Aussitôt qu'Ykoes se remit à sourire, Lapin fit de même. Son grand sourire de rongeur était néanmoins inquiet, et il ne perdit pas de temps. Il se baissa vers la jeune femme, et s'excusa d’avance de ce qu'il allait faire :
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Je suis désolé, mais comme ça, il y a des chances non-négligeables qu'elle me gêne. Pas le temps de l'enlever, ne vous gênez pas, je vais la déchirer. Prévenez vos amies qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle agression. Je ne vais pas vous blesser. Jamais.D'une main douce mais avec des gestes rapides, le terranide saisit le bas de la robe d'Ykoes. L'étoffe avait trempé dans la boue, mais de toute façon il n'avait déjà pas les doigts très propres. Puis il mordit dans le tissu pour créer une entaille. Enfin, il déchira le vêtement sur sa longueur, s'arrêtant juste avant la taille de la jeune femme. Il réfléchit, et il fit rapidement une autre coupe, en largeur cette fois, au-dessus de son genou. L'étrangère se retrouva avec une jupe très courte, fendue à l'avant.
Il se retourna et s'assit.
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Alors, si vous me permettez de passer vos jambes ici… Collez-vous contre moi, comme ça. Vous pouvez tenir mon cou si vous voulez. Je ne suis pas du tout embarrassé par le contact intime de votre poitrine contre mon dos. J'espère que ça ne vous gêne pas non-plus.Il encercla les cuisses d'Ykoes, passant ses bras sous les genoux de la jeune femme. Puis il l'aida à se hisser en l'attrapant par les poignets et en tirant doucement. Lapin se leva sans aucun problème. Elle était si légère qu'il aurait même pu la prendre dans ses bras comme dans un berceau. Il voulait toutefois avoir les mains libres, au cas où.
De cette façon, il pouvait aussi courir bien plus vite… Une fois certain qu'Ykoes n'allait pas tomber, il en fit la démonstration en partant au quart de tour. Avec le peu d'élan qu'il avait, il ne lui fallut qu'un seul bond pour franchir la rivière. Même si les terranides lapins étaient connus pour leurs qualités de sauteur, les siennes étaient presque surnaturelles.
Ils s'enfoncèrent ainsi plus profondément dans la forêt. Le terrain était accidenté mais même à cette vitesse, Lapin avait le pied sûr. La position ne devait pas être trop désagréable pour la jeune femme. Son porteur restait courbé le strict minimum pour qu'elle ne soit jamais déséquilibrée. Sa fourrure, contre laquelle elle était collée, était très douce à défaut de sentir très bon.
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Ykoes… je dois vous avouer maintenant : je voyage de façon semi-aléatoire. Je ne le voulais pas vous le dire tout de suite pour ne pas vous paniquer, et parce que je craignais que vous refusiez. Pour l'instant, j'ai pour objectif de gagner du terrain, et la bonne nouvelle c'est que je crois que ça fonctionne. Mais il faut que vous sachiez que je n'ai absolument aucun repère dans cette forêt. Je ne connaissais que la ferme… Aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours été l'esclave des Clermont. Ma mémoire n'est pas fiable du tout. La structure de la forêt m'empêche en outre de décrire des lignes droites parfaites. En conséquence de quoi… il existe une probabilité que nous nous perdions. Par chance, je vois très bien dans la nuit ! En revanche, j'ignore quelle est la dangerosité de ce milieu. Bilan mitigé, donc. Mais je reste optimiste sur nos possibilités de survie ! On va s'en sortir !*
* *
Squid, Ophélie de son vrai prénom, était en poste à Nexus lorsqu'elle avait reçu l'alerte automatique de déformation des champs. Être d'astreinte lorsqu'il ne se passait rien était sans doute la chose la plus ennuyeuse du monde, alors elle avait été ravie d'être mobilisée. C'était pour elle une occasion d'enfin s'amuser un peu. Il n'y avait pas des failles vers des dimensions hautes tous les jours dans son secteur. Avec un peu de chance, il y aurait même de l'action, songeait-elle.
Elle n'avait pris que deux minutes pour enfiler sa combinaison. C'était un vêtement de combat de couleur kaki, renforcé et avec une visière. Le tout était à la fois technologique et discret. Puis elle était directement passée dans le téléporteur courte-distance. Là, elle avait dû attendre plusieurs minutes d'obtenir les accréditations nécessaires au saut. Les protocoles de contrôle de Tekhos étaient assez stricts avec ce type de matériel. Avant d'être projetée en trois secondes sur une centaine de kilomètres, elle visualisa sa destination : l'orée d'une forêt.
Flash de lumière, et elle y fut. Aussitôt, elle repéra deux paysans qui paraissaient fuir quelque-chose. L'un d'entre-eux était blessé. Ils parurent encore plus paniqués de la voir apparaître devant eux.
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Oh merde ! Nous faites pas de mal, on savait pas !–
Du calme, hommes de Nexus. Décrivez-moi précisément ce que vous avez vu.–
Elle, il…–
Une femme qui ressemble à une terranide, avec une robe blanche et des cornes. Elle m'a fait ça. Le paysan indiqua son mollet.
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Il y avait aussi des sortes de grosses poupées. Elles… elles ont MANGÉ notre esclave madame !Squid plissa les yeux. Ces mâles étaient en état de choc, et elle sentait qu'elle n'en tirerait pas beaucoup plus. Elle les largua là, sans un mot, entendant quand même crier :
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Vengez notre esclave madame !Tout en continuant à courir, elle regarda le cadrant qu'elle avait au bras. Les portails ne laissaient pas ceux qui les traversaient inertes. Ils conservaient sur eux une signature énergétique qui pouvait durer plusieurs jours. En l’occurrence, elle observait sur son écran plusieurs points, cinq au total.
Elle fondit vers le plus proche, et ne mit guère longtemps avant de tomber nez à nez avec une des poupée contre lesquelles on l'avait mise en garde. C'était une caricature de petite humaine, avec une robe verte et de courts cheveux blonds. Bien sûr, elle bougeait… et ses yeux lumineux n'étaient pas rassurants.
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Qu'est-ce que t'es, toi ? grommela-t-elle.
Squid n'était pas une débutante. Elle agissait vite et efficacement. Surtout, sa combinaison était ce qui se faisait de mieux en matière de capture de spécimens dangereux. Des bras robotiques souples émergèrent de son dos, comme les tentacules d'une pieuvre de métal. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle on l'appelait Squid.
Les appendices se terminaient chacun par une pince à quatre doigts. Elle en envoya un droit sur la poupée, pour la saisir. Une fois qu'elle l'aurait attrapé, elle serait soulevée du sol et n'aurait probablement aucun moyen de se libérer.