« Je peux en avoir un autre ?
- C'est que.... Il n'y en a plus, Lied. »
Scandale ! Là, assise sur son canapé, la jeune tekhane restait coite, bouche ouverte et yeux écarquillés, la main tremblante devant sa chère et tendre cousine qui ne savait déjà plus où se mettre tant elle regrettait ces paroles tristes mais véridiques. Il ne restait plus une seule des délicieuses pâtisseries. Belphy était retournée sur ce monde étrange qu'était la Terre et, pour faire plaisir à sa cousine aux cheveux roses, lui avait rapporté tout un assortiment de pâtisseries et bonbons qui avait fait sa plus grande joie, et qu'elle avait eu plaisir à partager avec sa petite famille. Sauf que, bien évidemment, tout plaisir ayant une fin, Lied venait tout bonnement de croquer la dernière pâtisserie, un macaron au citron caviar meringué, et son visage portait les traits d'une personne assistant à la fin du monde. Elle reposa son assiette, qui ne comportait qu'une mince tâche verte de pistache, preuve qu'elle n'avait rien laissé, pas même une miette, de ces bijoux sucrés. Sur la table gisait la boîte en carton glacé, blanche avec quelques arabesques de violet, où était inscrit en lettres d'argent le nom de la pâtisserie où Belphégor avait fait trouvaille. Une belle calligraphie, des jeux d'épaisseur, même dans le design ce n'était pas de la rigolade.
De quoi rendre Lied dingue. Elle en voulait plus. Par un malheureux hasard, une peluche d'enfant s'était coincée dans une ventilation de sa pâtisserie préférée, provoquant un incendie. La boutique était donc actuellement fermée. Quel malheur, en ce premier weekend de réunion de famille ! Les joues de la sénatrice s'empourprèrent ; elle en voulait plus. Davantage de sucrerie, encore des ganaches, toujours plus de crème pâtissière !
« Où as-tu eu ces pâtisseries, Belphégor ?
- Lied, tu ne vas quand même pas...
- Dis-moi juste où.
- Seikusu, mais Lied vraiment je t'assure tu- »
La mercenaire ne put placer une syllabe de plus que la jeune femme aux cheveux rose était debout et se saisissait de sa veste. Soit. Elle partait donc pour Seikusu. Elle ne pouvait pas attendre que Belphy retourne en mission, dans un temps indéterminé, pour ravoir une gourmandise. Elle voulait maintenant, dès lors, et n'était pas capable d'attendre ne serait-ce que quelques heures de plus. C'était inadmissible ! Dans quelque hangar clos en périphérie, Lied tripatouillait une télécommande pour choisir sa destination. Par chance, la femme aux cheveux de sang étant elle aussi passée par ce portail fabriqué, ses dernières coordonnées étaient enregistrées, et pour une délicate fleur telle que Lied, qui ne s'y connaissait guère en mécanique technologie ou autre, il était plus simple de presser un unique bouton que de rentrer à l'aide d'un clavier des chiffres à n'en plus savoir que faire. Une lueur bleutée jaillit de l'anneau d'acier, alors qu'une sonnerie retentissait dans l'une des poches de sa veste. Elle n'avait pas besoin d'activer l'écran pour voir qu'il s'agissait au mieux de sa cousine, au pire de ses mères qui chercheraient à la dissuader de se rendre dans ce lieu peuplé de créatures barbares et masculines. Mais Lied était têtue, ce n'était pas nouveau. Elle serra sa veste un peu plus fort contre sa poitrine et traversa le portail en direction d'un monde plus appétissant.
Les rues de Seikusu étaient fort particulières : il y avait un peu de monde, autant des personnes qui allaient ou revenaient d'un travail de bureau, qu'elle remarquait à leur costume impeccable, que des petites familles, couples avec enfants ou non, qui se promenaient et profitaient allégrement de ce weekend ensoleillé. Les devantures des magasins étaient toutes plus colorées les unes que les autres, chaque regard sur l'une puis sur l'autre provoquant le défi entre les deux. Mais l'étrangère râlait. Dans sa colère et sa précipitation, elle n'avait emmené le carton qui indiquait sa destination finale, et quand bien même elle avait toute la journée voire plus, elle prenait le risque de ne jamais trouver ce qu'elle cherchait, ce pour quoi elle était venu, traversant les dimensions et abandonnant sa famille et son boulot. La première pâtisserie se présenta à sa vue. Elle porta les yeux vers des petites tartelettes de fruits brillants, comme enrobés de sirop. Lied renifla l'odeur, ce sucre parfumé qui gouttait sur une tartelette de fraises bien rouges... et elle fit la grimace. Les fraises n'avaient pas d'odeur ni de saveur, cultivée sans jamais voir la lumière du soleil. Elle en était sûre, une grande pratique de la gourmandise la rendait quasiment infaillible et intraitable à ce sujet. La demoiselle passa donc son chemin, poursuivant sa quête.
Quelques minutes plus tard, Lied, poursuivant sa route, remarqua du coin de l'oeil une enseigne. Elle ressemblait un peu à celle qu'elle cherchait sans vraiment être la même. Et puis, est-ce que les arabesques étaient vraiment violettes ? N'étaient-elles pas bleues ? Ou peut-êtres vertes ? En tous les cas, un homme portant un tablier proposait aux passants de goûter des macarons, assemblés en une chenille sculpturale fort colorée, digne d'un dessin animé pour enfants. C'était amusant, attirait les enfants, mais n'intéressait guère plus que cela la jeune femme. Du moins, jusqu'à ce qu'elle ne se fasse abordée. Le ton du pâtissier ne lui plaisait pas vraiment : il était familier, à la limite du vulgaire, et sa manière de lui tendre le fruit d'un dur labeur lui déplaisait tout particulièrement. Une jeune femme bien étrange se tenait là, à côté, mais ce n'est qu'à peine si Lied la remarqua. A vrai dire, elle était plus sceptique de la couleur de la petite pâtisserie ronde qu'on lui tendait qu'autre chose, un bleu pâle qui ne ressemblait à aucun fruit connu. Même une myrtille aurait donné une teinte plus violacée à la pâte cuite du macaron. Au bleuet, le biscuit aurait été plus odorant. La collerette était timide, mais pourtant, elle fit l'effort de prendre du bout des doigts le macaron et le porter à sa bouche. Ce n'était qu'un macaron au chocolat blanc qui avait reçu une dose de colorant alimentaire. C'était.... décevant. Et cela se vit dans la posture de la jeune femme, dont les épaules s'abaissèrent un peu. Peut-être était-elle trop habituée aux pâtisseries les plus délicates ? Elle termina malgré tout le macaron d'une bouchée, essuya ses lèvres avant de fixer l'autre femme, puis le pâtissier.
« J'espère que vous ne proposez pas que du chocolat blanc, et que ceux que vous vendez sont meilleurs que ceux-ci. Non pas qu'ils ne sont pas bons, mais je m'attendais à mieux, je dois avouer. »
Le pauvre homme ne répondit pas. Peut-être ne s'attendait-il pas à ce qu'une passante ait un verdict aussi pointu, ou peut-être venait-il de remarquer combien celle-ci était jolie. Ou de manière plus vulgaire, avait posé les yeux sur son décolleté qui mettait en valeur sa peau douce dans sa robe de soie blanche. Lied dirigea ses yeux bleus vers la jeune femme à côté d'elle, lui adressant dès lors un sourire doux.
« Il me semble que les éclairs doivent être mieux réussis, je ne saurais que vous encourager à y goûter. Je ne fais que passer, je cherche désespérément une boutique particulière qu'un membre de ma famille m'a conseillée. »
Malgré tout, elle avait fort envie de confirmer ce que son odorat lui disait ; elle était la reine du sucre, après tout ! Sauf qu'en mettant une main dans sa poche, sortant de là le bracelet qui lui permettait habituellement de payer ce qu'elle souhaitait à Tekhos, qu'elle percuta une chose, une toute petite chose de rien du tout. On ne payait pas ainsi dans ce monde-là. Dans sa précipitation, elle n'avait aucunement pensé à ce problème, et se retrouvait sans rien, là, dans cette ville, à chercher quelque chose qu'elle ne pourrait même pas quérir vu qu'elle n'en avait pas les moyens ! Sur son visage se lut la plus grande déception possible, son corps s'abattant sur lui-même tant elle était dépitée par sa bêtise. Elle entendait déjà une voix familière lui dire « Lied, tu es têtue comme pas permis, tu ne penses à rien dans ta précipitation ! ». Et elle n'avait franchement pas tort. La demoiselle perçut vaguement qu'on lui demandait ce qui n'allait pas, et elle ne put que répondre qu'elle avait laissé son portefeuille chez elle, et ne pouvait pas aller le récupérer.