Alecto avait eu du mal à suivre véritablement le Démon oriental, et elle ne comprenait visiblement pas vraiment ce qui se tramait pourtant devant ses yeux. Le voir utiliser ses pouvoirs, même minimes, l’impressionna, et cela lui rappelait des souvenirs lointains. Il lui semblait avoir déjà côtoyé de la magie, en dehors des démonstrations démoniaques de Damascus, évidemment.
Dans la boutique, le vieux Terranide l’intrigua, et puisqu’elle n’avait plus la gêne morale de suivre ses désirs, ne se priva pas d’observer l’échoppe avec curiosité, mais sursauta bientôt, dès qu’elle entendit le rapace prononcer son nom. Elle était persuadée de ne jamais l’avoir rencontré. Alecto cilla, comme incrédule, mais Silat lui ne semblait pas le moins du monde déstabilisé, comme s’il s’attendait à tout ceci.
Vraisemblablement, elle était liée à cet achat, et rien ne semblait être dû au hasard dans cette affaire. Elle se mordit l’intérieur de la joue et poliment salua le vendeur aux grands yeux, mais n’était pas au bout de ses surprises. Intriguée de plus en plus, voir très clairement l’objet recherché par Silat l’émerveilla, mais elle manqua un battement de cœur à l’instant même où elle lisait son nom, gravé sur le narguilé.
« Qu… » Le Hibou semblait très fier de l’objet, et s’adressait à elle en cherchant son approbation. Il aurait été indélicat de le contredire, mais le Démon oriental, lui paraissant très pressé, comme depuis leur rencontre. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais l’homme comme le terranide se montraient très poli vis-à-vis d’elle… Un respect dont elle n’avait pas l’habitude, à vrai dire, et qui la troublait encore.
« Je euh… Eh bien, merci. Je suppose. » Fit-elle pour essayer d’être aimable envers le volatile. « Il est … très joli. »
Alecto ne comprit absolument rien de l’échange entre les deux personnes en affaire, d’autant qu’elle n’avait entendu parler de Lilith qu’en de très rares lectures, et que c’était un nom qui n’était pas permis de prononcé, d’après ses souvenirs, dans les cercles qu’elle avait côtoyés. Elle s’en trouvait, désormais que le Glyphe l’avait libéré de l’Ordre Immaculé, très intriguée. De quelle influence néfaste parlait-il, au juste ? Elle suivit du regard les deux interlocuteurs, assez insatisfaite qu’on parle d’elle ainsi, sans prendre la peine de l’en informer directement. Encore un contre-coup de la possession de Damascus sur sa personne.
Plus elle admirait le narguilé, et plus elle se sentait attirée par lui, y voir inscrit son prénom était à la fois confusant et presque flatteur. Quelqu’un c’était donné du mal pour elle, après tout, non ? La main sur son épaule la tira d’une réflexion où elle se perdait, et ses yeux clairs se tournèrent vers le Démon.
« Y aller ? » S’étonna-t-elle, encore une fois totalement dans le brouillard de la situation qu’elle ne contrôlait en rien. Il évoquait le Palais Nocturne, mais Alecto ignorait où se trouvait cet endroit. Et l’évocation du temps, enfin de son absence, ne l’éclaircit toujours pas davantage. Malgré la profonde douceur de la jeune femme, et la curiosité enthousiaste, un agacement léger débutait à envahir son esprit…
Elle fut alors entourée de fumée sans pouvoir l’expliquer, et l’Esclave émit un couinement en ressentant un extraordinaire et étrange sentiment durant ce transport. Silat avait cherché à rendre son ‘atterrissage’ confortable, mais la tête lui tourna, et elle sembla perdre l’équilibre comme sous ivresse, un instant.
En relevant les yeux, elle découvrit l’intérieur raffiné et exotique de cette chambre, dépaysante à souhait pour celle qui n’avait jamais voyagé plus loin que Nexus, et encore, pas tous les quartiers… En se retenant à lui, Alecto ouvrait de grands yeux, et ne se rendit pas compte que sa bouche formait un o ébahit.
Tout ceci était trop perturbant pour elle, l’Esclave se sentait actrice forcée d’une farce dont elle n’entendait rien, soumise à des lois plus fortes qu’elle… Oh, bien sûr, elle en avait l’habitude, mais cette fois, le glyphe l’aidait à ne pas accepter mollement son sort. Malgré l’invitation aimable du Sultan, Alecto secoua la tête, puisqu’elle ne savait pas être impolie, mais se planta devant lui, son petit visage délicat presque courroucé.
« Loin de moi l’idée de vous manquer de respect, Messire Silat, mais il me semble que vous pourriez m’expliquer pourquoi cet objet porte mon nom, et où je suis. Et. »
Elle avait mille questions, mais elle se rendait compte qu’elle ne savait pas être en colère… La Corneille soupira légèrement, reportant son attention sur le narguilé, s’en approchant pour analyser davantage les gravures, et elle sentit une chaleur étonnante et surnaturelle l’envahir de cette proximité.
« Je ne fume pas, habituellement. » Souffla-t-elle, l’or et le cuivre se reflétant dans ses grands yeux clairs. Il y avait quelque chose de fascinant dans cet artefact, et étrangement, elle se sentait lié à lui.