Flint … se baladait ! C’était bien la première fois qu’elle parvenait enfin à atteindre Nexus, et la taille de la ville comme son activité la laissait contemplative. En toute heure, en tout instant, elle pouvait voir quelques marchands présenter leurs produits sur les étals de la cité, quelques voyageurs quitter ou entrer dans une auberge de qualité, et même les enfants se défier et jouer ensemble avec l’espoir d’un jour devenir chevalier. C’était très loin de l’enfer. Et c’était très loin de tout ce qu’elle avait connue jusqu’ici, avec ces maisons crades, ces routes pleines de boues, ces bateaux qui tanguent, non sans parler des deux trois fois où quelques bestioles affamées finissaient par la prendre en chasse pour faire d’elle un bon repas. Non, en effet, son arrivée en ces lieux était providentielle, elle sentait qu’elle allait enfin avoir le droit à un peu de temps pour elle, pour s’occuper de son bien-être, sans craindre quelques mauvaises retombées. Et puis elle n’avait encore rien fait de répréhensible en cette ville, aussi pouvait elle se balader, la tête vide et le coeur léger.
«
QUOI ? Comment ça vous n’avez pas encore reçu ma commande !? -
Pardonnez moi Sire Feudann, mais nous avons reçu un rapport des quais nous informant qu’ils n’étaient pas en capacité de nous livrer pour les prochains jours. Nous sommes affreusement désolé pour cette attente. -
J’espère bien que vous êtes désolé, c’est le minimum. Votre établissement risque de perdre bien des clients si j’ose faire part de mon mécontentement, j’espère que vous en avez conscience ! -
O-oui bien sûr Sire. Nous nous assurerons de trouver un lot de remplacement pour votre commande, et nous prendrons les devants pour diminuer nos tarifs auprès de votre maison, soyez-en certains. »
Une discussion comme une autre, un échange vif qui semblait mettre les badauds bien mal à l’aise, chacun fuyant le lieu de ce délit verbal à grands pas. Flint continuait son chemin quant à elle, non sans que ces propos qu’elle avait parfaitement entendue de son ouïe fine lui rappelle son arrivée dans la cité. Oui, c’était il y a quoi, à peine deux jours ?
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* *
«
C’est qui le plus mignon ? C’est toiiiiiii ! »
Caressant la large surface visqueuse et blanche de son compagnon de traversée, Flint s’amusait. Elle était montée dans le bateau lors du passage de celui-ci à quai afin de refaire les stocks d’eau et de nourriture nécessaire à la dernière partie de la traversée. Dissimulée dans une barrique de belle taille, elle y avait enfouie un autre compagnon clandestin, de la taille d’une orange à ce moment là, et aussi inoffensif qu’un nourrisson. Elle l’avait appelé Boupi. Maintenant, le duo qui faisait sa petite vie dans la cale renforcée n’était plus dans le même état qu’au départ. L’imp était joyeuse, le vin quotidien lui ayant monté à la tête, tandis que Boupi avait lentement absorbé nutriments sur nutriments en s’infiltrant par les interstices des barriques de vins. Comment donc ? Eh bien parce que Boupi se moque de garder sa forme première. Boupi est un Flan de Bacar, un tout jeune d’ailleurs vu que l’imp l’avait ramassé sur la route alors qu’il n’était pas plus gros qu’une fraise. Les flans de Bacar ne sont pas une espèce belliqueuse, aussi s’était-elle vite entendue avec lui, et avait fait le choix de le garder pour l’instant, comme animal de compagnie sur les routes.
Sauf que maintenant, il était même plus gros qu’elle. Sa large forme gluante dotée de deux petits yeux dorés regardait partout avec entrain, et vérifiait souvent deux ou trois fois les barriques qu’il avait déjà consommé, comme s’il avait put y oublié quelques gouttes. De frustration, il avait voulu attaquer le bois du bateau, mais une fois proprement grondé par la petite démone, cette envie lui était passée. Il ne se laissait aller qu’aux caresses de la démone alors, et attendait avec un appétit difficile à calmer qu’ils puissent enfin quitter le navire, afin de reprendre cette quête de satiété qui le caractérisait. Flint quant à elle ne s’inquiétait guère, faisait sa petite vie dans la cale, jouait à cache-cache parfois avec son compagnon de voyage, et c’est quand les côtes s’approchaient dangereusement qu’ils furent surprit dans leurs activités : Quelques bruits de pas hâtifs, descendant les escaliers jusqu’à la cale renforcée… Et un mousse qui arriva en ce lieu sombre face à la figure pantagruélique de Boupi toujours aussi affamé.
«
Boupi, NOOOOON. »
Elle n’eut pas le temps de lui donner son ordre que la masse de gelée blanche et frémissante se laissa choir d’un coup, englobant le pauvre jeune homme qui n’eut même pas la possibilité de crier pour exprimer sa terreur. Affolée, Flint courut hors de sa cachette et rejoignit son animal de compagnie, puis se posta droit devant les deux petites billes dorées qui lui servait d’organes sensitifs.
«
RECRACHE LE ! »
Boupi frémit, comme s’il refusait de lui obéir. Il était gros maintenant, et avec sa masse, il avait acquis du caractère. Non pas qu’il en soit devenu méchant, mais il avait faim, très faim, et ne voulait plus se limiter ou se contenir. Flint aurait bien aimé éviter d’utiliser quelques mauvais stratagèmes pour le forcer à obéir, mais en voyant les marques lentes mais visibles de corrosion sur le corps du mousse, elle sut qu’elle n’avait pas d’autres choix que de faire un peu peur à son flan bien-aimé. Elle leva son doigt en l’air, et sentit qu’elle avait immédiatement l’attention de son jeune camarade… Puis elle incanta, faisant apparaître au bout de son doigt une petite flamme magique, peu dangereuse, mais effrayante pour le flan.
«
Recrache le tout de suite… Sinoooooon ! »
Le jeune flan de Bacar était encore impressionnable… Et n’aimait pas du tout le feu ! La simple vu de cette lumière anormale le fit frémir, et de manière un peu violente, il propulsa le corps du mousse hors de son être, lui faisant faire une petite parabole avant de s’échouer à nouveau sur le plancher du bateau. L’imp eut bonne foi de l’ausculter un instant, et outre un léger traumatisme et quelques morceau de peau rongé, il n’avait aucune blessure qui vaille le coup de s’occuper de lui plus longtemps. Bon, peut-être que le choc de manquer se faire bouffer par un monstre laisserait des traces, mais ça elle ne pouvait rien y faire. Elle préféra penser à elle, et à son petit Boupi, qui était aller se réfugier dans un coin de la pièce, prostré sur son gros moelleux de flan qui lui servait de base. Elle y était allé plus fort que d’habitude, c’était normal qu’il soit un peu perdu. Laissant le mousse sans vêtements au sol (le tout de ses affaires ayant été rongé), Flint rejoignit son compagnon et le prit dans ses bras, tendrement, appliquant la légère couche de magie nécessaire pour qu’elle puisse l’étreindre sans être consommée. Puis elle s’approcha des escaliers, en lui faisant signe de la suivre.
C’était devenu trop dangereux pour eux. Depuis les ouverture de l’étage supérieur, ils purent voir que leur moyen de transport atteignait enfin sa destination, aussi n’hésitèrent-ils pas un instant : Boupi sauta à l’eau, et Flint sauta sur sa tête, rebondissant un instant dessus avant de s’éloigner du navire à toute vitesse, le flan semblant parfaitement se propulser au milieu de l’ondé. Les marins pouvaient bien les remarquer maintenant, il était trop tard. Il leur fallut une demi-heure pour atteindre la terre ferme, éclaboussant au passage un vieux pécheur ivre qui sembla les dévisager un instant avant de retourner à sa gourde de gnôle, puis les deux criminels en herbe se glissèrent jusqu’au premier entrepôt suffisamment ouvert pour permettre à Flint de s’y faufiler, Boupi la suivant de prêt. Les lieux étaient GAVÉS de caisses en tout genre.
«
Paaaaarfait ! Allez mon gros, ce sera ta niche pour l’instant. Je passerai te voir en soirée, et pareil les jours prochains. Tu es grand maintenant après tout, on ne peut pas se balader n’importe comment ! »
Elle ne put que rire quand son compagnon se jeta sur les caisses, heureux d’enfin pouvoir se repaître.
*
* *
Peut-être était-ce à cause de Boupi tout ce tatouin ? Enfin, elle devait avoir l’honnêteté de dire que cette attendrissante petite gelée avait plus d’intérêt pour elle que les déboires d’un pauvre marchand. Elle allait devoir s’assurer que rien ne lui arrive, peut-être que sa visite de ce soir devra aller en ce sens. Si quelques idiots veulent s’en prendre à lui, elle devra s’assurer de le faire bouger, même si elle a désormais bien du mal à imaginer la taille qu’il doit avoir après s’être empiffrer de tout un entrepôt de marchandises. Dans le fond, il était presque étonnant que les gens ne réagissent qu’après deux journées de présence… Mais elle savait que les flans, surtout une fois adulte, étaient particulièrement malins, capable de monter les pires pièges et les plus savants camouflage. Les flans de Bacar n’étaient pas en manque pour cela, et son compagnon avait dût atteindre un tel degré d’intelligence, aussi sûrement s’était-il fait discret jusqu’à ce que sa taille ne le lui permette plus.
Ouais, elle avait beau se retourner l’esprit, l’heure des « aux revoirs » approchait à grand pas. Pauvre Boupi, mais désormais il allait être assez gros pour vivre ses propres aventures ?
En tout cas, avant d’aller le retrouver, elle avait une bonne journée d’activité devant elle. Elle commença par se procurer un peu de nourriture, et passant devant un étal, venant à chiper le plus naturellement du monde une grosse lombe, un fruit juteux et sucré dont elle avait l’affection. Ce n’est qu’en entendant le vendeur hurler derrière elle qu’elle se permit un sourire, et se glissa derrière une carriole, pour alors claquer sauvagement le fessier de la bête de trait qui y était attachée. Chaos et hurlements, la foule court dans tout les sens alors que le cheval part au galop, faisant bondir son attelage et l’ensemble des marchandises qui s’y trouvaient, les caisses et les venaisons fumées volant en tout sens, manquant d’atterrir sur les têtes des badauds imprudents.
Quand le tenancier de l’étal de fruit arrive au milieu de ce carnage, il n’y a bien sûr plus personne. Accrochée à la carriole du côté où le poursuivant ne pouvait la voir, Flint s’est laissée emportée par la folle course du canasson avant de quitter ce transport inhabituel et dangereux un peu plus loin. Elle regarde autour d’elle, satisfaite… puis reprends sa marche avec tranquillité.
Quitte à faire, elle allait visiter les jardins publics de Nexus jusqu’au midi, après tout, tout le monde avait le droit de vivre ici, qui viendrait l’embêter dans ce havre de paix ?