Il n’était pas mort.
Malgré la brutalité du geste, la piqûre dans son dos contre la paroi dure, la violence de cette main qui l’étranglait, Alecto se concentra sur la seule chose qui importait. Son Sauveur n’était pas mort, Dieu avait d’autres plans pour lui. Elle était soulagée.
Totalement ignorante des diverses créatures qui pouvaient peupler Terra et les autres mondes dont elle ne savait rien non plus, la petite Esclave balbutia avec peine un confus « p… pardon Messire. » avant d’attendre, servilement, qu’un veuille bien la reposer au sol.
Il avait blasphémé.
Mentalement, en fermant les yeux, la jeune femme en guenilles luxueuses prononça quelques mots pieux, sans doute pour demander à l’Ordre de pardonner ces mots durs. Sans doute dus au choc, songea-t-elle, pour quelles autres raisons un homme pouvait-il dire de telles insanités ? Candide sur la nature véritable de son Protecteur, qui tenait désormais office de Bourreau, Alecto ouvrit de grands yeux choqués lorsqu’il désigna sans gêne sa poitrine, et un mouvement de réflexe vint la masquer vainement, dans une attitude pudique.
Inutile de dire qu’elle ne savait pas ne pas répondre à un Homme Libre, mais elle était si chamboulée et sa respiration coupée par la poigne sévère du Combattant, qu’elle ne réussit à articuler que des onomatopées indistinctes.
Les paroles du Démon résonnaient à ses oreilles. Il ne la remerciait pas ? C’était parfaitement grossier, pensa la jeune Esclave, mais se garderait bien de tout jugement. Tenant sa langue, elle estimait que la considération d’un homme venant de la sauver était bien suffisant. Aussi crut-elle bon d’ajouter, d’une petite voix éraillée.
« Vous m’avez sauvée la vie, Messire, c’était mon devoir. »
A vrai dire, Alecto ne savait pas laisser quiconque sur le carreau, faible ou puissant, que cela puisse la mettre en danger ou non. Chaque vie était précieuse, pour elle, et se montrer bonne en toute circonstance était un mantra qui régissait sa vie. Pourtant, quelque chose l’intrigua à nouveau, et elle cilla.
« Humaine ? » Pourquoi n’avait-il pas dit ‘femme’ ? Il ressemblait à un Humain, mais elle savait que certaines races pouvaient, peut-être, beaucoup y paraître ?
Pas le temps d’avoir la moindre réponse, elle se sentit pousser vers l’avant, imaginant alors qu’elle devrait ouvrir la marche. Avec cette lancée, elle essayait de ne pas perdre l’équilibre, et la marche lui semble durer des heures entières. Peu endurante, elle haletait, soufflait, le visage rendu disgracieux par des grimaces de douleur, mais jamais elle ne se plaignit.
Bien éduquée, elle n’exprimait aucun besoin, ni de s’arrêter même lorsqu’elle se tenait le ventre prise d’un point de côté, ni de juste ralentir la cadence lorsque ses sandales abimées lui lacéraient les pieds.
La vue des Kobolds la fit sursauter, effrayée même par ces petits êtres qu’elle ne voyait presque jamais. Alecto avait une vision de Terra bien trop humano-centrée. A l’Auberge, elle était comme préservée des autres races, et Thiana était en affaire principalement avec ceux de cette espèce… Alors, voir autant de diversité en une seule nuit la rendait fébrile, et elle se stoppa par crainte.
Les petites bêtes pourtant avaient plus peur d’elle qu’elle d’eux, visiblement, puisqu’ils avaient déguerpi à une vitesse folle, laissant leurs logis.
Elle eut envie de leur dire de rester, qu’ils ne voulaient pas les déranger mais… A nouveau, son ‘Protecteur’ la poussa dans une des tentes sans délicatesse. Elle se retrouva jetée au sol, ayant le réflexe de lever les mains pour ne pas tomber tête la première, et sentant ses genoux accuser le coup. Une grimace fendit ses lèvres, mais à part un petit couinement misérable, aucune plainte ne franchit sa bouche.
Mais ce ne semblait pas être par fierté ou orgueil, que la douce Domestique ne prononçait aucune supplique. Comme un instinct de survie primordial, elle savait que geindre lui attirait fatalement des ennuis.
« A… Alecto, Messire. »
Toussa l’Esclave, louchant sur les victuailles qu’il venait de rapporter. Peu regardante sur la qualité de sa nourriture, elle ne ferait pas la fine-bouche. Mais jamais elle ne se servirait seule, ou sans autorisation, même si sa Maîtresse était loin… Alors, levant ses yeux clairs vers le visage fin du Démon, elle sembla attendre son approbation.
Elle vint de manière étonnante, Alecto hoquetant en entendant les ordres aboyés froidement. Qu’avait-elle fait de mal ? Il lui avait semblé plus sympathique dans les boyaux des égouts. Se pensant coupable d’une bévue, elle baissa les yeux humblement, et timidement, hocha la tête pour bien faire comprendre à son Sauveur qu’elle avait parfaitement comprit les consignes.
« B. Euh. Bien Messire. »
Mais il sortit trop vite pour entendre, sans doute. Elle resta un moment à regarder le pan miteux et humide de la tente qui voletait après son départ… C’était un homme étrange, qui lui semblait tout aussi dangereux que bienveillant à son égard.
Tout en retirant les chaînes, les bracelets, les colliers de clochettes, les parures diverses, Alecto essayait de comprendre ce qui c’était véritablement passé lorsqu’il avait retrouvé ses esprits. Il semblait un homme orgueilleux, ce qui était un péché, certes, mais répandu chez les Combattants, estimait-elle. Il était également autoritaire, mais ceci, Alecto en avait l’habitude… Tous les gens autour d’elle l’était. C’était ainsi.
Patiemment, elle s’acharna à faire sa toilette, l’eau froide n’était pas pire que l’onde croupie où ils avaient séjourné. Elle frissonnait, et en ayant retiré ses frusques, une terrible révélation la rendit blême… Elle n’avait pas de vêtements à remettre.
En se tournant sur elle-même, dans ce petit habitat peu adapté à sa taille, elle ne vit aucun tissu qui puisse masquer ses courbes. Et cela l’angoissa.
Elle savait cependant que son Protecteur reviendrait bientôt.
Alors, docile et douée pour ces attentions qui comblent les Maîtres, elle disposa correctement l’écuelle de viande séchée, après en avoir pioché quelques morceaux. Un linge presque propre tiendrait lieu de gant pour décrasser son Guide, tout était plutôt correctement agencé pour plaire à l’Inconnu lorsqu’il entrerait dans la tente de nouveau.
Patiemment, en bonne Esclave, elle s’assit, à genoux, les fesses sur ses talons, et posa bien sagement ses paumes abimées sur ses cuisses. Il serait trop audacieux de sortir, même si sa curiosité l'y poussait. Non, elle restait calme et immobile, attendant comme un bon chien obéissant.