« Le quai des chats » constitue le district dans lequel se trouve la demeure ancestrale des Flemens. D'ailleurs, les ancêtres de Georges ont participé pour beaucoup à construire ce quartier de la ville de Nexus. Au départ, la zone appelée le quai des chats était une zone dans laquelle se regroupaient des miséreux, des mendiants. Une disette perpétuelle s'était installée dans cet endroit oublié des dieux comme des hommes, rendant les habitants promptes à dégainer un couteau pour prendre le bien d'autrui ou défendre chèrement leurs vies. Mais un beau jour, une rixe dégénéra en émeute et le quartier fut incendié. Ce fut à ce moment que William Flemens débarqua avec ses troupes pour discipliner les habitants du quartier et lutter contre les incendies. Il amena avec lui près de trois centaines de chats dévolues à la chasse aux nuisibles afin de protéger les réserves de nourritures nouvellement constituées dans le quartier. Sur les cendres d'un endroit maudit naquit le district du quai des chats au centre duquel se trouve la demeure ancestrale de ceux qui ont tant donné pour le reconstruire. Le quai des chats était devenu une zone commerciale importante, un endroit dans lequel de riches marchands vendaient toutes sortes de marchandises. De riches marchands discutaient dans des établissements proposant toutes sortes de plaisirs, des prostituées louaient leurs services aux plus offrants dans les ruelles où se montraient seins nus aux fenêtres des chambres des bordels pour appâter le chaland, certaines faisaient même l'amour sur des estrades publiques sous la surveillance de gardes pour démontrer l'étendue de leurs talents à la foule des badauds. Des étales proposaient à qui pouvait se le permettre des tissus rares, des épices exotiques, des viandes raffinées...et des esclaves. Les esclaves constituaient malheureusement un type de marchandises courant en vente sur le quai des chats.
La citée-état de Nexus admettait parfaitement le commerce d'esclaves, tout particulièrement celui des terranides mais il arrivait que des humains y soient vendus à l'encan. Certains humains n'hésitaient pas à se vendre pour payer des dettes ou manger, tout simplement. L'ultime recours. D'autres y étaient tout simplement contraints par des tiers. Drogués jusqu'aux yeux ou parfaitement conscients, ils déambulaient sur des estrades attendant qu'un acquéreur daigne les prendre à son service. Parfois, des enfants ou de très jeunes adultes étaient vendus.
Cependant, Georges Flemens trouve l'idée de l'esclavage insupportable. Le commerce des terranides ne fait que semer les graines de la destruction de Nexus. En revanche, le commerce d'humains le met en colère pour des raisons plus personnelles. Après tout, une partie de sa famille s'est vendue comme esclaves pour payer des créanciers.
Le jeune noble déambulait dans les rues du quais des chats, regardant droit devant lui. Il se rendait aux étales des esclavagistes. Ses épais cheveux blancs coupés courts resplendissaient comme un casque sous le soleil baignant les rues de Nexus. C'était vraiment une très belle journée. Marchant d'un pas déterminé, Georges était décidé à libérer deux jeunes esclaves humaines, deux jumelles dont il avait lu les fiches détaillées. Ayant provisionné le coût de leur achat, des formalités d'affranchissement, Georges était tout disposé à changer leurs vies en mieux. Ce n'était pas la première fois que Georges faisait ce genre de choses. Le dernier des Flemens avait beau avoir la réputation d'être un infâme profiteur en froid avec toute la société nexusienne, il n'en restait pas moins humain. Il éprouvait de la compassion pour les plus pauvres et les plus faibles.
Pour l'occasion, Georges portait une redingote bleue nuit, un pantalon de velours noir et des bottes de cuir lui remontant jusqu'aux genoux. Une cape assortie à sa redingote flottait derrière lui. Il était rasé de près. Il comptait chacun de ses pas avec sa canne.
Georges était accompagné pour l'occasion de Valor Innokenti, le chef de son service de sécurité. Une bonne dizaine de gardes en armes entouraient les deux hommes et d'autres, habillés en civils, avaient été envoyés en éclaireurs pour prévenir tout danger. Georges avait l'habitude d'obtenir ce qu'il voulait...mais il en payait le prix en se faisant détester. Un rien pouvait dégénérer et l'envoyer six pieds sous terre. La prudence était de mise.
«Pourriez vous me rappeler qui est notre marchand d'esclaves, Valor ?»Valor était pareil à une tour d'acier dans son armure complète. Ancien paladin au service de la dynastie des Ivory, Valor avait été déchu de son rang avant d'être engagé par Georges. Dans son armure noire et or, la main posée sur le manche d'une hache dont la tête reposait sur son épaule droite, Valor était une machine de guerre entièrement dévouée à son nouveau maître. Tout dans son apparence clamait sa dangerosité. Aussi, ce fut dans un cliquettement d'acier qu'il se pencha à l'oreille de son employeur pour lui délivrer les informations demandées.
«Analino Varucci est un marchand d'esclaves dont on ignore les origines. Il dit venir d'une île. C'est un être vicieux qui vend des terranides, mais aussi des humains...dont les deux jumelles que nous devons acquérir aujourd'hui. Il dispose également de piloris sur lesquels il expose au public des femelles reproductrices terranides. Tout nexusien acceptant qu'un de ses esclaves insémine l'une de ses reproductrices à même le pilori reçoit une dizaine de pièces d'argent. Pour finir, il est également le gérant de l'échafaud aux esclaves. Il y exécute ses invendus. Ceux qui le souhaitent peuvent copuler, à titre gratuit, avec les condamnés juste avant leur exécution. En revanche, les badauds doivent payer pour que l'on garde leurs biens pendant qu'ils font leur petite affaire.»Georges hocha la tête, montrant qu'il avait bien noté les informations données par son garde du corps.
«Comme d'habitude, Griselda a fait du très bon travail et votre mémoire sans faille des visages et des noms est un précieux atout dans notre quête du jour...Ah mais quelle horreur !»Tout en marchant, les deux hommes et leur escorte avaient atteint leur destination. Le quai des chats était un endroit riche et cela se voyait à la tenue de ses habitants, à leurs mines réjouies et à leur façon de se comporter mais les étales des esclavagistes faisaient se rencontrer la richesse et la misère la plus crasse du monde. L'étale d'Analino Varucci était sans doute la plus sordide de toute. Des femelles terranides étaient présentées complètement nues, attachées à des piloris. D'autres esclaves terranides copulaient avec elles sous les encouragements de leurs maîtres tandis que des poignées de pièces d'argents changeaient de mains. Un échafaud était dressé à côté de l'étale et déjà, un jeune homme aux oreilles et à la queue de chat dont les mains étaient liées dans le dos s'y trouvait, la corde au cou, complètement nu. Une femme aux cheveux roux, vêtue seulement de quelques bijoux, était agenouillée devant lui, une main sur le sexe en érection du jeune terranide alors qu'un employé du marchand d'esclaves se frottait les mains en attendant de faire son office de bourreau. Des badauds regardaient le spectacle, dont quelques enfants grignotant des friandises alors que leurs parents les portaient sur leurs épaules. Au milieu de tout ça se trouvait un commerce d'esclaves tout ce qu'il y a de plus classique. Quelques esclaves étaient vendus à l'encan tandis que les autres attendaient dans des cages sous le regards des clients.
Analino Varucci trônait au milieu de cette activité au sens propre comme au figuré, discutant affaires avec les uns, apposant son paraphe sur un registre la minute d'après, faisant de grands gestes pour attirer les clients vers les cages, l'estrade, les piloris ou l'échafaud.
En le voyant, Georges ne put s'empêcher de serrer légèrement les poings, mais se contint. On ne prospère pas en étant marchand d'esclaves sans être en mesure de se défendre… Georges leva donc la main droite pour attirer l'attention du marchand tout en se composant une expression de façade, celle qu'il préférait lorsqu'il allait voir un mauvais payeur: Un masque souriant largement, mais avec le regard glacial d'un tueur.