Un léger sourire avait éclairé les lèvres d’Adamante devant l’aveu de Nümba. Confuse, la druidesse venait de lui expliquer qu’elle ressentait effectivement une attirance pour Elena de ce type... Ce n’était pas une attirance charnelle, non, plutôt...
Profondément respectueuse. Nümba voyait Elena comme une sorte de jeune femme à protéger, portant sur elle un «
regard maternel ». D’aucuns auraient pu se sentir offensés d’une telle phrase, en considérant que Nümba était en train d’insulter la mémoire de Nöly Ivory, mis Adamante savait que ce n’était pas le cas. La Mélisaine tirait son prénom de l’adamantium, un alliage métallique extrêmement rare, industriel, et incroyablement résistant. L’appeler ainsi, pour ses parents, était le signe que leur fille serait solide, inébranlable comme un roc, inflexible comme les falaises de l’Archipel Mélisi un soir de tempête... L’appeler ainsi, c’était, en somme, signifier tout un tas de choses, et, s’il y avait bien une chose sur laquelle Adamante méritait bien son nom, c’était sur l’amitié, et sur le fait qu’on pouvait lui faire confiance. En aucun cas, elle ne trahirait Elena, ni Nümba. Ensemble, elles formaient toutes les trois un trio, un trio qui avait progressivement pris naissance au sein des murs du Palais d’Ivoire. Trois jeunes filles effrayées par les hauts murs du Palais d’Ivoire, par le dédale interminable de pièces, de couloirs, et d’escaliers, chacune ayant alors une personnalité bien marquée. Adamante était la fonceuse, toujours prête à faire des bêtises, à débarquer en pleine salle de réunion, ou à faire irruption dans des pièces où elles n’avaient pas droit d’aller. Elena, elle, était toujours réservée, mais suivait toujours Adamante. Quant à Nümba, elle était la plus sage, pas en ce qu’elle rejetait continuellement les bêtises d’Adamante, mais dans le sens où, effectivement, quand les trois filles se faisaient attraper, c’était Nümba qu’on avait tendance à gronder, en lui reprochant de ne pas avoir suffisamment surveillé ses deux amies, plus jeunes qu’elle.
Maintenant, des années après, on retrouvait encore ces marques. Adamante était toujours au centre de leur trio, Elena était toujours effacée, et Nümba faisait toujours preuve d’un sérieux agréable. Elle était sérieuse, oui, mais pas dans le sens où elle était sèche et aride, mais plutôt dans la mesure où elle prenait tout avec un certain contrôle et un certain calme, ce qui, par ailleurs, ne l’empêchait nullement de se montrer souriante et joueuse. Nümba semblait émue, et se pencha alors vers Adamante, venant l’embrasser poliment sur un coin de la joue.
«
Merci… » glissa-t-elle.
Adamante lui sourit en retour, et l’embrassa sur la bouche, une main venant caresser ses cheveux.
«
Chez moi... C’est comme ça qu’on remercie... »
Sa voix se perdit dans les murmures et dans la volupté.
Quelques jours plus tard...Le départ se faisait depuis le Palais d’Ivoire, et de nombreux nobles étaient là, ainsi que des soldats. Ronald Langley en personne dirigeait la compagnie, et la caravane comprenait une dizaine de chariots... Outre le chariot de la Reine, il y avait aussi une armurerie, plusieurs chariots remplis de gardes, un chariot médical, et plusieurs chariots abritant des vivres en tout genre. L’itinéraire vers Zerrikania avait été soigneusement étudié, le long de grandes routes commerciales pour commencer, avant de progressivement s’enfoncer vers les régions équatoriales. L’expédition était menée par Ronald Langley, mais on trouvait aussi d’influents membres de la Garde Royale. Des cavaliers tournoyaient ainsi autour de l’expédition, avec des faucons et des pigeons voyageurs. Certains faisaient office d’éclaireurs, d’autres d’arrière-garde. Ronald Langley avait verrouillé le voyage comme s’il s’agissait des cuisses d’une nonne.
L’homme en charge des éclaireurs était un cavalier respectable, un baroudeur du nom de
Lancélion de Tailleric. Nexusien de naissance, paysan de basse extraction, il avait été un écuyer à l’âge de ses six ans, lorsqu’un chevalier s’était présenté dans son village, en indiquant être en quête d’un héritier militaire. Pour les villageois et les fermiers, avoir l’un de leurs enfants rejoindre la chevalerie était toujours un immense honneur, et un petit tournoi local avait été organisé. Lancélion avait su remporter toutes les épreuves. Il avait pendant longtemps été un chevalier-itinérant, et avait su s’attirer les bonnes grâces de Ronald Langley. Quand ce dernier avait eu besoin de remanier la Garde Royale, il avait personnellement demandé à Lancélion de les rejoindre. Maîtrisant les faucons, Lancélion était surtout un archer exemplaire, qui avait été formé à l’archerie par des elfes sylvestres, des francs-tireurs redoutables à la discipline exceptionnelle. Lancélion était à la pointe, et Elena l’aimait bien... La preuve en était qu’il se chargeait de la formation à l’arc d’O’kaya Nyala, une Miqo’te qui avait rejoint il y a plusieurs semaines le Palais d’Ivoire.
Outre Lancélion, la protection de la caravane royale n’était pas assurée par Ronald lui-même, mais par une femme qui avait déjà couché avec Adamante, la valeureuse capitaine
Luria, une femme qu’Elena aimait beaucoup aussi.
«
Allez, en piste ! »
Les cors et les trompettes sonnèrent, et les portes du Palais d’Ivoire s’ouvrirent... Puis la caravane s’ébroua, et commença à sortir. Elena avait beau être une Reine impopulaire dans certains quartiers, et on avait beau lui avoir formellement interdit de sortir de sa caravane, sa tête et le reste de son buste ne tardèrent pas à sortir des voilures devant les vivats d’une foule massive dressée le long de la pente de la falaise.
«
Au revoir, Majesté ! pouvait-on entendre.
-
Revenez-nous entières, nous vous aimons ! scandait-on.
-
Longue vie à la Reine ! Longue vie à la Reine ! »
Les larmes aux yeux, Elena secouait énergiquement la main.
«
Merci ! Merci ! s’égosillait-elle.
Je vous aime aussi ! Je vous aime !! »