Vian poussa un soupir d'exaspération. La plupart de ses pièges nécessitaient de la part des victimes un certain niveau de crédulité. Deux qualités dont, par bonheur, la plupart des êtres civilisés disposaient en abondance. Mais c'était réellement la première fois qu'un de ses stratagèmes échouait par excès de bêtise. Le jeune homme avait en fait filé si soudainement que l'esprit follet avait cru qu'il lui serait difficile de l'attraper. Ce qui n'était pas en soi un si mauvais coup. Toutefois, ça l'était assurément devenu rapidement, puisqu'incapable de se déplacer correctement dans l'obscurité, l'humain était passé près de la noyade.
– Ça m'aurait vraiment ennuyé d'avoir à te sauver moi-même, articula l’Épineux.
La voix avait quelques intonations communes avec celle de la minuscule fée, mais elle était plus basse et plus masculine. Le ton n'était pas particulièrement viril pour autant, et avait quelque-chose de joueur, de juvénile.
– La noyade est une mort très ennuyeuse.
S'il relevait les yeux et qu'il ne cédait pas à la panique, Episs pourrait distinguer une silhouette de taille moyenne, gracile, penchée au-dessus de lui. Si elle pouvait sembler humaine, il était évident pourtant qu'elle ne l'était pas. À commencer par la marque des bois courts, semblables à ceux d'un chevreuil, qui dépassaient de sa chevelure rousse. Ses oreilles, couvertes de fourrure, tenaient du même animal. À la faveur d'un éclair peut-être, il pouvait apercevoir le reste du corps de Vian, plus attendu, et qui était celui d'un adolescent. Plutôt maigre, pas si différent de celui qui était encore à moitié immergé dans l'eau, d'ailleurs, quoique beaucoup plus propre. À l'instar de la forme de pixie qu'il revêtait encore une minute plus tôt, il était nu. Mais là où la minuscule fée n'affichait elle aucune pilosité, un duvet naturel et cuivré s'épanouissait sur le bas-ventre du garçon, en faisant un être davantage sexué.
Comprenant que le petit intrus était d'un naturel craintif, l'esprit follet avait volontairement opté pour une forme qui n'était pas trop intimidante (même s'il avait toujours du mal à se figurer ces choses là…).
– Si tu restes là-dedans, tu vas mourir. La mort par hypothermie est également très ennuyeuse.
Accroupi, Vian lui offrit sa main, dans le but de l'aider à remonter. Le bras blanc paraissait plutôt chétif, mais si Episs acceptait l'assistance, il serait surpris de la facilité avec laquelle celui-ci le dégagerait de la mangrove.
– Malheureusement, je n'ai pas de grief particulier contre toi, humain, annonça l'esprit follet, songeur. Je vais donc te laisser repartir de ce bosquet…
Il se recula d'un pas, laissant la place à l'adolescent de reprendre définitivement pied sur la terre ferme.
– …après que tu aies réalisé trois épreuves. Évidemment, ton accord n'est pas nécessaire. La nature est joueuse. Si tu réussis, en plus de ta liberté, je t'accorderais la faveur de ton choix. En attendant…
Vian ferma le poing. Derrière lui, un long craquement se fit entendre, et se prolongea plusieurs secondes durant. Une large cavité s'était ouverte dans le tronc d'un gros arbre. Elle paraissait assez large pour qu'Episs s'y allonge, pour peu qu'il plie légèrement les jambes.
– Je t'offre un abri.