Dowell était un homme généreux... Tant que cela lui servait. Et, au-delà de ça, il n’était pas vénal. C’était un homme d’honneur, du genre à ne pas parler d’honoraires entre clients respectables. Ça ne se faisait tout simplement pas, ce n’était pas correct. Entre hommes d’honneur, l’argent n’était qu’un moyen comme un autre, et, quand, comme lui, on prétendait représenter une certaine ligne morale, on ne comptait son argent comme ces chacals et ces hyènes qui osaient se faire passer pour des tigres. N’était-ce pas Victor Hugo qui avait écrit une fable là-dessus ? L’histoire d’un jeune Empereur tentant de se glisser dans la peau d’un tigre, mais dont la peau était incapable de bien lui aller ? Une critique discrète de Napoléon-III, mais que Dowell pouvait volontiers étendre à bien des occasions. Et là, en ce moment, face à Skye, il avait le sentiment d’être tombé sur une femme qui lui ressemblait un peu. Bien sûr, elle n’était pas une vampire, ce qui, par définition, faisait qu’elle ne pourrait jamais être à son niveau, mais il lui reconnaissait bien des qualités, suffisamment pour vouloir la courtiser.
Il s’attendait à ce qu’elle prenne ombrage de sa proposition, proposition qui, malgré son caractère ludique, restait tout de même osée, et autant déplacée que sa dernière tentative. Allait-elle le prendre pour un damoiseau en manque ? Ou est-ce que le désir qui naissait en Dowell trouverait un écho favorable chez cette femme ? À ce stade, c’était sa fierté qui était en jeu. La première fois, il l’avait fait par provocation. Là, dans son esprit, c’était un peu plus sérieux. Il fut donc heureux de voir qu’elle ne rejeta pas son idée, et, probablement à court d’inspirations, lui demanda un autre livre.
*Et son sang ne ment pas... Il a légèrement remué... Bien sûr, ça peut être l’excitation à l’idée de cette course, mais...*
Le seigneur vampire aimait à se dire que cette excitation avait une autre origine, plus proche de lui. Sur ce fait, le duo rejoignit le champ de course, impressionnant, un style très antique, qui n’était pas sans rappeler à Dowell ceux de l’Empire. Les deux cavaliers rejoignirent la piste, et Skye énonça les conditions : trois tours.
« Cela me semble raisonnable. »
Neige se tenait sur la ligne, près d’Altesse, et, si Altesse semblait trépigner d’impatience, Neige, lui, restait plutôt calme et pesé. De manière amusante, les chevaux, par leur comportement, illustraient les différences de fonctionnement entre leurs maîtres respectifs. Puis l’un des arbitres siffla, sonnant ainsi le départ de la course. Les chevaux hennirent, puis s’élancèrent en avant, Altesse filant à toute allure, suivie par Neige. En souriant, Dowell éperonnait son cheval. Trois tours sur une grande piste, il fallait un cheval avec une bonne endurance, et Neige avait pour lui d’avoir fait de grandes chevauchées lors de batailles et de campagnes militaires, des chevauchées où le cheval avait, de lui-même, appris à se maîtriser, et à connaître ses limites, tout en musclant ses pattes.
Skye domina Alexandre pendant tout le premier tour, le cheval se soulevant et s’abaissant, dans ce bruit de « cataclop » si agréable à entendre, a fortiori sur le sable et le gravier. Dowell la talonnait de près, sa cape flottant derrière lui, un sourire amusé sur les lèvres. Oui, Skye s’en sortait vraiment bien, et elle passa le premier tour en tête, sans qu’Altesse ne semble ralentir. Dowell, lui, vint progressivement à tenir d’une main les rênes de son cheval, et continua à la suivre.
Le deuxième tour approcha de la fin, et Skye dominait toujours, mais Neige se retenait, et, vers la dernière ligne droite, Alexandre éperonna sèchement son cheval, et ce dernier s’élança alors, venant ainsi se rapprocher d’Altesse. Alexandre fléchit le corps vers l’avant, sa tête se rapprochant de la crinière de son cheval, et ce dernier reprit sa course, en haletant, usant de ses muscles lourdes, heurtant le cheval de Skye. Leurs jambes se heurtèrent légèrement, et Dowell se permit, à son tour, un léger sourire amusé, puis la dernière ligne droite s’enclencha.
Les deux chevaux se donnèrent à fond, poussés par l’ardeur de leur maître.
« Allez, allez, Neige !! Allez !! »
Neige fonça à toute allure, et Dowell se maintint contre les rênes, sentant le destrier de guerre, mais aussi un fin cheval de course, se donner à fond... Puis la ligne d’arrivée fut traversée, et l’arbitre siffla. Dowell arrêta ensuite Neige, qui se hissa sur ses pattes arrière en hennissant, avant de retomber sur le sol.
D’une légère avance, Alexandre avait remporté ce duel, et sauta au sol, en souriant, voyant Altesse se rapprocher de lui.
« Indéniablement, Altesse, votre cheval a votre célérité et votre énergie. Je serais ravi de pouvoir courir de nouveau avec vous. »
Dowell n’avait pas de quoi fanfaronner, il avait remporté la course avec une seconde d’écart.
« Mais, rassurez-vous, je vous offrirais quand même un livre... Et je vous en offrirais même le double, si mon baiser ne vous sied pas. Vous êtes une Reine, après tout, je serais affligé de ne pas pouvoir vous satisfaire. »