Déboussolée parce qui venait de se passer, et encore largement paniquée par la course poursuite avec la Milice, Alecto une fois au sol se mit à courir pour refermer l’immense porte. Elle la verrouilla à petits gestes nerveux et brouillons, le visage livide. Elle avait encore en tête les cris de la Procession et n’arrivait pas à passer outre. Klaus avait tué deux hommes, assommé un troisième, mis à sac une cérémonie religieuse. Il n’était pas adapté à la vie citadine, il ne parlait pas leur langue.
Les larmes embuaient ses yeux clairs, mais la venue d’une femme aux traits félins, oreilles et queue de velours, l’empêcha de se laisser aller. Elle était grande et élancée, la démarche de fauve, l’œil vert et perçant, glaçant, qui bougeait très vite pour percevoir l’ensemble des intrus. Elle avait l’air méfiante, évidemment, dès lorsque Klaus venait d’enfoncer sa porte, et ses griffes rétractiles étaient sorties en prévention. Pourtant, elle paraissait parfaitement maîtresse d’elle-même, aux aguets certes, mais d’un calme olympien. Ses yeux d’émeraude se fixèrent sur Alecto.
« Hécate, bonjour. Je. Euh. » Des pas métalliques résonnèrent derrière la porte sur les pavés de la rue, faisant trembler la petite Esclave et révélant sans doute à femme-chat l’objet de leur intrusion.
- Est-ce que ça va attirer des ennuis à la boutique ?
Miaula-t-elle simplement d’un air froid, ce à quoi Alecto était peiné de répondre sans mentir, se mordant l’intérieur de la joue avec gêne.
« Euh… » Hécate soupira longuement, fronça les sourcils en regardant le Reptile, puis le petit fardeau qu’il tenait sur l’épaule. Voyant cela, l’Esclave se dépêcha de dissiper ses doutes. « Il est vivant. Juste. Inconscient. »
La Féline parut sonder le regard de Klaus un long moment, estimer qu’il était dangereux, certes, mais se rendre à l’évidence en voyant le visage décomposé d’Alecto. Elle pesait visiblement le pour et le contre rapidement.
- J’ai pas envie que le contrat de la Sorcière soit caduque, alors vous pouvez rester là le temps qu’il faut. S’il casse quelque chose, je le facturerai.
Déclara alors Hécate, sa queue remuant légèrement en signe d’agacement, avant que les bruits de pas rapides n’amènent une autre femme, petite et grassouillette, le visage lumineux aux pommettes roses, l’exacte opposé de la Terranide méfiante et froide. En passant à côté d’elle, la petite main aux doigts bouffis caressa machinalement son dos, avant de venir tout près d’Alecto, joviale.
- Hé ben alors, tu as des ennuis c’est ça ? Ohlala, mais il est immense ton nouvel ami Alecto, ‘pas l’air commode, en tout cas, presque aussi effrayant que mon Hécate. Pis dis-donc, c’est qu’il a emporté son déjeuner, hein.
Elle éclata de rire, seule, parce que sa compagne semblait incapable d’une telle hilarité, et que la Domestique était trop perturbée pour réussir à se laisser ainsi aller. Pourtant, les deux Blanchisseuses avaient accepté de les cacher le temps de pouvoir réfléchir correctement à la méthode idéale pour annoncer les mauvaises nouvelles à sa Maîtresse.
Hécate retourna rapidement travailler, non sans avoir été obligée d’embrasser sa Douce, qui ricanait à l’idée de l’agacer. Marrka était une femme merveilleuse, le type de personne qui rendait Alecto confiante en l’avenir, et qui la rassurait dans ses croyances en la bonté et la bienveillance. Cette dernière n’avait pas l’air effrayée par Klaus, qu’elle invita à la suivre dans un immense atelier où des draps, linges divers et tissu attendaient d’être repassés. L’atelier étant haut de plafond, certes trop petit pour l’immense Saurien, mais il serait plus agréable qu’un salon classique, songea Alecto.
Alors que Marrka leur servait une tisane fumante, la Domestique prit sur elle de lui raconter toute l’histoire, évitant en se mordant la langue de parler de l’arrangement convenu avec Enki, bien entendu. La Blanchisseuse enthousiaste vivait ce récit avec empathie et regardait de temps à autre Klaus, notamment à l’évocation des Gardes éviscérés.
- Roh, non… ‘faut pas faire ça Klaus, ils sont pas bien malins, mais c’pas une raison tu sais. J’en connais un qui va s’faire gronder par la Sorcière.
Mais même cela ne semblait pas pouvoir effacer son rire. Se fichait-elle vraiment de tout ou était-ce de l’optimisme surjoué ? La bonne femme s’accouda en soupirant.
- Bah en tout cas, il a faim ton lézard, ma p’tite, si tu y as donné que deux poulets et demi. Y mange du chevreau tu crois ?
Sans attendre de réponse, elle se leva et disparut dans une pièce adjacente, le temps pour Alecto se s’approcher du Reptile, gênée.
« Klaus… Il faut poser Enki, je vais lui parler… » Elle allait devoir assumer les conséquences des actes atroces de la Créature, et avait une boule au ventre à cette idée. Pour sûr, l’Adolescent perspicace saurait tirer ces mésaventures à son avantage.