Votre résistance était honorable. Si c’était là un baroud d’honneur, alors vous l’aviez accompli. Les néarass étaient plus nombreux, mais, fort heureusement, ils n’étaient pas très malins. Ils voyaient une ouverture, et s’y ruaient bêtement, au lieu de chercher à en creuser d’autres. Ils entraient dans un véritable goulot d’étranglement. Les flèches et les carreaux des Lacruziens s’abattaient sur eux. C’était certainement la chair de la femme qui attirait les néarass, la perspective de pouvoir les prendre avec leurs vits. La porte n’était pas extensible à volonté, et, quand les néarass venaient, vous les accueilliez. Les premiers furent tués dans le narthex, incapables de s’avancer plus avant. Le sang de l’un d’entre eux aspergea un bénitier quand ta lame l’égorgea. Narïm, malgré ses blessures, restait toujours aussi solide, un inébranlable roc, malmenant les démons. Vous étiez fatigués. Même si vous pouviez vous soigner, les blessures restaient là, meurtrissant votre chair. Vous ne vous arrêteriez pas, mais chacun d’entre vous sentait que la bataille touchait à sa fin.
Prudemment, les Lacruziens vous soutenaient, les spadassins hésitant à attaquer. Ils avaient vu tant des leurs mourir, et, vu l’espace réduit, ils avaient le sentiment que se battre ne servirait à rien, que vous ne feriez que vous les gêniez, dans un espace aussi clos... Sur ce point, ils n’avaient pas foncièrement tort. Vous tournoyiez, laissant des plumes blanches dans votre sillage, surprenant les néarass par votre rapidité et votre agilité, les attaquant par en-haut. Tu vis ainsi Arinna et Nazara jaillir depuis les poutres, posant leurs pieds sur les épaulières de deux néarass, avant de, conjointement, enfoncer leurs épées dans leurs gueules, faisant rougeoyer les lames, et tuant les deux monstres. Les lourdes armes des néarass sifflaient mortellement, et tu te reçus même un coup à la joue. Plusieurs de tes dents sautèrent sous l’impact, qui manqua bien t’arracher la joue, mais, avant même que tu ne puisses répliquer, Nazara l’attaqua. Le tout était d’être rapide, afin d’éviter que les néarass ne s’accumulent.
« Haaa !! Haaaa !! hurlait Narïm. Engeances infernales !! Pouilleux de merde, crevez !! »
Il était bien plus expressif que vous. Un néarass le frappa à la main, faisant sauter sa lourde épée. Narïm répliqua par un coup de boule à l’ancienne, écrasant le nez du néarass. Il attrapa ensuite la hache du néarass, et la lui vola, puis la manipula pour la planter dans le crâne du monstre. Un autre néarass l’attaqua alors, cherchant à frapper le dos de Narïm avec sa masse. Ce dernier pivota légèrement, et tendit sa main pour se protéger. La masse heurta son poignet, puis son dos, le déplaçant contre un pilier. Le néarass tenta de profiter de son avantage, mais une flèche lacruzienne réussit à lui transpercer la gorge, rappelant aux démons que vous n’étiez pas les seuls à défendre les femmes.
Terrorisées, ces dernières s’étaient agglutinées autour de la Duchesse Hannah. Chacune de ses mains tenait celle de deux petites filles. Elle vit un Ange être repoussé. Iranaël heurta un banc, et atterrit au milieu de plusieurs Lacruziens. Un démon venait de la frapper, et le choc l’avait repoussé. De ton côté, tu continuais à te battre, à repousser les néarass, à les vaincre. Les cadavres s’accumulaient. Tu évitas le poing d’un néarass en fléchissant les genoux, et la lance le transperça du bas vers le haut, ressortant de l’autre côté de son corps, rouge de sang. Le démon ouvrit la bouche dans un hurlement muet, son sang tombant sur ton nez et tes joues. Tu le repoussas, et vous continuiez à les affronter, sans relâche, toujours avec la même fougue, la même force.
Au bout d’un moment, les néarass cessèrent d’attaquer. Vous vous regardâtes. Que préparaient-ils ? La réponse ne tarda pas à venir quand leur chef vous proposa une solution : que vous partiez avec les Lacruziens, en leur laissant la ville.
« C’est un piège », décréta Narïm.
Il n’était même pas besoin de le dire pour le savoir. Tu te retournas, observant les Lacruziens. Les soldats étaient peu nombreux, épuisés, et les femmes terrorisées.
« Tout pacte avec le Démon est une fornication et une offense au Seigneur ! hurla alors Anne, la bigote.
- Taisez-vous, Anne ! s’énerva la Duchesse, épuisée.
- Un sacrifice ! Le Seigneur exige un sacrifice, tout comme il exigea jadis le sacrifice de son fils pour pardonner à l’Humanité, ce fils ingrat et indigne ! »
Ton regard se détourna d’elles pour observer Iranaël.
« Que fait-on ? demandas-tu.
- Ils n’arrivent pas à passer, et veulent tout simplement nous faire sortir.
- On a qu’à sortir pour leur latter la gueule, suggéra Narïm.
- Et les laisser sans protection ?
- Je peux toujours rester en arrière-ligne pour les défendre, rétorqua Narïm.
- Ne surestime pas tes capacités, Narïm, nuança Nazra. Si nous sortons, les néarass voudront se ruer à l’intérieur. »
Iranaël se rapprocha alors des soldats, et leur demanda si des renforts devaient arriver. Ce fut la duchesse Hannah qui intervint, après avoir pris dans ses bras des petites filles. Malgré la mort de son mari, elle se montrait encore digne, car elle savait que les autres se reposaient sur elle. Si elle s’effondrait, ils suivraient les paroles d’Anne, une espèce de fanatique qui priait fermement devant l’autel.
« Quand nous avons appris que des démons se rapprochaient, nous avons envoyé des messagers à la plus proche garnison. »
Il allait malheureusement falloir attendre, et ce laps de temps donnerait à votre ennemi le temps de se reconstituer. Sortir était trop dangereux. La Duchesse leur expliqua qu’il y avait bien une crypte dans laquelle s’abriter, mais elle ne retiendrait pas longtemps les démons. Iranaël hocha la tête. Son plan était fixé, et elle s’envola, passant par les cloches de la cathédrale pour se tenir dehors, dévisageant la masse de démons agglutinée en contrebas.
« Nous avons une contre-proposition à faire, démons. Vous avez perdu cette bataille. Votre Maître est tombé. Il a fui en vous laissant ici pour vous sacrifier. Il vous a promis monts et merveilles, mais vous ne récolterez rien de plus que la souffrance en vous acharnant ainsi. Déposez les armes, rendez-vous, et nous vous accorderons un sauf-conduit vers votre terre natale. Continuez à vous obstiner, et nous vous tuerons tous ! »
Voilà votre proposition, exprimée succinctement.