Elle ne bougeait pas et semblait fixer un point sur la table. Cependant, sa vision periphérique captait le moindre mouvement. Elle put ainsi observer à sa guise le maître des lieux qui déposait une casserole de lait sur le feu. Elle put remarquer aussi que les jumeaux se rapprochaient d'elle. Elle n'esquissa pas un geste, ne voulant pas les brusquer et ne voulant pas montrer sa méfiance. Elle n'avait rien contre ces enfants, mais ils la mettaient mal à l'aise. Ils devaient être à peine plus jeune qu'elle et pourtant étaient déjà plus grands. S'il avait fallu se battre avec eux, Miyoko n'aurait pas pu leur faire face. Mais elle avait l'habitude de fuir, de se cacher et de passer inaperçue. Lorsqu'elle était assise dans la rue, peu de gens faisaient attention à elle car elle se fondait presque dans le paysage grâce à son immobilisme. Pourtant, elle savait montrer le minimum de présence requis pour que les clients des magasins la remarquent et soient gênés . Ainsi, elle recevait toujours de la nourriture des vendeurs dans les boutiques pour la faire déguerpir et qu'elle ne fasse pas fuir les consommateurs.
Lorsque les deux étranges frères s'adressèrent à elle, elle ne répondit pas tout de suite, laissant se déverser le flot de questions. A La Maison, elle dialoguait souvent avec de petites filles plus jeunes qu'elles qui la pressaient toujours de questions, parfois intelligentes, parfois inapropriée, et parfois totalement inutiles. Mais elle s'appliquait toujours à y répondre, en donnant le moins d'informations possible. Pourquoi ? Elle ne se méfiait pas des réfugiées de La Maison, bien au contraire, elle voulait les protéger, et de cette façon elle leur donnait l'exemple. En voulant reproduire les méthodes de leurs aînées, les cadettes et les benjamines s'appliquaient à répondre aux étrangers avec la plus grande parsimonie et ainsi cacher l'existence de La Maison. De plus, les réponses courtes, en ne donnant pas trop d'informations, n'invitaient pas les plus jeunes à poursuivre l'interrogatoire, et seuls les plus curieux continuaient de chercher la petite bête.
Si Miyoko avait répondu à toutes les questions d'Ate et d'Ade, les questions suivantes auraient fusé de manière exponentielle, et la gamine voulait éviter cela. Elle répondit donc simplement, avec la plus grande politesse, et sans une once de mépris.
"Je m'appelle Miyoko, je suis ravie de faire votre connaissance..."
Un sifflement de casserole se fit entendre et l'enfant n'eut même pas besoin de finir sa phrase que les jumeaux s'étaient déjà précipités vers la source du bruit. Alors, émerveillée, la petite suivit la scène qui se déroula devant elle. Ce qui l'intéressait le plus, était ce verre de lait qui passait de main en main et qui bientôt, se retrouva devant son nez, à proximité de quelques carrés de chocolat. Que demander de mieux ?
Regardant son nouvel interlocuteur, Miyoko remit son pouce dans sa bouche. Son petit air innocent et sa fausse timidité en aurait attendri plus d'un, mais ce n'était pas le but de la gamine, qui prenait simplement une pose naturelle chez elle.
*Une boutique ?*
Perplexe, Miyoko observa tout autour d'elle. Rien ne faisait penser à une boutique et les lieux avaient tout l'air d'être les murs d'une maison. Alors pourquoi cette appellation ? Que pouvait-on bien faire dans cette boutique ? Ne sachant que répondre à cette question qu'elle n'attendait pas, l'enfant, sous le costume de chat, prit quelques instants de réflexion. Enfin, elle se décida à répondre, son regard posé droit dans celui de l'hôte.
"J'avais faim, je suis entrée, ça sentait bon."
Bien que peu étoffée, sa réponse en disait peut-être trop. Une vraie timide aurait rougit, mais pas Miyoko, qui se contenta de pencher la tête sur le côté, de manière féline. Elle tendit ensuite son bras gauche vers le verre de lait posé par terre à son intention, supposait-elle. N'ayant pas d'autre bras disponible pour ramasser le chocolat, elle le laissa sur le sol, attendant d'avoir bu son lait. Mais deux problèmes se posaient. Son pouce devait sortir de sa bouche, premièrement, et deuxième, personne ne lui avait expressément indiqué que ce petit goûter était pour elle. Elle resta donc le bras suspendu à hauteur de sa poitrine, les yeux balayant les alentours, naviguant entre l'adulte et les deux enfants.