Une chose avait toujours comblé Alecto, et ce depuis toujours : faire le bien autour d’elle. Avoir le sentiment profond d’avoir donné le sourire, d’avoir satisfait un besoin, d’avoir apporté son aide à quelqu’un, d’avoir par sa présence, un mot, un geste ou une action répétée, apporter même un infime bonheur à autrui.
Et lorsqu’elle vit la réaction de Klaus à son offrande, le cœur de la petite Esclave bondit dans sa poitrine. Ses claquements de mâchoire répétés n’étaient plus du tout effrayants, désormais que la jeune fille savait les analyser… Elle se sentit heureuse, malgré le lieu où ils se trouvaient, et malgré la terrible situation où il pataugeait. Lorsque l’immense Reptile se mit à genoux, puis s’inclina pour se plier et se mettre à ses pieds, pourtant, la Domestique se sentit instantanément gênée.
Était-ce une coutume dans sa patrie pour la remercier ? Elle comprit facilement qu’il lui disait merci, et l’enthousiasme grave, empli d’honneur, était touchant, l’émouvant profondément. Dans cet élan, impossible de ne pas apprécier la brève étreinte qu’elle lui offrit, à nouveau, comme si la barrière de la langue la forçait à trouver d’autres moyens de s’exprimer. En réalité, la jeune fille ne communiquait pas beaucoup, en temps normal, et encore moins ses sentiments ou pensées profondes. Tout ceci était nouveau, et elle découvrait comme c’était agréable.
« Heco… calet »
C’était soleil ! Soleil ! Il avait compris. Visiblement, Klaus adorait cela aussi et en y songeant, l’Esclave estima qu’en effet, les crocodiles vivaient plutôt dans les endroits chauds. Mais avec de l’eau. Elle eu une petite moue désolée en estimant qu’il aurait à se faire à un climat bien moins adapté à ses préférences mais… aurait-il le choix ? Chassant de vilaines pensées, elle préféra rester joviale, l’expression étrange de la face reptilienne lui donnant énormément de satisfaction, comme une bulle autour d’eux, malgré tout.
Elle allait tenter de lui faire comprendre d’autres mots, pour qu’il puisse les lui dicter dans sa langue, lorsque les miliciens sursautèrent, se remettant droit comme des piquets, au garde-à-vous. La Cheffe du Guet venait d’entrer par une autre porte, au fond, et Alecto pencha la tête pour les observer. Son cœur se mit à battre à tout rompre. Petrona n’était pas seule. La silhouette derrière elle était grande, charismatique, ses cheveux turquoise ondulant sous un chapeau typique.
Thiana Gian était magnifique.
Alecto fut pétrifiée, et son premier sentiment fut l’admiration, l’amour démesuré qu’elle lui portait, la dévotion absurde la rendit heureuse, soulagée. Sa Maîtresse était là, elle venait les sauver, elle avait pensé à elle, elle ne l’avait pas oubliée ! Comme n’importe quel chien fidèle, l’Esclave ne songeait qu’au bonheur d’avoir son maître à ses côtés, enfin, après tant d’absence.
Mais soudainement, elle se souvint parfaitement de l’endroit où la Sorcière venait les chercher. Et pourquoi. Son corps se tendit à l’extrême, elle ferma les yeux. Ils avaient sans doute énormément déçu la Magicienne, elle devait être meurtrie par leur comportement inapproprié, indigne, qui jetait le déshonneur sur son nom et son Auberge… Alecto en aurait pleuré de honte. Mais Thiana Gian marchait, du haut de ses bottes aux talons hauts qui claquait, le regard vibrant d’une intense malice.
Elle s’arrêta devant les barreaux, et immédiatement, Alecto se jeta au sol, soumise, le front dans la poussière ou les immondices sans sourciller, les paumes bien à plat et le dos rond.
« Pardon Ma Dame, pardon ! »
La Sorcière esquissa un sourire qui put paraître tendre, s’accroupit en penchant la tête doucement vers sa petite Domestique, puis releva le menton pour poser ses yeux turquoise sur le Saurien.
- Tu as trouvé le remplaçant idéal pour Angus. Son sourire s’étira étrangement, presque carnassier. Mais je ne saurais me soustraire à la Loi, n’est-ce pas, Alecto ?
« N… Non, Ma Dame. » Elle pleurait. La voix de sa Maîtresse la rassurait autant qu’elle la terrifiait. Elle y sentait la déception causée, et en tirait un trouble dévastateur. Terriblement coupable, Alecto renifla.
- J’ai payé ta libération. Son regard passa de nouveau sur Klaus. Ton jugement, à toi, viendra rapidement, j’ai fait accélérer la procédure.
Elle lui parlait, étrangement, comme elle l’aurait fait à n’importe quel humain. Alors que beaucoup le voyait soit comme un animal, soit comme un monstre, Thiana Gian semblait plutôt le considérer juste comme son nouvel esclave. A ce titre, elle lui parlait comme tel.
« Merci Ma Dame, merci ! »
La Cheffe du Guet s’avança alors, les yeux noirs assez neutres, d’un pas irrégulier, pour ouvrir magiquement la serrure, et Alecto sembla seulement comprendre ce qu’il se passait. Elle serait séparée de Klaus, il allait devoir rester ici, et elle, elle sortirait. En panique, bravant son devoir de rester calme et au sol face à sa Maîtresse, la jeune fille se redressa et sauta à nouveau sur le genou du Saurien. Elle parlait vite.
« Klaus. Klaus. Je vais m’en aller, mais toi, il faut rester ici. Reste ici. Reste ici. Je vais revenir te chercher. »
La peur lui lacéra le ventre, elle craignit qu’il ne réagisse avec violence et visiblement, la Magicienne aux yeux noirs aussi, les gardes postés autour de la cellule l’attestaient. La Domestique tenta de se calmer et souffla, reprenant avec douceur.
« Klaus. Reste ici. Sois gentil. Gentil. Je vais venir te voir tous les jours. » Sa voix se fit plus basse. « Thiana Gian ne laissera pas un de ses Esclaves, nouvellement acheté et à bon prix, se faire exécuter. Elle va te sauver. Tu vas t’en sortir. Crois-moi. »
Alors que Gian l’appelait, dans son dos, Alecto posa ses lèvres sur les écailles plus dures de son genou, et dut se résoudre à rompre le contact, pour ne pas faire attendre sa Maîtresse. Elle lui sourit, avant de faire demi-tour, et de sortir avec les deux Sorcières. Lentement, Petrona referma la porte, et sembla redoubler d’efforts surnaturels pour garantir la solidité comme la dangerosité des barreaux, en le regardant droit dans les yeux.
Thiana prit la main d’Alecto, entrelaçant ses doigts aux siens, comme si elle voulait être douce, et en s’éloignant, la petite Esclave tourna une dernière fois les yeux vers le Reptile, lui adressant un dernier sourire, avant de disparaître par la porte du fond.