il puisse se ranger et payer ses cours au club, pendant que Jaxx lui conférait l'assurance et la confiance en elle dont elle avait jusque là cruellement manqué. Une paire complémentaire et touchante, dont la fréquentation mutuelle les transforma. A la fin de la première année au club, Drago sorti officiellement avec Trisha et emménagea avec elle au milieu de la seconde.

Rangé et méconnaissable, Jackson exprimait à présent sa violence sur le ring. Ses premières compétitions le lancèrent sur le circuit amateur et ses victoires lui ouvrirent petit-à-petit les portes d'une carrière professionnelle qui s'annonçait tout à fait prometteuse. Son succès était mérité et Jaxx baignait dans la félicité puisque Trisha lui donna bientôt un fils solide qui les combla de bonheur. Le nom de Drago se voyait sur les affiches autant que sa belle gueule et son buste sculpté et une revue sportive d'importance lui fit l'honneur de ses pages un mois de septembre. La revue s'était ouverte et les cuisses de la journaliste qui l'avait interviewé aussi. La première d'une longue série, à vrai dire.

Jackson et Trisha s'aimaient, pourtant. Drago avait juste… des besoins ? Son égo en avait, du moins. Sa petite célébrité de niche lui apportait de trop nombreuses opportunités de fourrer quelques filles de haute volée pour qu'il parvienne à résister. L'amour suffisait-il, pour dire non à une starlette dont la célébrité se résumait à un peu de télé-réalité et des photos de son cul parfait postées quotidiennement sur Instagram ? Drago vous aurait répondu que non avant d'aller se faire sucer -et beaucoup plus même sans affinités.

S'il reproduisait, à une échelle tout autre néanmoins, les vices paternels, il s'avéra en revanche que Trisha n'était pas sa mère. Elle ne fut pas longue à découvrir que son compagnon la cocufiait dans une stupéfiante allégresse et à demander qu'il lui rende des comptes. Leur fils, Simon, avait fêté ses trois ans sous la pluie d'insultes que s'étaient échangé ses parents autour du gâteau d'anniversaire. Au moins Jaxx ne frappait-il pas. Il ne valait mieux pas. Une bête de ring comme il l'était aurait probablement tué Trisha. De plus, le boxer se rendait bien compte qu'il fonçait une fois encore à toute vitesse dans une impasse. Cette fois, contrairement à sa jeunesse, il se résolu à s'en sortir. Trisha méritait qu'il arrête de la prendre pour une conne. Alors, ils parlèrent. Jaxx rama plusieurs semaines mais parvint à ses fins : se faire entendre, faire croire à ses promesses sincères de ne plus jamais aimer qu'elle. Pour se faire, il la demanda même en mariage.
Quelques mois plus tard, ils étaient unis à la face du monde et de l'Église.

---*-*-*---

"Regarde."

Simon avait regardé.
Il avait 6 ans à présent et s'apprêtait à fêter son dernier Noël en famille. Papa et maman étaient sur le point de divorcer après deux ans d'une relation catastrophique, que papa avait torpillée en couchant avec une énième fille ramassée en boîte. Ses belles promesses n'avaient tenu qu'une toute petite année ; la plus jolie qu'avait connue le gamin, toutefois.
C'était néanmoins fini et tellement déglingué, ravagé et rongé de bile que même Simon savait que tout était irréparable. Les mots entre Jaxx et Trisha étaient devenus de douloureuses et cruelles insultes, leur faisant franchir un point de non-retour déterminant.

La bataille pour la garde du môme serait âpre, aussi avaient-ils convenu tacitement d'une forme de trêve pour ce réveillon de Noël. Ils iraient le passer chez Adonis, en souvenir du bon vieux temps, en se disant que peut-être le coach trouverait les mots pour les rabibocher. Pour tout dire, en fait n'avait pas si mal démarré.

Puis le ton était monté alors qu'ils enfilaient leurs pompes dans l'entrée, sans que Simon ne sache qui avait entamé les hostilités. Il s'en fichait. Il avait voulu jouer son rôle, s'improviser médiateur pour que ses parents veuillent bien aller chez son papy comme convenu. Jackson et sa femme avaient été, heureusement, dans ce sens-là. Tout le monde avait embarqué dans la voiture qui avait prit la route.
Un peu trop vite.

La dispute avait commencé à reprendre. Jackson ne lâchait jamais rien. Le pied sur la pédale de l'accélérateur, il invectivait Trisha et cherchait à l'acculer dans un coin par ses mots qui fusaient dans l'habitacle comme autant de jabs sur le ring. Sa mauvaise manie de se comporter dans la vie comme dans le sport dès qu'il s'agissait d'affrontement c'était exacerbée avec le temps et la pratique et le molosse ne lâchait que difficilement.

Sa femme ne répondait toutefois pas, préférant épargner le spectacle à son fils qu'elle serrait contre elle et qu'elle avait laissé se détacher pour venir la rejoindre, pelotonnés qu'ils étaient sur la banquette arrière.
Tandis que le bolide passait sur la grande autoroute côtière qui bordait la périphérie de la ville éclairée au loin par les feux follets urbains, Trisha avait montré ce joli spectacle à Simon.

"Regarde toutes ces jolies lumières…"

La voiture allait trop vite et Jackson avait les yeux dans le rétroviseur, pour y voir le visage de sa femme et de son fils contempler les lumières du lointain. Captant l'attention dont elle était le sujet, Trisha avait tourné le regard vers lui et avait hurlé d'horreur.
Jaxx était revenu à la route en un éclair.
Mais la voiture allait beaucoup trop vite.
Celle d'en face aussi.

Leurs vies furent pulvérisées à près de cent quatre-vingt kilomètres heure.

---*-*-*---

Les mois qui suivirent, Jackson n'en garda qu'un vague souvenir. Un maelström d'images floues et de sensations confuses, une bouillie de sons qui avaient dû former des phrases intelligibles et cohérentes un jour : voilà tout ce qui résumait pour lui son séjour à l'hôpital, les obsèques, le passage au tribunal.
S'il se souvenait nettement des derniers mots de Trisha et de la chaleur quasi volcanique des flammes qui avaient dévorés les deux véhicules, le reste n'était que brouillard et errance.
Il avait fait ce qu'il avait dû faire, comme un stupide robot programmé pour sa tâche, puis plus rien. Son cerveau niait cette période avec obstination mais lui répétait sans cesse les cinq même mots avec l'exacte intonation qu'avait eue Trisha à ce moment là.

"Regarde toutes ces jolies lumières…"

Jaxx avait survécu à un accident d'une violence inouïe et personne ne se l'expliquait. Il était passé à travers le pare-brise et en avait été projeté sur près de cinq mètres pour n'en garder comme séquelles visibles que les cicatrices qui balafraient désormais gueule. Sa famille, ainsi que les trois personnes présentes dans l'autre caisse ? Morts sur le coup, tous. Leurs corps avaient été si bien consumés par les flammes que l'identification avait été aussi longue que pénible, pour les experts. Experts qui se cassaient les dents, aussi, quand il était question d'expliquer autrement que par le miracle divin la survie de Jackson.

Mais à quoi bon pour lui s'être tiré de ça ? Tout s'était effondré, pour Jackson. Sa famille lui avait tourné le dos en se persuaduant qu'il était responsable de l'accident et c'était un point de vue que partageaient ses rares amis autant que le vieil Adonis, qui ne lui pardonna jamais ce qu'il s'était passé. Il décéda quelques semaines après l'enterrement de Trisha et Simon, noyé par un chagrin sans fond. Cela ne fit qu'ajouter à la culpabilité de Jackson, qui vendit sa maison et la plupart de ses biens sur un coup de tête pour emménager dans un appartement miteux dans un quartier pourri de la ville. Son idée ? Y mourir à son tour, sans plus emmerder personne, non sans avoir tout de même expié ses péchés à sa façon.
Les morts qu'il avait sur la conscience l'avaient ravagé et Drago avait sombré dans un abandon total de la vie et une consommation excessive d'alcool et de drogues. Pour tuer le souvenir. Malgré ses effort acharnés, il n'y parvint pas.
Pas plus qu'a se tuer lui-même, du reste, alors que c'était le but profond de ce processus d'auto-destruction.

Quand il décida de passer à la vitesse supérieure en s'ouvrant les veines dans sa baignoire et qu'il se réveilla le lendemain matin dans une eau froide à la couleur grenadine mais sans que ses poignets ne conservent une seule trace du passage pourtant foutrement profond de la lame de rasoir, Jaxx commença à se dire que, peut-être, quelque chose ne tournait pas rond.

Deux mois passèrent alors, émaillés pour Jackson par la plus singulière des activités, puisqu'il tenta à de très nombreuses reprises d'en finir avec la vie. La fourchette dans la prise ? Il en sortait assommé par la violence du coup de jus, mais indemne et intact. Avaler un litre d'eau de javel ? A part une sérieuse chiasse qui le cloua plusieurs heures sur le trône tandis qu'il y perdait tripes et boyaux, rien. Se planter un couteau dans le ventre ? La lame ne pénétrait pas toujours, de façon incompréhensible. Si elle le faisait, il sentait la douleur et perdait le sang, finissait pas tourner de l'oeil… pour se réveiller, frétillant comme un con de poisson rouge ayant sauté hors de son bocal. L'immolation ? A part sentir toute une semaine le cochon brûlé, pas une trace de dégradation. La défenestration ?  Douloureux selon l'étage depuis lequel il sautait, voire même un peu de coma selon les cas, puis il se relevait en se demandant comment il allait tenter de se foutre en l'air la prochaine fois.

Ainsi donc, Jackson était immortel pour une raison qui le dépassait complètement. Ce n'était pas un pouvoir dont il voulait, en plus. Car sa peine n'en était pas moins là, à lui ronger les entrailles comme une bestiole acharnée. Son âme était tourmentée par la douleur, la culpabilité et le deuil qu'il ne parvenait pas à accomplir. Son état particulier, en fait, amplifiait terriblement ses peines. Son fils était mort par sa faute et lui restait là, à pleurer sur l'avenir que Simon ne verrait jamais tandis que lui en avait désormais un selon toute vraisemblance éternel.
Trisha s'en était allée aussi, le laissant retomber dans une mare encore plus gluante et vaseuse que celle dont elle l'avait tiré à force d'amour et d'affection. Leur tendresse, Jackson en était privé. De la possibilité de se corriger envers eux, de se confondre en excuse, de faire preuve de l'amour qui pulsait en lui si fort que ca en devenant inconfortable comme une trique massive bloquée dans un jean slim. Jaxx aurait échange dix fois son immortalité contre la possibilité d'une étreinte de quelques secondes seulement avec les siens.

Il serait donc un coupable pour l'éternité. Un châtiment karmique d'une cruauté absurde qu'il ne considérait pas mérité et qui, peu à peu, l'entraînait vers des pensées noires comme le fond des abysses. Un océan de vices perturbés, de plans détraqués, de perversions refoulées et de pulsions irraisonnées.
Comme si son immortalité et l'injustice de son sort éveillaient en lui une bête immonde qui n'attendait plus que l'occasion de se déchaîner enfin.

"Regarde toutes ces jolies lumières…"

Elles étaient belles, oui, ces étoiles qui égayaient l'horizon de la nuit. Mais ne projetaient-elles pas une ombre immense qui, lentement, engloutissait la ville comme son âme ?
Dans ces feux-follets vacillants valsaient Peine et Malheur sur les pas d'une chorégraphie dictée par Violence.
Celle qu'il s'infligeait à lui autant que celle qu'il estimait de plus en plus normal, si ce n'était nécessaire, de devoir infliger aux autres.

Et Jackson n'était pas certain qu'il résisterait encore longtemps à la tentation d'entrer à son tour d'emprunter les pas de danse macabre qui éteindrait, une à une, toutes les jolies lumières.

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