Le plus important n'est pas comment elle s'est fait capturée, ni pourquoi – bien que ce dernier semble évident, mais pour quelle raison n'a-t-elle pas résisté.
Elle, la Louve magicienne, la puissante sorcière des landes, tombée presque volontairement aux mains de ses pires ennemis : l'Inquisition. Celle-la même qui a assassiné sa mère et dont la torture hante encore son esprit.
Un nid de poule. Le chariot chahute et prisonnière de sa cage, la belle manque de chuter. Elle agrippe fermement les barreaux pour se rattraper.
« Je suis d'avis que nous devrions la brûler au prochain village, cela ferait un bon exemple. » propose une énième fois l'un des paladins. En voyage, ces guerriers de la foi revêtent une longue bure sombre qui occulte l’étincelante armure de leur ordre. Ainsi, ils se présentent presque toujours comme pèlerins et juges, chassant le Mal, exorcisant la Bête et dispensant la lumière.
« Non, Johan. » répond l'aîné, les dents serrés – lui-même incertain de cette réponse,
« Elle... »Salomée sourit discrètement tandis que son regard de biais scrute le chef, intéressée. Ce dernier l'admire en retour et elle décèle sous l'ombre de sa large capuche les traits de l'homme séduit, conquis et transit de sa proie. La sorcière se concentre, malgré les liens en argent pur dont elle outrepasse – avec difficulté, la souffrance, fixe l'homme de foi avec insistance. Le peu de force restant chez elle sert à maintenir ce sortilège d'amour. Elle flirte avec les pensées du religieux pour lui intimer de répondre :
« Elle...n'a commis aucun crime... » souffle-t-il, envoûté.
« Mais Maître !! » s'insurge son subordonné, horrifié,
« Elle est coupable d'avoir pactisé avec le Mal, d'avoir tué, d'avoir.... ! » La résistance du plus jeune importune la captive qui sent l'esprit contrôlé lui échapper peu à peu. Elle déglutit et enserre davantage les barres de fer s'empêchant de défaillir quand un troisième inquisiteur – celui qui guide la charrette, intervient :
« Nous arrivons bientôt à Unta. Nous ne sommes pas les bienvenus là-bas, Maître. Dois-je rebrousser chemin ou contourner les terres l'Oasis Viveci ? » « Qui sommes-nous pour fuir ?! Nous irons à Unta, nous représentons l'Ordre. Et....nous nous débarrasserons d'elle là-bas. Une fois qu'elle aura passé les portes de ce pays de demeurés, elle ne pourra plus en sortir. » On pouvait sentir là, toute l'affection que possède l'inquisiteur pour le peuple de cette contrée qu'il considère comme une abomination.
Et le maître talonne sèchement sa monture exigeant d'elle un galop féroce. Les deux autres suivent le rythme, le chariot s'ébranle soudainement. Unta, songe-t-elle épuisée par le voyage et par l'effet de ces maudites chaînes bénies, Quel drôle de nom...
Enfin, ils franchissent les portes – toujours lancés au galop. Elle a à peine le temps de croiser les yeux d'un soldat perché sur la muraille.
Unta, le plus grand marché aux esclaves des terres Viveci.
Tout de suite, Salomée comprend que les Inquisiteurs n'ont guère le désir ni l'ambition de demeurer longtemps parmi les dunmers qui commercent à foison de la chair servile. Ils arrêtent le convoi devant la première étale venue et font quérir le vendeur.
« Nobles gens, que puis-je ? » se courbe le marchand ayant aperçu – l'oeil vif, entre deux plis de toge l'or de l'armure.
« La ferme, sale créature. Et remercie-nous plutôt de t'apporter de la viande fraîche sans que tu n'aies à dépenser un sou. » s'énerve le maître, de plus en plus mal à l'aise. Il fait signe à ses hommes de décharger la marchandise.
Bientôt, Salomée se retrouve agenouillée devant le négociant d'esclaves. Sa robe pourpre est déchirée par endroit, tâchée de boue et poussiéreuse. Ses cheveux démis cascadent librement le long de son petit corps, mais ses yeux – immenses et scintillant d'une clarté peu naturelle, attirent tout de suite l'attention du dunmer. Il s'approche pour empoigner son menton et admirer ses traits sous tous les angles, fin connaisseur.
« Je prends. Vous ne réclamerez donc rien sur sa vente ? » A côté des religieux, les chevaux piaffent d'impatience et l'aîné réplique clairement :
« Non. Dîtes simplement à celui qui l’achètera, de bien conserver les chaînes. » Avant de tirer leur révérence, les paladins humilient une dernière fois leur prise. Tour à tour, ils viennent lui cracher dessus l'obligeant à détourner son joli minois.
« J'espère que tu crèveras bientôt sale chienne» termine le cadet en remontant en scelle.
La pulpe de ses doigts effleure timidement sa joue pâle que souille le sillon de salive encore brûlant. Cette marque la scandalise et elle s'empresse d'essuyer son visage à l'aide de sa main, dégoûtée. S'ils espèrent se débarrasser d'elle aux confins de la dictature d'Ashnard, ils se trompent royalement. Le marchand fait appel à deux gorilles qui saisissent sa nouvelle acquisition pour la traîner à l'arrière boutique. Là, elle serait prise en charge par une matrone – conseillère en vente sans doute, chargée d'attifer les esclaves au moindre coût pour les rendre plus désirables.
La dame lui ordonne de s'installer devant une coiffeuse au milieu d'une chambre rustique qu'éclairent plusieurs chandelles. D'abord, on lui nettoie la figure avant de la mettre nue et nettoyer tout le reste. Salomée subit cette toilette dans l'indifférence, bien droite – supportant douloureusement la brûlure de ses chaînes argentées contre son derme précieux. Parfois, elle manque de s'effondrer et la dunmer rattrape sa chute pour poursuivre son travail en silence.
Une heure plus tard, le marchand intervient, impatient :
« Est-elle prête ? C'est l'heure de pointe ! Je veux la voir sur l'estrade devant la boutique, dépêche-toi ! »
Il se frotte déjà les mains. Une semi-humaine à la beauté brute et froide, signe d'un métissage démoniaque sans doute. Les créatures sont rares. Et il s'imagine déjà faire un magnifique pied-de-nez à la concurrence. Habitué à être la risée des commerçants puisqu'il ne vend que des humains et quelques terranides, il pourrait s'attribuer la gloire d'admirer l'envie dans les yeux des autres marchands.
Une fois la dernière agrafe du soutien-gorge attachée, l'assistante prévient les hommes de mains.Ils récupèrent donc Salomée pour la guider devant la boutique, à l'air libre, sur une estrade d'exposition aux côtés de malheureux et de malheureuses. La sorcière, quant à elle, admire maintenant l'étendue du marché tandis qu'on attache ses chaînes à un vulgaire poteau. Digne, elle conserve un port altier et fier, tout empreint de noblesse. Elle constate que ce lieu de vulgarité est animé par de la musique, des chants et de multiples cris : ceux des marchands, ceux des esclaves, ceux des bêtes. Toute cette cacophonie lui donne la nausée ; et tant de vie lui donne envie de vomir.
« Eh....eh ! Petite ! Réveille-toi, j'crois que le monsieur est là pour toi ! » Après quelques heures à veiller sur l'estrade, sous le joug maléfique de ses chaînes oppressantes, Salomée est éveillée par les paroles de sa comparse d'infortune : une humaine à la chevelure flamboyante qui lui indique d'un geste du menton la position de l'homme en question. Vêtu d'une simplicité exemplaire, il semble négocier avec son acquéreur.
« Tu en as de la chance....ca doit être un vieillard. Ceux-là, ils sont juste lubriques. Tu les suces un bon coup et après t'es tranquille ! Et quand ils meurent tu es de facto affranchie, ma chérie ! » soupire l'autre, exaltée.
La belle brune comprend aisément que la rouquine est sous l'effet d'une drogue souvent administrée aux esclaves pour les calmer : moyen efficace d'endiguer les révoltes. Néanmoins ce monologue vient de parasiter la discussion des deux dunmers dont Salomée n'aura saisi qu'un ou deux échos. Enfin, on la détache du poteau pour l'inviter à descendre de l'estrade. Quelques pièces échangées d'une main à l'autre et elle suit déjà son nouveau « maître ». Bien qu'elle tâche d'en rire, la situation la contrarie au plus haut point.
Elle, esclave ? Jamais. Ce petit jeu ne durera guère longtemps, se promet-elle combattant la fatigue. Le rivage est un lieu agréable à atteindre, loin de la ville et de toute son agitation. La sorcière retrouve enfin l'élément sauvage et hume discrètement l'air aqueux, mais le fouleur de vase la surprend et elle fait quelques pas en arrière figée de stupeur.
Ja-mais, elle n'a vu pareille créature. Méfiante, elle sonde la bête avant d'emboîter le pas de l'étranger. Désormais installée dans la carapace de cet animal fort intriguant, Salomée se permet d'admirer l'acheteur métamorphosé. Elle ne refuse pas le vêtement tendu et s'en recouvre pudiquement les épaules alors que ses oreilles s'abreuvent de la présentation singulière : un dieu. Rien de moins. Elle hésite à parler, elle qui n'a jamais cru en l'existence des dieux et encore moins en leur efficacité se sent piégée. Toute tendue, elle ose articuler après de longues secondes, mélodieusement :
« Je me nomme Salomée.
Je vivais dans les landes dévastées. Quant à l'Ordre, il en veut à tout le monde. Est-ce si surprenant ? » évinçant volontairement tout l'aspect lié à la magie.
Puis, recouvrant une noble assurance, elle lui présente de nouveau son regard azuré pour continuer :
« Etes-vous sûr de ne pas vous être fait avoir par ce minable marchand ? Il n'a même pas vérifié que j'étais vierge. Et puis, un dieu acheter un esclave ? Etes-vous si impopulaire auprès des femmes pour vous en payer une ? » Le ton insolent est volontaire, voire naturel. Supportant mal sa condition servile, la sorcière s'apprête à être désagréable par tous les moyens. Une fois qu'elle aurait récupéré assez de force, guérie de ses plaies, elle soumettrait Vehk, dieu ou pas, pour le simple plaisir de le voir à ses pieds. Et ses mirettes claires caressent à nouveau le paysage du lac au rythme de la marche lente du fouleur de vase, un sourire suffisant avait fleuri au bout de ses lèvres pourpres.