Titre complet : L'étrange naufrage, sans vaisseau, de lycéens sur la rive d'une île déserte au milieu de nulle part, comment ils firent connaissance, et de la façon ingénieuse dont ils s'organisèrent pour survivre dans pareille situation. Raconté par eux-mêmes.
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La journée avait été longue pour Aki. Elle avait commencé à 6h, par une course à pied autour du bois, et s'était achevée de la même façon, douze heures plus tard. Puis, comme l'on était vendredi, l'adolescent avait entreprit de rentrer chez ses parents. Une fois un repas frugal pris, il avait alors sorti les poubelles, passé le balais, et aidé sa petite sœur avec un exercice de mathématiques. Comme beaucoup de gens, il estimait ne pas comprendre grand-chose aux mathématiques, mais c'était assez bien pour ce qu'on lui demandait de faire, et beaucoup mieux, en tout cas, que ses frères. Il avait brièvement regardé son compteur de calories sur son téléphone, publié ses derniers exploits sur facebook, et enfin, s'était décidé à fermer les yeux.
Ses rêves étaient pleins d'ailleurs. Il rêvait d'une expédition bravant les glace du pôle, les sommets de l'Everest, les arides plaines tartares, et les jungles vierges amazoniennes… un peu tout à la fois. La plupart des rêves étaient un peu flous, et celui-ci ne faisait pas exception. Les oiseaux de paradis s'y mélangeaient aux edeilweiss, les indiens carajà y communiaient avec les pasteurs khoïkhoï, et les légendes d'Hiawatha s'y trouvait des échos avec les récits d'Oda Eiichirō. Du tout résultait une aventure confuse mais joyeuse, ambitieuse et excitante, au son des tambours de cultures dont le monde avait oublié l'histoire et le nom, sous le ciel de terres que l'océan avait depuis longtemps englouties.
Il lui sembla que la nuit passa en un éclair, et que déjà les premiers rayons du soleil venaient impitoyablement le tirer de ses songes.
Encore une minute monsieur le bourreau pensait-il, plus endormi qu'éveillé encore, en resserrant les poings sur les draps de sa couche. Draps qui lui coulèrent entre les mains, comme la poussière sur le front du pénitent au mercredi des cendres, comme… du sable fin.
Aki s'éveilla en sursaut.
Quelque-chose n'allait pas, et il ne fut pas long à figurer quoi : il n'était plus chez-lui. Plissant les yeux par trop de lumière, il se retourna vite pourtant, son réveil accéléré par le brusque pic d'adrénaline qui l'avait fait bondir. Si sa vision prit encore quelques secondes pour se faire nette, son audition capta un bruit qu'il reconnût aussitôt, quoiqu'il n'avait jamais été au bord de l'eau. C'était le roulis des vagues. Il le sut bientôt, à perte de vue, devant lui, s'étendait une mer d'un bleu profond, et aucune terre.
Se frottant les yeux, l'adolescent prit quelques secondes pour recouvrer son souffle et calmer son cœur qui s'était emballé. Cela ne ressemblait plus à un rêve ; et ça ne s’embarrassait pas d'explications, car il avait la certitude, la terrible certitude, d'être bel et bien éveillé. Des questions se bousculaient dans sa tête. Comment était-ce possible ? Était-ce sa vie qui, jusqu'ici, n'avait été qu'un songe ? Il baissa le regard sur son propre corps. Il avait encore sur lui le boxer rouge et le débardeur blanc qu'il portait lorsqu'il avait trouvé le sommeil, à la différence que ses vêtements étaient maintenant couverts d'un sable jaune. L'évidence était là : il s'était endormi à un endroit, et réveillé à un autre.
Il bascula la tête, et commença à regarder tout autour de lui. Ce qui le frappa fut d'abord l'immensité du ciel bleu, sans aucune des pollutions visuelles de la ville auxquelles il avait toujours été habitué. Puis il y avait derrière lui une végétation dense et verte et des rochers mouillés, une sorte de mangrove qu'il n'identifiait pas encore. Enfin, et cela le fit sursauter encore, juste à côté de lui, mais à 90 degré par rapport à sa propre position, il y avait une enfant étalée sur la plage.
Sans se lever complètement, car il ne s'en sentait pas la force encore, Aki franchit sur les genoux le demi-mètre qui le séparait d'elle. Elle n'était pas plus densément habillé que lui. Sa carnation et ses cheveux étaient ceux d'une occidentale, et l'adolescent lui donna douze ans tout au plus. Un instant, il craignit qu'elle fut morte, mais elle perçu heureusement sa respiration avant d'être pris d'angoisse à ce sujet.
Stressé, et peut-être pas aussi délicat qu'il aurait fallu l'être avec une enfant, le japonais prit la décision de poser ses mains sur ses épaules et de l'agiter un peu pour la réveiller.
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Hey. Tu sais ce qu'on fait ici ? Do you know what we are doing here ? Hey !Il n'était pas sûr qu'elle parlait le japonais, il n'était pas sûr qu'elle en sache plus que lui, il n'était même pas sûr qu'elle ne fasse pas semblant de dormir pour le tromper. La seule chose dont il était sûr c'est qu'il voulait des réponses. Alors il la secoua un peu plus fort, pour être sûr qu'elle se réveille.