Mais que lui arrivait-il ? Hikari resta assise contre la cabine pendant quelques secondes, une main dans ses cheveux, observant l’autre, maculée de sa cyprine. Finalement, la professeur finit par soupirer. Elle avait encore des responsabilités, des devoirs à faire. L’absentéisme d’un professeur durant une heure de cours n’était tolérée que sous certaines conditions d’extrême urgence. Si un responsable voyait qu’il n’y avait plus personne dans la salle, Hikari risquait le conseil de discipline... Et elle risquait surtout de ne jamais réussir à sortir de ce lycée, et à retourner à Tokyo. En soupirant donc, la professeur se redressa. Elle allait mieux, et en vint à se demander si ses troubles n’étaient pas d’origine hormonale. Le sexe n’était pas un domaine avec lequel elle était très familière, mais que ce soit hier ou aujourd’hui, il s’agissait à chaque fois de problèmes liés au sexe. Les Japonais étaient par nature des gens superstitieux, des personnes qui, s’ils ne négligeaient nullement les bienfaits de la science, estimaient qu’il existait aussi des forces ancestrales qui influaient sur vous. Il était possible que les agissements de son corps soient des troubles spirituels, liés au fait qu’elle ne prenait pas suffisamment soin de son corps, sexuellement parlant. Hikari avait entendu parler de certaines thérapies de couple et de personnes célibataires recommandant la pratique sexuelle pour redynamiser la vie de couples, ou pour sortir de la mélancolie. Il n’y avait vraiment qu’au Japon qu’on pouvait trouver de tels conseils, et Hikari ne voyait aucune autre explication. Son esprit, ou, plutôt, la partie inconsciente de son esprit, devait lui envoyer des signaux... Mais que pouvait-elle faire ? Aller sur Internet pour commander un gigolo ? Ou se taper l’un de ses collègues ? Sortir en soirée, se bourrer la gueule dans un abr, et baiser avec le premier venu ?
*Seigneur, non...*
Machinalement, Hikari s’essuya ses doigts avec du papier-toilette, le jeta dans la cuvette des toilettes, et tira la chasse d’eau. Elle avait les cheveux légèrement défaits, et les remit un peu en place, tout en remettant ses vêtements. Elle ouvrit ensuite la porte... Et crut avoir une attaque en voyant Nanami. Cette dernière lui fit son petit numéro, celle de la fille faussement choquée, et Hikari, atterrée, fut incapable de lui répondre. Elle se figea sur place, comme une statue de cire, son dos heurtant la cloison séparatrice, et la fille fila, en lui donnant rendez-vous ce soir, à 18 heures, soit juste après la fin des cours.
Que... Que venait-il de se passer... ?! L’esprit d’Hikari avait été déconnecté sous l’effet de la surprise, et elle revint lentement à elle. Nanami... Nanami l’avait poursuivi jusqu’ici, et elle l’avait très certainement entendu se caresser. Hikari avait essayé d’être discrète, mais elle savait qu’elle avait gémi, et qu’elle s’était tortillée. De plus, les cloisons séparant les toilettes étaient très fines, et il y avait des ouvertures partout.
*Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu... Ohlàlà, mon Dieu, non, dites-moi que je rêve... !*
Mais non... Non, tout cela était bel et bien réel. Nanami, peu importe ses raisons, ou les images qu’elle se donnait (Hikari ne croyait pas du tout à son petit numéro de jeune fille prude choquée), avait de quoi plomber sa carrière. Le lycée Mishima avait déjà affronté des scandales sexuels, et avait toujours réussi à s’en sortir... Mais, si elle se mettait à parler, Hikari risquait d’avoir toutes les associations de parents d’élèves sur le dos. De plus, on ne pouvait nullement négliger le fait qu’elle avait peut-être enregistré sa professeur. Les téléphones portables étaient maintenant de véritables caméras ambulantes, avec une image en HD et un son presque impeccable. Hikari, blême, déglutit encore, et respira lentement, se rappelant les techniques de relaxation qu’elle avait suivi lors de cours zen, à l’université.
*Respire, inspire, respire, inspire, calme-toi, Hikari... Pense à ta respiration, conserve un rythme régulier...*
Hikari avait envie de fuir, de retourner à bride abattue chez elle, mais elle ne pouvait pas fuir ses responsabilités. Elle se dirigea vers un lavabo, et se mit de l’eau sur la figure, s’observant dans le miroir. Ses joues étaient rouges, mais, mis à part cela, son apparence était normale. Ses cheveux s’étaient convenablement remis en place. La professeur ne pouvait pas attendre plus longtemps. Elle allait devoir trouver un moyen de résoudre son problème, et, pour l’heure, il allait falloir s’occuper de Nanami.
*C’est toi l’adulte, c’est toi la responsable, c’est toi la diplômée... Si elle veut te faire chanter, tu as les moyens de la contrer, Hikari... Surtout, ne te laisse pas intimider. Ce n’est qu’une gamine rebelle.*
Rebelle, parce qu’elle ne venait même pas en uniforme. Autrement dit, si elle voulait jouer à un bras-de-fer, Hikari avait aussi des muscles à faire valoir. Reprenant lentement son souffle, elle se décida à y aller, et sortit des toilettes, puis retourna dans la salle de classe.
Nanami fit comme si rien ne s’était passé, et, après quelques minutes d’hésitation, et quelques excuses, Hikari reprit son cours, puis le cours suivant, et toute la journée... Jusqu’à ce que la soirée arrive.
Hikari était restée dans sa salle, en sentant la panique monter, tout en s’encourageant à rester calme.
Qu’est-ce que Nanami allait bien pouvoir lui demander ?