Erika esquissa un rapide sourire à cette pointe d'ironie. Je suis chez moi, avait-elle eu envie de lui répondre. Son regard se perdit vers le ciel grisé, ses pensées se tournant vers cette étrange notion. Ou ne suis-je nul part chez moi ? Elle balaya ces mots de son esprit aussi rapidement qu'ils lui étaient parvenus, élargissant un sourire fantôme au fil de sa pensée.
La jeune femme restait muette néanmoins, n'accordant qu'un signe de tête reconnaissant avant de se plonger dans ses affaires également. Au vu de la situation, Erika hésita peu et laissa de côté le peu de pudeur qu'on lui avait enseigné, se permettant de retirer sa chemise pour l'éponger au mieux avant de la remettre. Le tissu collant à sa peau lui était désagréable, autant que ses bottes lui compressant les pieds. Ses gants frottés et rincés à l'eau de pluie, ses boucles sèches et sa blessure vérifiée, elle se laissait choir de fatigue contre la paroi et poussa un long souffle de fin d'effort.
Le visage tourné vers lui, Erika se permit une longue observation d'Ars alors qu'il s'affairait de son côté, muette. Ses billes noisettes suivaient ses mouvements et captaient ses rares expressions faciales, figées dans son air impassible, qu’elle ne considérait qu’à ce moment. De sa carrure à ses yeux, Erika se posait quelques questions. Qui est réellement cet homme ? ou encore : Pourquoi m’aider à ce point ?
Elle détourna les yeux, revenant à elle et s’interdisant toute question malvenue.
- Merci, Ars, avait-elle fini par lui dire, la voix somnolente.
La jeune femme ne décrocha pas un mot de plus. Sa fatigue eut raison d’elle et ses yeux se fermaient doucement, l’esprit en paix. Le doux clapotis rapide de la pluie contre la roche et la terre et le grondement de l’orage qui s’éloignait la berçaient ; au milieu de cette nature sauvage, Erika y trouvait des bras accueillants et un certain réconfort.
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Assise sur un rocher, les jambes étendues et ses pieds nus caressant les hautes herbes, ses yeux savouraient les couleurs chatoyantes des plaines, vastes, ses narines humant de délicates senteurs terreuses, son souffle goûtant à une brise d’air pur. Elle levait la main vers l’horizon, dessinant les rayons d’un soleil chaud se répandre par-delà les collines.
Son dos se tendait, s’affaissait, au simple toucher d’une présence étouffante. Sa malveillance semblait la guetter des fourrées derrière elle, l’appelant doucement d’un chant autant attirant que tétanisant. Elle ne voulait se retourner, pas cette fois-ci. Elle savait les rayons de lumière se faire attirer et mourir dans cette forêt lugubre, et juste à cette idée, un frisson la parcouru.
“Ne te retourne pas.”
Ces sensations ne semblaient pouvoir la perturber outre-mesure. Comme habituée à ces ténèbres, un simple souffle suffisait à les apaiser. Le paysage restait sublime, le silence tranquille et la paix, absolue. Un léger sourire accentuait un visage serein, bien qu’un brin de solitude voilait ses jeunes yeux.
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Ainsi le soleil s’élevait de nouveau dans le ciel alors que ses paupières se déliaient. La vue brouillée, elle se rendit compte, au bout d’un temps, ne pas savoir quand s’était-elle assoupie la veille. La lumière peinait à percer au travers d’un ciel toujours grisé et envahi de nuages, mais la pluie s’en était allé, ne laissant qu’une lourde chaleur humide derrière elle.
Erika se redressa progressivement, s’aidant de sa main blessée pour se relever. Ce souvenir douloureux lui arracha un grognement mécontent. Les images de la veille lui revenaient au compte-gouttes, de la meute de loup tristement affamée à cette étrange prise en chasse. Si elle n’écoutait qu’elle, la brunette aurait déjà prit ses affaires et serait retournée en ces lieux, diablement curieuse de ce qu’il pouvait s’y trouver, presque frustrée de n’avoir pu y percevoir ce à quoi cela pouvait ressembler.
Elle s’étira, longuement, faisant craquer son dos et sa nuque. Ah, c’est vrai… Je ne suis pas seule, réalisait-elle en se retournant.
Personne. La cavité était vide de toutes présences, seules quelques affaires qui ne lui appartenaient pas se trouvaient derrière elle. Sourcillant, elle esquissa une légère moue perplexe, puis détailla l’extérieur au mieux.
Elle se leva, s’étirant une nouvelle fois, puis s’approcha du bords du rocher, se penchant pour couvrir un peu plus la zone. A plusieurs reprises, son attention se trouvait attirée par le fond des bois, comme d’un vide aspirant son esprit sans qu’elle ne puisse comprendre ni d’où cela venait, ni pourquoi l’appelait-il.
Erika était pourtant passée par ces lieux plusieurs fois ces dernières années, il y avait peu de zones qu’elle ne connaissait guère. Jamais ne s’était-elle sentie dans cette insécurité, sentiment pour lequel elle avait, pour une fois, des difficultés à maîtriser. Etait-ce l’ignorance qui l’entraînait au déraisonnable ? Sans nul doute.
Elle n’aurait su expliquer pourquoi était-elle descendu de la cavité, pourquoi avait-elle rejoint la terre ferme pour s’aventurer de nouveau dans ces bois. Pas un bruit, pas le moindre animal ne montrait le bout de son nez. Étrange. Y a-t-il quelque chose qui perturbe l’équilibre alentour ? Étaient-ce ces choses qui les avaient poursuivi ?
Ses bottes s’enfonçaient dans la boue et les feuillages éparpillés au sol et ses mains frôlaient chaque tronc d’arbre bordant son chemin. On aurait cru qu’elle n’avait qu’un seul cap, qu’elle savait exactement où elle se dirigeait, mais la réalité était toute autre ; Erika se laissait guider par un instinct développé, des sensations inexpliquées qui l’amenaient vers les réponses à ses questions, du moins elle l’espérait.
Un cri de détresse, difficilement perceptible, émit un écho faible, lui indiquant qu’elle était bien trop éloignée pour pouvoir l’atteindre. Pourtant, Erika pressa le pas, son esprit mal éveillé jouant avec ses sens, la plongeant dans quelques vertiges handicapant sa progression.
La jeune femme s’arrêta brusquement lorsqu’elle perçu la terre, humide et malléable, mouver comme d’un serpent lui tournant autour. La chose semblait plus grande et plus large qu’elle, et le simple bruissement du sol à son passage suffisait à la figer sur place. Elle ne fit que suivre le mouvement des yeux, sans broncher. Puis lorsqu’elle fut partie, Erika lâcha un long souffle de soulagement. Avait-elle été quelque peu lâche, piétinant sur sa curiosité et son courage infaillible ? Erika se préférait à penser qu’il s’agissait du peu de prudence qu’il restait en elle. Son instinct lui hurlait de ne pas bouger d’un cil et de patienter. L’esprit bouillonnant de question, son corps se détendit et son visage pâle se leva vers la direction où elle avait perçu le cri. Humain, féminin, masculin, animal, elle n’aurait su le dire. Ce n’était qu’un cri d’une urgence désespérée, désormais évanouie dans une nature contre laquelle Erika se savait ne pas pouvoir lutter contre, pour l’instant tout du moins.