Nell avait l’impression de faire la visite d’état des lieux devant le propriétaire. Elle était locataire de ce bel appartement, la propriété appartenant à une société spécialisée dans l’immobilier. Nô était même encore plus froide qu’un agent immobilier qui comparerait chaque centimètre carré de l’appartement avec sa petite fiche indiquant l’état des lieux avant le contrat de location. Nell explorait chacune des pièces, sans trop savoir quoi dire, ni que faire. C’était elle qui se chargeait du ménage au sein de l’appartement, mais il fallait la comprendre : Nô était un vrai bloc de glaçon. Certes, elle était jolie, et très bien roulée pour une Jap’, mais elle peinait à comprendre ce que Jane lui trouvait, et dans quel pétrin sa frangine s’était encore fourrée pour se retrouver avec une femme pareille. Sa mère... Rien qu’en le pensant, ça semblait délirant. Nell avait toujours été un peu plus responsable que Jane, une grande égocentrique immature rêvant d’être une femme puissante et vénérée. Pour Nell, sa petite sœur avait toujours cherché, par ce biais, à compenser la carence affective de leurs parents, et elle en arrivait même à se demander si, d’une certaine façon, le choix d’avoir une mère adoptive ne trahissait pas une certaine forme de deuil vis-à-vis de ses parents... Nell n’était toutefois pas suffisamment psychologue pour aboutir à un tel degré de raisonnement et le tenir.
Toutes les pièces étaient bien entretenues, sauf une... La dernière. La chambre de Jane. Quand Nell l’ouvrit, elle y vit l’habituel capharnaüm qui caractérisait l’esprit désordonné de sa sœur. C’était un vrai fatras de culottes posées sur le sol, de boîtiers de DVD gisant ici et là... On aurait dit qu’un Poltergeist venait de se déchaîner. Il n’y avait pas encore de cadavres de cannette ou de pizzas éventrés, fort heureusement. Plusieurs épais bouquins sur la magie noire, la sorcellerie, Lovecraft, la démonologie, gisaient sur le sol. Généralement des trucs achetés sur eBay, et qui n’avaient aucun véritable intérêt pour ce que Jane recherchait.
«
Je suppose que c’est vous qui entretenez cet endroit ? demanda alors Nô
-
La chambre de Jane est entretenue par Jane seule, précisa utilement Nell.
Je ne m’y explore qu’en cas d’ultime nécessité. -
Hey ! protesta alors l’intéressée, avant de hausser les épaules.
Bon, il y a peut-être un petit peu de rangement à faire, oui... »
Pour le coup, Nell avait un esprit maniaque et très ordonné, contrairement à Lane. La simple vue de cette chambre était une torture pour Nell. Nô continua son exploration, et réussit à trouver un magazine porno’, «
Sunstone », un magazine
yuri axé fétichisme, tenues en latex, et sadomasochisme. La grande Watson soupira légèrement en ravalant un juron dans sa barbe (ou ce qui faisait office), tandis que Jane se contenta d’un léger sourire innocent, haussant à nouveau les épaules, comme pour dire : «
Ben quoi ? »
Nô se permit alors une petite remarque acerbe sur une femme de ménage, et Nell enchaîna là-dessus :
«
Appelez plutôt toute une équipe, si vous voulez vous occuper de Jane. -
Mais... Je sais prendre soin de mes affaires ! C’est juste que... Euh... Ben, comme on va déménager, je faisais un peu de tri, voilà tout... Et pis, y a pas mort d’homme ! »
C’était une manière de voir les choses. Nell regarda autour d’elle, et vit alors, sur les murs, différents posters... Dont un qui le fit tiquer.
«
Tu ne devais pas le retirer, lui ? -
Je comptais le faire ! -
Ah oui ?! Et quand, exactement ?! »
Le poster n’était pas vraiment un poster qu’on pouvait montrer lors d’une visite. C’était un
remake érotique de l’une des célèbres scènes du premier «
Spider-Man », et qui se dressait à côté du lit de Jane. Nell soupira à nouveau en secouant la tête.
«
Bon... Malgré le désastre, il reste encore une pièce à voir... La salle de méditation du petit diable. »
Dans son dos, Jane lui tira la langue, et Nell, sans en tenir compte, sortit dans le couloir. La porte était à côté, et elle menait sur une pièce dépourvue de fenêtres, que Jane éclairait habituellement avec des bougies... Soit pour le côté ésotérique de la chose, soit parce qu’elle avait lu que le courant électrique pouvait provoquer des perturbations avec le monde des esprits. C’était une petite pièce sombre avec, au centre, un guéridon, un livre de sortilèges magiques (aucun ne fonctionnait, pour l’heure), et un glyphe magique sur le sol, tracé à la craie. D’après Jane, le glyphe n’était pas encore terminé, et aurait pour but d’invoquer une succube. À chaque fois que Jane lui en parlait, Nell lui rétorquait que son invocation ne marcherait pas, car il y avait déjà un affreux démon dans l’appartement.
«
Il me faudra une pièce similaire, Nô ! s’exclama Jane.
Elle doit servir à canalyser l’énergie mystique qui se trouve dans les environs, afin d’améliorer l’efficacité de mes sorts. -
Oh Seigneur, soupira Nell.
On se croirait dans Charmed… »
Se tacler régulièrement était manifestement un sport régulier entre les deux filles.