Ayaka prit le temps de lire le formulaire. Ce n’était pas un contrat de consommation, il n’y avait pas de clauses imbuvables, de mots à double sens, ou de petits caractères. Le ton était formel et procédurier, mais suffisamment compréhensible pour n’importe qui. Concrètement, le contrat insistait sur la notion de responsabilité et sur celle de confidentialité. Le SHIELD était une organisation de défense, mais qui manipulait aussi l’information. C’est ce qui amenait certains à dénoncer l’organisation comme étant une sorte de version moderne de Big Brother. C’était par exemple le cas de Rising Tide, un mouvement qui agissait pour la libéralisation de l’information, ce qui, pour le SHIELD, était une folie. Malheureusement, le monde actuel était un monde dans lequel les secrets étaient mal vus, et dans lequel il fallait tout déballer. Demandez à Edward Snowden et à Julien Assange si vous étiez sceptiques. La mère de Yumi le lut donc scrupuleusement, tandis que Yumi, s’ennuyant ferme, se mit à jongler avec ses oranges. Visiblement, la jeune fille était plutôt active. Lloyd nota cela en étant légèrement rassuré. On lui donnerait aisément de quoi se dépenser. Natalia, elle, patientait, mains croisées dans le dos. Elle se demandait qui serait l’officier superviseur de cette femme. Yumi avait l’air enjoué, mais Natalia se méfiait des justiciers en herbe. Souvent, ils étaient des idéalistes, et l’idéalisme était souvent synonyme d’égocentrisme. Elle ne déniait pas aux supers-héros leurs qualités, mais elle trouvait grotesque et enfantine cette façon qu’ils avaient de s’afficher, de gonfler leur orgueil en devenant des cibles à part entière. Oh, Natalia comprenait toute la symbolique qu’il y avait derrière ces gens, mais elle savait aussi qu’ils étaient un danger. Depuis que des individus avaient décidé d’exhiber leurs facultés paranormales pour en faire profiter le monde entier, ce dernier était devenu bien moins sûr, bien plus instable et dangereux. Le SHIELD avait raté le coche, et devait maintenant faire avec.
*
C’est une amatrice, son OS ne devra pas oublier ça...*
Le choix reviendrait aux individus dirigeant le complexe du SHIELD. Une session extraordinaire aurait lieu, comme à chaque fois, mais elle ne serait que pure formalité. Natalia savait que ce serait Lloyd qui aurait le dernier mot, car il avait participé au «
premier contact » avec cette femme. Son choix s’imposerait sur celui du conseil, sauf s’il devait y avoir des circonstances particulières. Par la suite, le dossier serait envoyé à Triskelion, et tamponné par le directeur du SHIELD, qui, par la suite, avaliserait la procédure, et le rangerait dans l’immense base de données du SHIELD, en le classifiant. Plonger dans l’organisation, c’était plonger de plein fouet dans la politique du secret, et dans le culte du silence. Il faudrait que Yumi s’y habitue.
Sa mère avait fini par signer le document, et leur demanda à ce qu’ils prennent soin de sa fille. Pour elle, c’était presque comme l’abandonner.
«
C'est bon M'man, je vais juste à l'autre bout de la ville, pas sur une autre planète... -
Rassurez-vous, Madame, elle reviendra ce soir. Nous ne kidnappons pas encore les enfants. »
Dix minutes plus tard, donc, le trio se retrouva dans une voiture de service, une solide
Chrysler 300C, pilotée par Natalia. Yumi s’était assise derrière. Lloyd pensait à tout ce que cette femme avait dit sur »
Star Wars », les aliens, les Sith... C’était à peine croyable.
«
Concernant tes sabre-lasers, Yumi... Le mieux me semble juste de dire que tu viens d’une galaxie très lointaine, et que c’est une technologie extraterrestre. En un sens, ce n’est pas faux, mais, si tu viens dire aux gens que tu viens vraiment de l’univers de Georges Lucas, ils te prendront pour une cinglée... Mais tu peux dire que tu as hérité de la philosophie Jedi... Les personnes dotées de capacités surnaturelles comme toi aiment bien avoir... Un pseudonyme, un genre de surnom officiel, quoi... La Jedi, ça lui irait bien, vous ne pensez pas, Agent Romanov ? -
J’ai toujours trouvé cette mode des surnoms complètement débiles, mais je comprends que ça puisse sembler cool... -
Woow ! C’est un grand jour pour moi ! Non seulement je rencontre une Jedi, mais, en plus, Agent Romanov, ne vous aurais-je pas entendu prononcer le mot ‘‘coolo’’ ? »
Natalia ne dit rien, fronçant légèrement des sourcils en raffermissant sa prise sur le volant.
«
Redites-le pour voir, juste histoire qu’on rigole. Et si... »
La phrase de Lloyd mourut quand un appel résonna. La voiture disposait d’un écran intégré, à la place de l’autoradio, et celui-ci s’illumina d’une lueur rouge, tandis que le symbole du SHIELD apparut, clignotant furieusement, avec le message suivant :
MESSAGE D’URGENCE PRIORITAIRE
Abandonnant son sourire, Lloyd appuya sur l’écran.
«
Contrôle, ici l’Agent Dawkins et l’Agent Romanov... Nous ramenons... -
Agent Dawkins, on rapporte des troubles à l’ordre public dans votre secteur. Troubles surnaturels confirmés par reconnaissance satellite. -
Je vous écoute. -
Le Boomerang et Constrictor ont attaqué une bijouterie avec l’aide de criminels notoires, et se heurtent à des Yakuzas. Probablement une guerre entre clans... -
Indiquez-nous leur position, on s’y rend. »
Lloyd mit fin à la communication, et tourna la tête vers Yumi.
«
Un peu d’exercice, la Jedi, ça te botte ? »
Dans une rue adjacente, la bataille faisait rage entre les Yakuzas et leurs ennemis.
Boomerang et
Constrictor étaient deux criminels connus des services du SHIELD, et disposant tous les deux d’un équipement de pointe. Constrictor était en train d’utiliser son armure. Résistante, elle le protégeait plutôt bien des balles, et il avait envoyé deux espèces de longs câbles métalliques pouvant balancer des charges électriques. Il attaqua ainsi deux motos ennemies qui fonçaient sur la bijouterie depuis une ruelle, envoyant valser les pilotes, qui poussèrent des hurlements de douleur en heurtant les murs.
«
Vous n’auriez pas du vous opposer aux Guramu ! s’exclama Constrictor.
-
Ces imbéciles et leur esprit kamikaze, renchérit Boomerang.
Ils ne peuvent rien contre nous. »
Boomerang prit dans ses deux mains des boomerangs spéciaux, des «
shatterangs », et les lança sur une voiture ennemie. Les deux boomerangs se plantèrent contre la carrosserie de la voiture et explosèrent simultanément, provoquant l’explosion du moteur de la voiture, soufflant les deux Yakuzas abrités derrière, qui se transformèrent en torches humaines, poussant des hurlements de douleur en se roulant par terre.
Au loin, on pouvait entendre les sirènes des voitures de police se rapprochant à vive allure.