Derrière elle, le silence s'était installé. Tous fixaient le duo qui était entré dans le salon bien agencé. Déjà, des groupes s'étaient formés, discutant sur les arts... mais plus encore maintenant. Les murmures fusaient, discrets, commentant la présence de la reine ici. Certains en termes élogieux, d'autres contenant quelques noms d'oiseaux. Peut-être que les oreilles de cette humaine de haut lignage ne les entendaient, ou les ignoraient, mais Prisca fronça les sourcils, et tourna la tête vers eux, les foudroyant du regard.
Surpris de voir ces yeux briller avec une colère contenue vers eux, les rares personnes qui avaient osé insulter cette hôte un peu particulière se turent, gardant désormais leurs lèvres closes. Revenant au duo agréable, s'étant recomposé rapidement un visage plein de douceur, la vampire hocha la tête, pour le principe, et exposa directement son point de vue sur la question.
- L'un des rôles assurément. Quoi que mes œuvres ne sont pas vraiment faites pour rajouter de la beauté, je dirai. Mais... Reine Ivory, vous comprendrez sûrement vous-même en observant les tableaux mis en évidence. D'ailleurs, certains vous représentent, et sont exposés dans une salle à part. A nouveau, vous comprendrez sûrement la raison de cette précaution.
Elle souriait, apparemment contente. Dans le reste de la salle, les personnes présentes étaient retournées à leur activité, reprenant leurs discussions à voix basse. Quelques attroupements devant deux trois tableaux particulièrement imposants, et des personnes isolées devant les autres tableaux. Enfin, une ouverture vers une autre pièce, avec comme porte un simple tissu bleuté de haute facture. Car oui, même si la maison était plutôt petite, par rapport à ce dont elle avait l'habitude, elle avait au moins tenue à ce que celle-ci soit confortable, et richement décorée.
Pour elle, l'art représentait surtout sa façon de voir le monde. Elle ne peignait pas pour l'embellir, ou pour l'idéaliser. Simplement, pour montrer ce qu'elle voyait. Avec son âge, sa vision un peu particulière. L'immortalité, et les siècles passés à voir l'humanité avoir ses hauts et ses bas avaient changé sa façon de voir les évènements. C'est aussi pour cela qu'elle appréciait tant les artistes humains, et les humains en général. A ses yeux, ils étaient capable de tout, du pire -elle avait pu le remarquer à de nombreuses reprises-, mais aussi du meilleur. Surtout si on rajoutait le fait que son met préféré se trouvait parmi eux.
Mais là n'était pas la question.
- Bien sûr, je vais vous accorder cet honneur avec un grand plaisir.
Tout en marchant, elle commença à expliquer au moins le contexte de l'ensemble, lui offrant un léger sourire dévoilant sûrement un peu plus sa nature vampirique. Mais elle restait accueillante et chaleureuse.
- Je suis arrivée sur ce monde il y a peu. Mais par de nombreux aspects, cette ville me rappelle des souvenirs d'une période ancienne que j'avais particulièrement appréciée. Mais... Par certains aspects, les univers diffèrent. Et c'est ce que j'ai voulu montrer par leur création. Mais plus qu'un long discours, je vous laisse apprécier ces quelques œuvres.
Et elles commencèrent à faire doucement le tour.
Le premier tableau, grand, représentait une ruelle. Les tons utilisés étaient plutôt sombres. Au premier plan, au début de la ruelle, un homme en haillons sales faisait la manche, assis. Les morceaux de tissus collant à son corps, on pouvait voir sa maigreur accentuée. Son visage était partiellement masqué par une barbe non entretenue, fournie. Son regard, terne, fixait un point fixe devant lui, semblant faire à peine attention aux ombres des passants qui étaient invisibles, sur le tableau. Plus loin dans la ruelle, deux hommes semblent discuter à propos d'une bourse que le premier tend au second, sûrement à propos d'un contrat glauque. Les maisons qui se dressaient de part et d'autres de la ruelle imposaient leur ombre massive, cachant à des yeux distraits certains détails. Bien sûr, proche des murs, les détritus s'amoncelaient. Mais en regardant bien, on pouvait voir qu'un bras d'enfant dépassait. Du gâchis. La pauvreté était omniprésente, et on pouvait voir en train de courir au dernier plan un homme, qui avait volé un vieillard, lui dérobant la miche de pain qu'il tenait quelques instants auparavant.
Le second tableau, de la taille du premier, offraient une cassure, totalement à l'opposé de son voisin. Aux tons sombres de la ruelle succédaient des tons clairs, presque blanc. Il montrait, lui, la cour du Chateau d'Ivoire. Et dans celle-ci, un nombre assez impressionnant de personnes étaient représentées, chacune ayant leur caractéristique physique propre. Cela allait de la bonne cuisinière avec son embonpoint prononcé, qui courait pour rejoindre son lieu de travail, relevant ses vêtements un peu encombrants, en passant par les gardes et leur armure resplendissante qui se tenaient droit, arme au flanc, et vigilant, ou encore les serviteurs et esclaves qui portaient de lourds objets ou nettoyaient la cour, qu'elle soit toujours propre aux yeux des suivants, jusqu'aux courtisans et courtisanes de la Cour, bien habillés. Tout, dans ce tableau, montrait la richesse et la beauté des lieux et des êtres. Les sourires -forcés ou non- étaient présents sur presque toutes les lèvres, sauf pour les esclaves qui baissaient la tête, cachant leur visage aux Libres.
Le troisième, gagnait en largeur, mais pour rapetisser en hauteur. Dévoilant les jardins du château, structurés par les mains habiles des nombreux jardiniers -et sûrement un peu magiciens- du château, on pouvait voir de multiples couleurs. De nombreuses espèces de fleurs étaient représentées, et on pouvait d'ailleurs voir s'afférer au moment où le soleil se couchait, étendant une lueur orangée sur le spectacle, quelques jardiniers et porteurs d'eau, ainsi qu'un couple ou deux qui trainaient à ces heures tardives dans des recoins plus intimes du jardin, à l'abri sous un kiosque.
Puis, le quatrième exposait un moment beaucoup moins intime, selon les points de vue. Une scène de marché, marché aux esclaves. Montés sur une estrade, des êtres étaient enchainés, et montrés au publique, bien présent et nombreux. Les esclaves semblaient plutôt bien traités, puisque un esclave en bonne santé se vendait plus cher, et pour les marchands, cela valait bien la peine de les garder avec soins. Chez les esclaves, il y avait de tout. En bout de chaîne, un humain, bien bâti, torse nu. Le marchand palpait ses muscles, en regardant la foule, sans doute, les vantant. Derrière elle, sur la même chaîne, une terranide-chat. Plutôt jeune, le regard soumis, la peau pâle et les cheveux noirs, elle fixait le dos de l'homme qui se faisait vendre, elle, par contre, était habillée. Sûrement, la dévoiler faisait partie du jeu pour augmenter les prix. Enfin, un troisième être, une humaine, la poitrine dévoilée et agrémentée d'objets, le regard s'attardait pourtant plus volontiers sur les nombreux tatouages qu'elle portait. Ancienne sauvage d'une tribu arriérée -sûrement pour eux-, elle était la seule dont les mains étaient attachées dans le dos, et qui gardait une lueur de revanche dans les yeux. Plus loin, sur le côté, une cage, avec un énorme bestiaux poilu dedans. Véritable lycan, mâle alpha d'une troupe, il était maintenu ainsi capturé pour plus de sureté. Et devant, le public. Certains levaient les mains en l'air, tendant une bourse en criant, d'autres discutaient entre eux. Le grand peuple était représenté dans son ensemble.
Venait enfin le cinquième, et dernier tableau de cette salle. Déconseillé aux âmes sensibles, il exhibait un côté plus malsain de Nexus, avec un bordel. Ici, il n'y avait plus de ces sourires forcés, et les tissus riches avaient fait place aux rouges appuyés des teintures posées sur les murs. Ici et là, des couples, trio, ou même plus. Ici se mélangeait la luxure dans tous ses états. Une femme se faisait prendre violemment contre un mur par un homme, tandis qu'un couple semblait parier sur quelque chose la concernant. Plus loin, derrière le bar, la serveuse, seins nus, trottait avec des verres en main, prenant soin de faire ballotter sa poitrine aux yeux de tous. Au comptoir, mais de l'autre côté, une femme collait son bassin contre la bouche ouverte d'un homme pour des actions bien peu religieuses tandis que ici et là se déhanchaient hommes et femmes de tout bord.
Les cinq visions de Nexus. La cission était cruelle et dure, entre le côté riche, et les bas quartiers. Et si nul ne l'ignorait, il était pourtant rare de les voir confrontées dans une seule et même pièce.
- Venez par ici, Reine Ivory.
Prisca souriait, mais elle n'en avait pas fini. Elle avait passé un certain temps à tout peindre, ne comptant pas les heures, les jours ou les nuits. Elle s'était d'abord abreuvée de ces visions, avant de les retranscrire en accentuant leur expression. Il restait cependant la dernière pièce. S'y dirigeant à pas léger, ses talons claquant sur le sol de bois, elle attrapa le rebord du tissu pour le relever, dévoilant une pièce blanche, avec deux tableaux.
-Après vous, Reine Ivory, Dame de Mélisi.
Puis elle entra après elle, gardant le tissu repoussé au cas où la garde du duo voudrait venir avec eux. Dans cette dernière pièce, il n'y avait donc que deux tableaux. Et tous deux représentaient la Reine, avec son acolyte. Les deux œuvres se faisaient face, s'opposant.
Le premier était clair. La reine était souriante, et l'ambiance était chaleureuse, comme illuminée de bonnes attentions. Derrière elle se tenait la Dame de Mélisi qui couvait la jeune femme d'un air bienveillant. Le regard de la reine portait au loin, et on pouvait la sentir pleine d'assurance et de fierté, prête à défier quiconque se mettrait en son chemin.
L'autre, au contraire, était bien plus sombre. La reine était seule au premier plan et était assise sur une chaise, les mains croisées sur ses genoux. Nul sourire, le regard baissé vers le sol, les épaules affaissées. En faisant attention, on voyait que des fils partaient de ses mains et de ses articulations, montant au ciel avant de partir vers l'arrière-plan. Là, dans l'ombre, des hommes et des femmes âgés. Le Conseil, qui manipulait la reine qui faisait office... presque de marionnette entre leur main.
Maintenant, il ne restait qu'à savoir si ces tableaux seraient considérés comme un crime ou non. Et surtout, laquelle de ces deux visions étaient la véritable. Intérieurement, Prisca espérait que ce serait la seconde.