« Flagg… »
Élise n’avait pas tourné en rond. Une fois en-dehors du manoir, elle et Shad s’étaient retournées vers le refuge de Scybilla. Elles emmenaient avec elles une série de lettres, et, en ayant désormais le temps de la lire, obtinrent les réponses manquantes sur la relation entre les Hamleigh et Flagg.
Regan était, pour le dire simplement, dévorée par l’ambition et par la perversion. Elle entretenait une relation incestueuse avec son fils qui avait détruit la psyché de ce dernier, le rendant cruel et violent. William Hamleigh était connu pour les femmes qu’il violait chez lui. Il avait instauré un « droit » seigneurial abusif, maintes fois condamné par les juridictions nexusiennes : le droit de première nuit. D’après les tenants de ce droit, un seigneur devait s’assurer, lors du mariage d’une jeune femme, qu’elle était bien vierge, en vertu des préceptes religieux interdisant à une femme de perdre sa virginité en-dehors du mariage. Dans les premières versions de ce droit, il s’agissait juste d’un examen gynécologique, mais l’usage en avait rapidement été modifié en un simple viol. William avait donc réinstauré ce droit, et s’en était servi comme d’un prétexte pour multiplier les rapts et les viols sur ses paysans. Souffrant d’un complexe œdipien, il essayait de trouver chez les femmes du plaisir, mais, à chaque fois, sa frustration le ramenait vers Regan. Pris dans des émotions contradictoires, William se défoulait chez les femmes. Il les battait à mort, les torturait sauvagement… Élise était bien placée pour le savoir, car il était fréquent, quand elle était dans sa forêt, qu’elle récupère plusieurs des victimes de William.
William aimait sa mère, et sa mère l’aimait, mais, rigoriste et impitoyable, elle avait toujours refusé cet amour, tout en corrompant l’esprit de William. Les lettres permettaient de déterminer qu’elle lui avait ainsi appris à se masturber, tout en le sermonnant d’avoir des érections, fouettant son sexe, le battant à plusieurs reprises. En réalité, William était un ensemble de paradoxes le rendant instable. Un homme qui commettait les pires infamies possibles, mais qui se confessait à chaque messe, car il avait une peur panique des flammes.
« Je sais que le manoir des Hamleigh a été incendié quand William était jeune… Il est possible que la vue des corps calcinés ait engendré chez lui un traumatisme qui résonne quand on évoque les flammes éternelles de l’Enfer. »
Quoi qu’il en soit, et en-dehors de ces considérations psychologiques, Regan était dévorée par l’ambition. Elle ne voulait pas juste être Duchesse, mais une Reine. Le royaume lui revenait de droit, et elle avait pactisé avec Flagg, non seulement pour tuer son mari en l’empoisonnant, mais aussi pour s’arranger afin que son fils dispose d’une armée conséquente, et puisse, un jour, devenir Roi. Regan et William avaient donc rejoint l’Affiliation, le bras armé de la Monarchie de la Rose. Cependant, le dossier de William était fortement entaché par Élise. L’Affiliation, pour l’aider, avait envoyé l’une de ses factions, Brahmin et ses séides. Brahmin avait malheureusement échoué, grâce à Shad, et les Hamleigh s’étaient retrouvés bredouille.
« Mais pas uniquement… Les multiples mercenaires de Brahmin ont rejoint les rangs des Hamleigh. J’ai manqué de vigilance », reconnut Élise.
La Reine des Araignées était un sujet de conversation récurrent entre Regan et Flagg. À travers les propos de Regan, Élise avait compris que William était sexuellement attiré par Élise, ce qui, en d’autres termes, signifiait que, si elle tombait entre leurs mains, soit William la tuerait lors de l’une de ses crises obsessionnelles, soit Regan la tuerait, comme elle avait tué, pendant l’adolescence de William, toutes les femmes se rapprochant un peu trop près de lui.
« Et, à chaque fois, le Magicien l’a aidé… Je gage que Flagg a dû rencontrer Regan avant Percy.
- La présence de cet homme est la preuve qu’il nous manquait. Il ne s’agit plus seulement du sort du royaume. J’ignore ce que veut White Élise, mais tout cela dépasse largement notre sort. Nexus doit intervenir !
- Nexus… Et Sha. Nous ne sommes pas de taille contre Flagg. »
Shad leur avait raconté qu’elle avait rencontré Flagg en Enfer, dans la cité infernale de R’lyeh. C’était lui qui avait contribué à sceller Hastur. Élise lui avait expliqué que Randall Flagg était le plus proche bras droit du Roi Cramoisi. Cependant, les motivations de Flagg étaient des plus obscures à saisir. Il était par exemple acquis que « Randall Flagg » n’était qu’un pseudonyme. Nul ne connaissait son véritable nom, en réalité. Scybilla savait que la Monarchie de la Rose était impliquée, mais pas que Flagg soit derrière cette invasion.
« Tu devrais retourner voir Aoife, Shad. Tu as les preuves qu’il fallait. »
Dans les notes, Regan indiquait clairement sa soif de pouvoir, et son envie de renverser le pouvoir, afin que le royaume devienne une nouvelle province de la Monarchie de la Rose. Scybilla se ravisa brusquement.
« Enfin… Sauf si tu veux te reposer avant.
- Il sera plus prudent d’aller à l’ambassade de Nexus la journée, sans le risque du couvre-feu », acquiesça Élise.
Scybilla hocha la tête, tout en se relevant.
« Ma Déesse connaît le Magicien… Depuis que sa championne a remporté le tournoi de Wallündrill, ses souvenirs lui reviennent. Tout ça… Tout ça nous dépasse. Flagg a participé à l’action des hommes ayant abouti à bannir Sha. Elle nous a prévenus de ne jamais l’affronter sans elle, et de l’avertir dès que nous aurons des informations sur lui. Je gage que Sha voudra discuter avec toi, Shad. Pour une Terranide, tu as vraiment un destin exceptionnel… Et je suis maintenant sûre que la Machine de Nexus est une autre partie du vaste plan de la Monarchie. Oui, Sha voudra vraiment te parler. »
La sorcière, consciente qu’il pouvait être intimidant de rencontrer une Déesse, reprit ensuite :
« Ne t’inquiète pas, elle adore les félins… Comme toutes les sorcières, en fait. »
Et puis… Ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de rencontrer une Déesse, non ?