«
Quel endroit sinistre... » cracha Walter, le second d’Alexandre.
Juché sur son cheval, ses doigts recouverts par de fins gants blancs, Alexandre Dowell ne pouvait qu’acquiescer. Le
Cimetière des Dragons était un endroit rocailleux, isolé, constitué de montagnes épaisses, un endroit qui, dit-on, avait jadis été le lieu d’une bataille onirique et sanglante entre les dragons et des elfes, pendant le grand conflit entre les nains et les elfes. Que l’histoire soit vraie ou non, il n’en était pas moins vrai que ces montagnes tranchantes et énormes abritaient, en leur sein, un oasis précieux, quelque chose qui valait de l’or, et qui expliquait pourquoi le vampire s’y rendait.
Avocat sur Terre, une activité qui le passionnait, Alexandre était aussi, à Terra, le Grand-Maître du clan Dowell, un clan de vampires ashnardien qui existait depuis plusieurs millénaires, et qui était puissant et fort... Suffisamment puissant pour négocier avec les femmes se trouvant derrière ces montagnes, dans une cité légendaire, bâtie sur la carcasse d’un ancien dragon-monde, ces dragons gigantesques dont on disait que le souffle avait forgé l’écorce du monde. Cryptyre se trouvait derrière, un alcôve de liberté existant depuis des millénaires, et qui, grâce à ses protections naturelles, avait toujours résisté aux invasions et aux attaques. C’était une sorte de cité-État peuplée par des mutants, les Cryptids. Une société fondée par Cryptidia, devenue une sorte de culte là-bas, société fondée sur deux principes, aussi idiots l’un que l’autre selon Dowell : la « Liberté » et la « Paix ».
Liberté... Un terme creux et vide de sens, car il ne signifiait rien en soi. Qu’est-ce qu’être libre ? Vivre sans attaches ? Vivre sans lien ? Vivre seulement pour soi ? Comment concilier la liberté avec la société ? Pour Dowell, se dire libre, c’était avoir le droit de faire ce qu’on voulait. Et, quand on voyait ce que les humains faisaient de leur liberté... En ce sens, la Terre était un exemple typique. Leurs ancêtres s’étaient massacrés d’un bout à l’autre du monde contre les totalitarismes pour défendre la liberté, mais ne savaient pas quoi en faire. La liberté avait été gagnée, et, grâce à ça, les gens pouvaient afficher des photos de leur sexe sur Instagram, ou parler de leurs crottes de nez sur les réseaux sociaux. La liberté, hein ? Quelle blague.
Paix... Un concept absurde et inexistant, car tout n’était que violence et domination. La violence n’était pas exclusive à l’Homme, elle était la fonction-même de la Nature, et la conséquence du darwinisme et de la méritocratie. La paix encourageai tà l’inertie, à la tolérance envers les faibles. Or, les plus faibles ne faisaient que tendre un système vers le bas, que le pervertir et le corrompre. Voilà pourquoi la Nature existait des éons, et existerait encore bien après la fin des humains. Car, dans la Nature, toute espèce avait un rôle et une place à jouer, et toutes les espèces qui n’avaient aucun rôle avaient été supprimées. Il n’y avait, en réalité, que les humains pour développer le concept «
d’inutilité sociale », c’est-à-dire pour tolérer, en leur sein, la présence de parasites sociaux qui ne servaient à rien. Et, non content de les tolérer, on leur donnait de l’argent, argent ponctionné sur le salaire des travailleurs et des gens méritants. C’était l’inverse de la méritocratie, quelque chose qu’on pourrait appeler «
mirabilocratie », sans avoir peur des néologismes.
Autrement dit, Dowell n’était guère convaincu que la philosophie de Cryptyre lui conviendrait, mais il allait faire des efforts. Lui et sa troupe n’étaient pas venus pour envahir la cité autonome, mais pour négocier. Le clan Dowell disposait d’innombrables pâturages, de troupeaux, et de fermes, pratiquant aussi bien l’élevage que l’agriculture. Or, quand on se nichait dans un cimetière de dragons, la nourriture était un problème. En revanche, on avait de quoi payer, car les multiples carcasses de dragons abritaient bien des trésors. Outre les os de dragons, abritant encore du calcium dragonique, un puissant élément alchimique, on trouvait aussi, sur les corps, des écailles de dragon, dont les Ashnardiens étaient très friands, car ces écailles étaient forgées pour en faire de solides armures.
«
Hâtons-nous de rejoindre cette cité... Il paraît que leur Reine est de grande beauté, et j’ai hâte de vérifier cela par moi-même ! »
Dowell ébroua son cheval, et s’avança, au milieu de ses gardes. Derrière lui, il y avait une dizaine de chariots, remplis de vivres.
Il y a quelques semaines, le clan avait pris contact avec Cryptyre pour leur proposer un honnête marché : des vivres, en échange d’écailles de dragons. Le marché était maintenant finalisé, et Alexandre avait tenu à s’assurer en personne de son efficacité. Et Walter, son fidèle second et homme de main, n’était pas dupe. Il savait très bien ce que le vampire avait en tête.
Vérifier si les dires qu’on louait sur la beauté de la Reine étaient justifiés...