Malgré les signes visibles d’affection, peut-être forcés, de son Roi, Alecto n’avait cessé de trembler alors que Serenos la laissait agir, à contre-cœur. La caresse de sa main sur sa joue la rassura légèrement, c’est vrai, comme si un unique événement avait pu la faire douter des sentiments de son Epoux à son égard. Elle se rendait compte, par cette rencontre sous tension, que la moindre péripétie pouvait mettre à mal l’épanouissement si doux qu’elle avait ressenti dans l’intimité, et la paix de tout un Royaume. Que Serenos restait un Monarque, un homme droit, mais dur. Un roc, rassurant, massif, fier… mais tranchant et sans pitié pour comme un récif millénaire dans une baie.
Il ne la voulait pas suivre l’Ordre, c’était certain, il lui semblait même qu’elle pouvait ressentir des picotements au cœur quand il détachait sa main de sa joue, comme s’ils partageaient ce sentiment. Ce geste si délicat et plein d’amour fut vite brusqué par la main ferme d’un des chevaliers du Culte, et elle tourna la tête en s’éloignant de son Mari.
Quelque chose en elle refusait de le quitter. Mais elle devait apaiser cette situation, et comprendre. Une Elue, vraiment ? Cela lui semblait impossible, mais qui était-elle pour remettre en question les paroles du Saint-Père ? Et désormais, elle sentait sur ses épaules le poids bien trop lourd pour elle d’avoir à empêcher une guerre et la mort d’innocent. Par. Sa. Faute.
Durant le trajet qui les amenait où le Père Thorius résiderait, l’Ancienne Esclave resta silencieuse. Elle était encore totalement chamboulée par ce qui venait de se passer, et choquée, également, par les échanges qu’avaient le Prêtre avec ses hommes. Elle ne doutait en rien de la Bonté du Seigneur, mais qualifier Serenos de couard la rendait malade, nauséeuse. Comme si on s’attaquait à elle, dans ses tripes, directement. Elle ne comprenait pas ce qui arrivait.
Il lui semblait que le Paladin était un homme censé, et modéré, et elle osa détacher son regard de ses pieds pour l’observer un peu mieux. Cependant, étant déjà arrivés à destination, elle le salua en s’inclinant bien bas, comme elle en avait l’habitude lorsqu’elle n’était qu’une misérable domestique, et qu’elle devait montrer son respect à un Chevalier, ou toute autre personne libre. Cette révérence n’était pas feinte, naturellement, et Alecto savait les hommages qu’elle devait aux Paladins de la Foi.
Seule avec l’Homme d’Eglise, enfin, la jeune femme sembla se détendre légèrement. Ses yeux étaient encore rouges et ses joues pâles, à vrai dire, mais lorsqu’il lui prit les mains, elle perçut une sorte d’assurance, dans les mouvements et la voix de Thorius, qui lui permettait de tenter de se ressaisir. Encore trop perturbée par les événements, elle n’eut même pas le réflexe naturel d’aider le vieil homme, et comme si elle le regardait faire sans le voir, elle murmurait.
« La joie m’étreint aussi, mon Père, de vous retrouver. J’ai… » Les mots ne vinrent pas. Elle avala difficilement sa salive, et sans broncher, se dévêtit en silence, seuls les flammes et le bruissement des tissus se faisaient entendre.
Laver ses péchés. L’entendrait-il en confession dans son bain ? Ce… ce n’était pas réglementaire. Mais le Très-Haut l’écouterait par les oreilles du Père Thorius, elle le savait, et elle n’avait pas la force de souligner ce point.
Alors, une fois nue, Alecto eut la surprise de se sentir honteuse, bien sûr, et intimidée. Elle était une femme, désormais, loin de l’enfant qu’avait éduqué Thorius. Et ce corps était empli de cicatrices, qui montraient ses fautes, et les châtiments de ses Maîtres en réponse. Elle pensait mériter toutes ces marques, mais c’était autre chose que de les exposer à un homme de Foi. Elle ne pouvait plus rien masquer, plus rien cacher.
Pas même les cicatrices bien plus fraiches à sa cuisse gauche, les marques du cilice, de la cire, puisqu’elle n’osait pas encore user de ses méthodes habituelles en présence du Roi. Elle savait combien il désapprouvait ses pratiques. Mais le Chemin de Rédemption faisait partie d’elle. C’était plus fort qu’elle.
Etrangement, ces cicatrices-là, à sa cuisse, n’étaient pas celles qui lui faisait ressentir de honte vis-à-vis de Thorius. Il savait qu’elle la pratiquait, il l’avait initiée jadis. D’un coup, en y songeant, elle se sentit plus légère. Cette culpabilité là n’avait pas lieu d’être face à lui. Même si ses marques à vie, rouges, boursoufflées, étaient le signe qu’elle avait beaucoup de choses à se faire pardonner par le Seigneur.
Elle entra dans l’eau en passant la jambe par-dessus le bois du baquet, la chaleur agréable se diffusant dans son corps lorsqu’elle s’y asseyait, en soupirant discrètement d’aise. Malgré tout, elle n’en avait pas oublié les derniers mots du Prêtre… Il l’enjoignait à lui racontait son passé loin de lui, et à laver ses péchés. Cela nécessitait de se confesser…
Pinçant les lèvres, l’Epouse du Roi saisit instinctivement le médaillon du Sombrechant qui logeait à la naissance de sa poitrine. Pour lui donner du courage ? Parce qu’il représentait à lui-seul bien des péchés qu’elle avait à avouer tout haut ? Jusqu’alors, elle n’en avait parlé qu’avec Serenos… Le dire à un tiers rendrait tout ceci si concret. Si réel, elle qui vivait une sorte de rêve éveillé.
Et surtout… Son mariage devait rester secret, elle le savait. Alecto se mordit la lèvre, en observant l’onde qui fumait légèrement. Mais Dieu voit tout…
« Mon Père, j’ai péché. J’ai… beaucoup péché. » Sans y réfléchir, elle caressa le relief de sa cuisse. « J’ai besoin de votre Absolution, mon Père. »
C’était évident désormais dans son esprit. Elle avait besoin du Pardon de Thorius, et celui de Dieu. Elle priait à la Chapelle bien sûr, mais ce n’était pas assez. Elle devait être sûre que le Très-Haut l’avait entendue. Elle devait laver son Âme. Relevant ses yeux clairs et suppliants vers lui, au bord des larmes, la jeune femme s’agrippa au baquet.
« J’aime cet Homme, Mon Père. Je ne suis pas une. Une Elue, je… je ne suis qu’une Pécheresse. Je l’aime ! »