Le jeune homme, malgré son air amical et sa relative délicatesse restait bien mystérieux encore aux yeux d’Enothis. Pourtant, le voilà avec ses documents administratifs dans les mains, à pouvoir lire la moindre information qui s’y trouvait. C’était un pari, peut-être un peu risqué d’ailleurs pour la jeune femme, mais elle n’avait pas vraiment de raisons de rester ici, figée et inactive, dans l’attente d’une bonne et miraculeuse nouvelle alors qu’elle avait bien conscience que rien n’irait en son sens à ce rythme. Il semblait être capable de l’aider, du moins l’assumait-il avec un peu de suffisance, ou de confiance en lui, alors … Alors elle faisait le choix de s’y essayer, et si les choses prenaient une tournure plus singulière, moins agréable, elle demanderait sûrement à Emaneth de lui zapper sa mémoire comme on gomme une faute d’orthographe sur un devoir de littérature japonaise. Au moins, elle l’observait faire, commencer à passer entre les différents documents avec quelques signes simples sur le visage, allant de l’étonnement avec un petit sourcil relevé à la désapprobation, marquée quant à elle par un long mouvement de tête de droite à gauche. Au moins semblait-il vouloir faire bien les choses, elle ne pouvait pas vraiment le lui ôter. Pas sûr que cela l’aide à partir en croisade contre ce temple de la perfidie humaine qu’est l’administration, mais au moins elle s’en trouvait un peu rassurée : Il y avait en ce jeune homme suffisamment de bonne volonté, de zèle, si elle pouvait se permettre un tel mot, pour qu’elle puisse s’imaginer qu’il allait vraiment essayer de l’accompagner dans sa démarche. C’était plaisant, avouons-le.
«
Bien entendu. Je m'appelle Damien. Enchanté, Eno... Enothis !-
Enchantée, Damien. Écoutes, j’sais pas à quel point tu pourras faire quelque-chose, mais en tout cas merci du coup de main. »
Elle était un peu monotone dans son ton, mais ce n’était pas vraiment contre lui, bien plus à cause du temps qu’elle avait déjà perdue à se battre pour trouver une solution. Elle s’apprêtait à se relever quand elle le vit tendre la main dans un signe amical, et sur le coup, manqua se demander si il s’attendait vraiment à ce qu’elle lui sert la main de manière si … officieuse, alors même qu’ils ne semblaient pas avoir eux un échange si professionnel que cela ? Enfin, cela ne lui coûtait rien, aussi elle fit le minimum, et vint prendre sa main dans la sienne pour la serrer avec un geste rapide, commune à toute poignée de main qui se respecte. Autant dire que le jeune homme ne dût pas percevoir grand-chose quand elle lui prit sa pogne, la force de la demoiselle n’étant guère de nature à pouvoir s’imposer. Enfin, le geste fait, elle se redressa, et put entendre ce compagnon fort courtois faire de même. Visiblement, maintenant que les documents avaient été échangés, il était temps pour chacun de revenir à ses activités naturelles : Lui, elle ne savait pas trop, mais elle, elle allait profiter de sa journée libre pour retourner à ses travaux et révisions. Ce n’était pas parce qu’elle allait manquer d’aides qu’elle se devait pour autant de négliger ses études, après tout elle était au Japon notamment pour cela ! Toutefois, Damien sembla avaoir encore quelque-chose à lui dire, aussi attendit-elle qu’il s’exprime avant de prendre congé, ce qui ne tarda bien sûr pas le moins du monde :
«
Je ferais mieux de m'y mettre, en tout cas. J'ai ton numéro dans le dossier, j'imagine ? Je t'appellerai ce soir ou demain pour te donner des nouvelles, ça te va ?-
Si tu trouves quoi que ce soit qui puisse m’aider, bien entendu. Page trois tu as mes coordonnées je crois, c’était ma demande officielle avec l’adresse correspondante sur le sol nippon. Hummm et tant que j’y pense, demain c’est le week-end, donc si au pire tu veux me répondre un peu plus tard, tu pourras, hein ? Je crois que je serais plus à ça prêt de toutes manières... »
Elle fit quelques pas pour quitter le hall en ronchonnant, puis s’arrête en chemin, et se retourne pour lui faire un dernier signe avant de retourner à sa petite vie habituelle :
«
Hey… Merci pour le coup de main. Bon courage et bonne journée. »
Puis elle partie. Retour à la maison d’abord, puis à ses études. Elle ne manqua pas de se questionner dans la journée, de chercher à savoir si elle avait bien fait, non seulement d’accorder sa confiance aussi rapidement, mais aussi d’avoir laisser entre les mains d’un jeune homme (même si un peu plus vieux qu’elle) autant d’informations personnelles. Parfois, elle se trouvait idiote d’avoir agit ainsi, et à d’autres moments de la journée, elle se convainquait du fait qu’un tel damoiseau ne pouvait guère avoir de lien avec les membres de son culte, et qu’ainsi il était tout à fait improbable que les recherches qu’il allait faire finissent par apparaître aux yeux et aux oreilles de ses poursuivants. Finalement, elle eut le bon choix d’assommer ses turpitudes à coup de café, et de simplement laisser son esprit se focaliser sur son boulot, la jeune égyptienne ayant fort à faire encore sur le plan scolaire, et ayant besoin de progresser rapidement si elle souhaitait prouver qu’elle était capable de réussir ses tests de mi-année. Alors elle y passa la journée, entre les documents de ses professeurs sur les mathématiques appliquées, ou les manuels de langue. Finalement, elle se rendait bien compte qu’elle avait de réelles capacités dans certaines matières, mais elle avait besoin de tant de temps pour déchiffrer certaines consignes qu’elle finissait toujours à devoir rattraper le temps perdu. Au moins, à passer la journée ainsi, elle ne se prit pas plus la tête que ça. Elle fut même assez surprise quand elle remarqua, à quelque vingt-deux heures de la soirée, qu’elle n’avait même pas chercher à attendre un éventuel coup de fil de son allié providentiel. Au moins n’avait-elle pas stressée à ce propos : Elle attendra sûrement le lendemain matin pour voir si il avait quelques retours.
Aussi chercha-t-elle simplement à finir la journée devant une ou deux émissions dont le potentiel de distraction était proportionnel au degré d’abrutissement qu’elles provoquaient. Un plat de riz avec quelques légumes, vautrée dans le canapé, et un combat de scarabée, autant dire que la soirée ne suivait pas vraiment le degré intellectuel de la journée. Mais encore une fois, tant qu’Enothis pouvait ne pas penser à ses problèmes, cela lui convenait. Elle fit donc le minimum possible du reste de son temps, contempla avec l’esprit vide ce que la télévision japonaise proposait de plus … étrangement savoureux, puis vint à éteindre son poste de distraction avant de s’enfuir mollement jusqu’à ses couettes, laissant au lendemain le soin de réparer les soucis de la matinée. Quand elle vit sur son radio-réveil qu’il était plus d’une heure du matin, elle manqua se demander si son camarade était encore debout, lui, en train de passer au peigne fin les informations qu’elle lui avait confiée… Et finalement, elle rejeta l’idée avec un soupir las, comprenant que son interrogation ne saurait mener à quoi que ce soit de constructif : Elle ne pouvait même pas lui envoyer un message pour lui demander si tout allait bien, étant donné qu’elle était partie sans faire le moindre échange de numéro. Franchement, socialement, elle avait encore des progrès à faire. C’est donc après avoir tout reporté à la journée suivante qu’elle s’endormit, avec le léger espoir qu’au lendemain une solution lui soit présentée. Et si ce n’était pas le cas, tant pis, elle aura au moins essayée.
*
* *
Son radio-réveil ? Pour tout dire, elle ne l’avait pas désactivé, aussi se mit-il à sonner tôt dans la matinée, sans même qu’elle n’y fasse attention. Lourdement assoupie, elle ne fit pas le moindre geste pour se tirer de sa couette, ni même pour éteindre le petit appareil dont la mélodie résonnait dans l’ensemble de l’appartement. En revanche, et même si ce fut quelques heures plus tard, quelque chose la tira immédiatement de ses songes, la força non seulement à ouvrir les yeux, mais surtout à se rendre immédiatement disponible pour ce qui allait suivre. Il s’agissait de son téléphone. Alors qu’elle sommeillait toujours, le portable se mit à vibrer d’abord, puis à lancer sa petite musique habituelle, signe qu’on l’appelait. La première seconde, elle s’éveilla, et la seconde, elle comprit malgré sa torpeur ce qu’il se passait. Autant dire que la réaction fut immédiate : Sautant de son matelas maladroitement, elle chercha d’abord du regard si elle ne trouvait pas son appareil, puis s’élança vers ses vêtements pour les secouer en tout sens, espérant y trouver le précieux téléphone. Résultat zéro, et le portable entamait déjà sa troisième sonnerie, aussi courut-elle dans le salon, avant de l’apercevoir, magnifique et providentiel, sur son canapé. Ni une, ni deux, elle bondit pour l’attraper, se vautrant sur son mobilier avec aise étant donné le confort de celui-ci, puis appuie immédiatement sur le bouton pour répondre, lançant la communication immédiatement, avec le bon espoir que la personne de l’autre côté du fil n’avait pas coupé par dépit :
«
Enothis Anekhtotehm, oui, que puis-je pour vous ? »
Tant pis pour la voix ensommeillée et le manque de dynamisme.