Les amis des Valdur étaient excessivement rares. Leur caractère et leur gémellité avait tendance à repousser les gens. De plus, ils étaient entrés dans l'établissement depuis moins d'un mois, ce qui excluait qu'ils disposent d'amitiés de longue date. La personne qui leur transmis donc le message fut donc un garçon qu'ils avaient croisé en cours, et avec qui ils avaient discuté quelques minutes seulement (le rayonnement des corps noir ne l'intéressait visiblement pas assez pour qu'il reste plus longtemps). Craignant sans doute de s'engager dans une nouvelle conversation de ce type, il leur avait simplement remis le papier, agrémenté d'un :
« Salut les jumeaux, je vous donne juste ça, on m'attend pour manger au self ! »
Ils avaient ensuite, avec autant d'enthousiasme que de surprise, lu le mot qui leur était adressé. C'était la première fois de leur vie qu'on leur transmettait un message de cette manière, et ils en étaient presque émerveillés.
« Woah, une lettre. C'est vraiment chouette.
– Oui, je pense qu'elle a été écrite au stylo-bille.
– Tu crois pas qu'on devrait inventer une machine à écrire des lettres ?
– Genre un bras mécanique ? Ce serait génial. On pourrait les faire livrer par un drone.
– Avec une reconnaissance automatique des visages, alors. J'adore l'idée !
– Et sinon, ça dit quoi ?
– C'est une fille qui demande qu'on l'aide pour un devoir.
– Quelle matière ?
– Chimie.
– C'est plutôt ton domaine, la chimie.
– Ouais enfin, on va pas réinventer le polytétrafluoroéthylène.
– C'est quand ? Mercredi ? Ah, je crois pas que je pourrais être là. T'as qu'à y aller, toi.
– Hein ? Pourquoi tu pourrais pas venir ?
– J'ai un rendez-vous.
– Je suis pas au courant.
– C'est chez le euh… gynécologue. Vas-y tout seul, et je vous rejoindrais après, si vraiment t'as trop peur. »
Stella venait de mentir à son frère. Elle n'avait pas plus de choses prévues le mercredi que les autres jours de la semaine. Mais elle avait bien compris que s'ils n'arrivaient pas à se socialiser, le fait qu'ils soient toujours ensemble, à parler ensemble, sur des thèmes que seuls eux intéressaient, y était pour beaucoup. Cela lui coûtait vraiment, mais selon elle, Peeter avait bien plus de chance de se faire un ami si elle n'était pas là. Surtout si l'ami était une amie.
Le mercredi indiqué, avec quinze minutes d'avance, l'adolescent était présent devant la chambre. Il avait mis beaucoup de soin à s'habiller, si bien que s'en était presque ridicule : on avait l'impression qu'il allait à un rendez-vous galant. Pourtant, sa petite veste noire, son beau pantalon en toile brune et ses chaussures cirées lui allaient plutôt bien. C'était peut-être le fait qu'il ait essayé de peigner ses cheveux en les aplatissant sur le côté qui n'allait pas. Mais au moins, il faisait petit écolier modèle, à l'ancienne.
Très nerveux sans sa sœur, il osa à peine frapper à la porte. Le fait qu'il était en avance et qu'Atazaki soit peut-être occupée à autre chose ne lui avait même pas traversé l'esprit, d'habitude si vif. Il ne donna que deux coups assez faibles sur la fameuse entrée 42. Il n'avait fait que frôler le bois, et on ne l'avait peut-être pas entendu. Il en vint à craindre de s'être trompé de numéro. Sans Stella, les choses les plus faciles lui paraissaient empreintes d'un véritable chaos. Si on ne lui ouvrait pas quelques secondes plus tard, il essayerait de voir si la chambre était verrouillée ou non, et jetterait un coup d’œil à l'intérieur, histoire d'en avoir le cœur net.