Encore une fois, James avait agi sans réfléchir. Du moins, pas comme l'auraient fait la plupart des gens. Pour ces derniers, poursuivre un enfant dans les bois armé d'une lampe torche n'aurait pas paru la meilleure chose à faire. Pour James, cela n'entrait même pas en ligne de compte : il agissait ainsi sur une impulsion, parce que sinon, et bien, il n'y aurait pas eu d'histoires. Et il n'avait jamais pu résister à l'idée de les suivre quand il le pouvait. Il fallait bien que quelqu'un s'y colle, après tout.
« Est-ce qu'il y a une blague que je n'aurais pas comprise ? » lança l'écossais dans sa course, en références aux rires légers qui lui permettaient à eux seuls de rester sur les traces du mystérieux bambin. « Ou alors, il y a quelque chose d'étrangement drôle à se manger les feuilles de fougère sur un coin de la tronche quand on court... Je n'ai jamais vraiment couru à travers bois, à vrai dire... »
Une ombre fendit une fois de plus le décor devant James, et une fois de plus il crut enfin la saisir pour la voir ensuite disparaître derrière un nouveau buisson, derrière un nouvel arbre, derrière une nouvelle ombre plus grande. Il avait beau garder tous ses sens en alerte, James n'arrivait pas à discerner quoi que ce soit de cette silhouette qui se jouait de lui avec une facilité déconcertante, de bond en bond.
« C'est un jeu, c'est ça ? Ou une coutume. Ça va durer encore longtemps ? J'apprécie l'exercice, mais je crois que j'ai des aiguilles de pin dans ma chaussure. Du moins j'espère que ce sont des aiguilles de pin, j'ai l'impression que ça gigote. Si j'avoue que le renard est trop rapide, on fait une pause ? »
A force de parler bêtement dans le vide, James commençait sérieusement à s'essouffler, et lorsque seul le silence lui répondit, il en profita pour stopper net sa course et s'appuyer contre un arbre. Ahanant comme un bœuf, il prit quelques secondes pour retrouver sa respiration et calmer le sang qui cognait à ses tempes.
« Hou hou ? »
Aucune réponse. Plus le moindre petit rire. Seulement le bruissement du vent dans les branches. Génial, il n'avait réussi qu'à se perdre un peu plus en s'enfonçant dans cette forêt inconnue, et... Oh, une trouée ! Peut-être en verrait-il plus s'il la franchissait. Ce qu'il fit, pour découvrir une ravissante clairière digne d'un conte de fées des plus enchanteurs. Fleurs, herbe fraîche, ruisseau, pierres : rien ne manquait au décor ! Y compris la fée en question, à savoir un des gamins les mieux déguisés que James Withmore avait jamais eu l'occasion de rencontrer.L'enfant -il n'arrivait pas à discerner s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille à cause du déguisement- semblait l'attendre patiemment, tranquillement installé sur une pierre et pas le moins du monde essoufflé. Le costume de renard était saisissant de réalisme, jusqu'aux moindre détails : la queue bougeait avec un naturel qui confinait au surnaturel, et... Un instant, surnaturel, vous dites ? Éclairant la scène de sa lampe, James put voir que tous les éléments étaient réunis pour une de ces rencontres improbables qu'on pouvait trouver dans les histoire, souvent en passant à travers une armoire, un miroir ou quelque chose dans ce genre ; à en croire les livres, les pièces de mobilier étaient souvent essentielles, mais James ne se souvenait pas avoir eu de contact mobilier particulier ces derniers jours, à moins qu'il ne compte la fois où il s'était cogné le tibia dans une des tables basses du lobby de l'hôtel. Non, il ne pouvait s'agir que d'un gamin n'est-ce pas ? Un môme superbement grimé, doté des dernières techniques de cosplay à la mode et de parents fortunés. Les renards humanoïdes qui parlent, ça n'existait pas. Normalement. La scène était si étrange que Withmore ne savait pas comment réagir. C'était presque comme s'il avait peur de gâcher une telle rencontre en essayant d'en avoir le cœur net.
Lorsqu'une idée lui vint. Ou, plus qu'une idée, une nouvelle impulsion qui avait souvent gouverné sa vie : celle de l'impératif narratif. Elle réglait pas mal de situations, et elle était toujours au service de l'histoire avant tout. Et une histoire, il lui semblait bien en vivre une. Alors, sans plus y réfléchir, il s'avança et fit ce qu'on attendait de quelqu'un découvrant un tel être, incertain de sa nature. Il se plia aux exigences de la narration, glanée au fil de ses très nombreuses lectures...en saisissant les joues poilues du gosse et en tirant fort dessus tout en s'exclamant :
« Dis donc, tu m'as l'air d'avoir là un masque très réaliste mon grand ! Voyons ce qui se cache derrière ! »
Par pur souci narratif, James ne ménagea pas ses forts. Et par pur souci narratif, aucun masque ne se détacha. Et quelque part au fond de lui, James n'en était pas vraiment surpris.
« Oh. » se contenta-t-il de dire, ses mains tenant toujours fermement les favoris de l'être qui l'avait conduit jusqu'ici, quel qu'il soit.