Ancient Stronghold [Camille Temple]

L’Inquisiteur Kairn... Nathan regarda l’autre homme, et se dit qu’il avait la bonne dégaine pour un inquisiteur terran. Le regard froid, la mâchoire serrée. Cependant, si Nathan avait bien compris, c’est à lui qu’il devait le fait d’être encore en vie. En un sens, il se devait donc de lui être reconnaissant. Camille allait bien, et c’était l’essentiel...Elle avait même son gros molosse infernal ! Certes, ils n’étaient pas ensemble ou quoi que ce soit, mais Nathan se sentit quand même rassuré de la savoir parmi eux. Il fallait bien admettre que l’Inquisition ne s’entendait sans doute pas très bien avec les sorcières. Elle lui avoua qu’il avait l’air d’aller bien, et il sourit un peu stupidement, en se massant l’arrière de la nuque.

« Si on objecte le fait que je me souviens avoir braqué Sullie... Ouais, ça va.
 -  Vous étiez sous l’influence d’une relique corrompue par Dormin pour que vous la détruisiez, intervint alors rapidement l’Inquisiteur. Seul un magicien de très haut niveau, et expert en magie blanche, pouvait combattre cette sorcellerie. Un vulgaire humain sans aucune affinité magique était aussi démuni qu’un nouveau-né pris au berceau contre une telle force. »

Euh... Hein ?! Nathan le regarda, une lueur d’incompréhension sur le regard. Dormin ? Un « vulgaire humain » ? Nathan ne pouvait pas dire pourquoi, mais, d’un seul coup, il trouva cet Inquisiteur très antipathique... Ce qui, bien entendu, n’avait rien à voir avec le fait que Camille se trouvait dans la même tente que lui, ou qu’elle se mit à lui parler, en semblant voir en lui le Messie. Noon, absolument rien à voir. Camille posa une question concernant un « sanctuaire », le gros molosse, Dormin à nouveau, et Nathan avait l’impression qu’on parlait en chinois, ou en morse.

« Woow, woow... Vous pouvez me faire une petite récap’ ?
 -  Vous n’êtes qu’un vulgaire pilleur de tombes que je devrais mettre immédiatement aux fers, rétorqua sèchement l’Inquisiteur.
 -  Chasseur de reliques, pas pilleur. J’ai toujours remis mes artefacts aux musées, moyennant une juste rétribution...
 -  Votre avarice est un blasphème avoué à mes oreilles ! cracha l’Inquisiteur. Une faiblesse que la Reine a su utiliser pour vous retourner, et utilisera à nouveau !
 -  Nous n’avons pas tous la chance d’avoir une armée de fidèles fournissant généreusement de l’argent par le biais de dons tout à fait honnêtes » rétorqua un Nathan guère convaincu par les vertus de la religion.

L’Inquisiteur fronça lentement les sourcils, puis, après quelques secondes, donna à Nathan quelques explications. Ce château avait été bâti sur une sorte de porte dimensionnelle menant à un vilain méchant pas beau, et un ancien méchant pas beau, Dormin, avait, il y a fort longtemps, essayé de le libérer. Il avait visiblement échoué, et avait pris possession de la châtelaine du fort, la fameuse Reine, celle qui avait tenté de les buter à plusieurs reprises. Dormin avait visiblement pour but de se libérer, et, pour ça, il lui fallait détruire les reliques qui avaient été placées ici par l’Ordre Immaculé pour le sceller. Nathan hochait la tête, comme pour faire signe qu’il suivait.

« Cependant, je pense qu’il ne faut pas nous précipiter vers ce Sanctuaire. La Reine est très puissante, et je préfère, avant de m’enfoncer dans ce château, avoir le temps d’enchanter des amulettes et des talismans pour nous protéger de l’influence de cette créature. Seul notre Sauveur avait le pouvoir de refuser les paroles du Serpent. Les êtres humains sont par nature appelés à échouer et à succomber à la Tentation, et je ne veux prendre aucun risque. De plus, il reste encore des éléments à éclaircir... »

Nathan s’humecta les lèvres. Ce petit prêche qui sentait bon le confessionnal foireux du Dimanche matin lui rappela pourquoi, alors qu’il était un orphelin éduqué par des bonnes sœurs, il n’avait jamais pu supporter les cours de catéchisme.

« ...Par exemple, savoir quels sont les liens vous unissant à Desmond, Nathan Joyce. »

Nathan ne savait pas qui était ce type. Kairn avait du obtenir son nom en lisant ses papiers, Nathan ayant avec lui son portefeuilles. Kairn lui expliqua que Desmond était un Nexusien influent, qui avait des amis hauts-placés au Palais d’Ivoire, et qui était aussi le mari de Camille... Et probablement le père de son bébé. En apprenant qu’elle était mariée, Nathan hocha lentement la tête, sentant ses espoirs s’envoler (quels espoirs ?!).Kairn lui expliqua alors que Camille avait fui ce mariage, et que Desmond la recherchait.

« D’une manière ou d’une autre, ce Desmond et ses mais sont liés à cette histoire. Il est curieux, vous ne trouvez pas, que deux vulgaires baroudeurs sans attache aient pu venir dans cet endroit ?
 -  Laissez-moi deviner : vous ne croyez pas aux coïncidences, hein ?
 -  Ma charge d’Inquisiteur m’a appris à appréhender cette notion avec la relativité qui s’y impose, acquiesça Kairn. Quand cet endroit sera scellé, je lancerais personnellement une enquête sur ce Desmond et ses associés, afin de déterminer leur implication dans la hausse des cultes aux Grands Anciens... Pour l’heure, mes hommes m’ont assuré d’avoir vu votre ami discuter à plusieurs reprises dans les tavernes de Nexus avec des hommes travaillant pour Desmond. »

Nathan fut franchement surpris, et soupira.

*Sully, putain, pas encore !*

Qu’est-ce que Victor avait encore fait pour obtenir ces informations ?

« Écoutez, Inquisiteur Kairn, je sais que tout ça a l’air suspect, mais... Honnêtement, si on voulait vraiment capturer Camille et la ramener à son mec, on l’aurait fait avant de tomber sur vous. C’est pas les occasions qui y ont manqué.
 -  Il vous aurait fallu affronter son molosse... Peut-être espériez-vous affaiblir ce chien de garde... »

Il avait fallu qu’il tombe sur un paranoïaque. En filigrane, Nathan sentait surtout que c’était un combat de testostérone. C’était le grand classique. Une belle nana, et deux mecs se battant pour elle, chacun pour des raisons différentes, et à la fois similaires. Néanmoins, Nate reconnaissait que Sullie avait sans doute caché des choses.

« J’ai une confiance totale en Victor, c’est mon mentor... C’est juste qu’il lui arrive parfois de fréquenter de mauvaises personnes... Ce qui, une fois ou deux, a pu nous foutre dans la merde. Mais je vous assure que je n’ai rien à voir avec toute cette situation. »

Il allait falloir avoir une petite conversation avec Victor, mais, avant ça, Nathan tourna sa tête vers Camille.

« J’ignorais que tu étais mariée, en tout cas... C’est lui qui... Euh, enfin... A contribué à faire ça, non ? » demanda-t-il en désignant maladroitement le ventre de la femme.

Quand il s’agissait de parler de sexe avec les femmes, ou des produits naturels issus d’une relation sexuelle, les hommes avaient généralement à s’écrouler. Il déglutit, reprenant vite.

« Si j’ai bien compris, ce Dormin veut votre enfant... Mais est-ce que c’est parce qu’il est votre progéniture... Ou celle de ce Desmond ? »

Dans sa bouche, ce mot avait un goût de cendres. Nathan ne savait pas pourquoi, mais, sans avoir jamais rencontré cet individu, il savait qu’il devait sûrement être très antipathique.

« Woow, woow... Vous pouvez me faire une petite récap’ ? »

Ah oui. Oups. J'avais oublié qu'il n'était pas au courant du coup. J'ouvris donc la bouche, pour le mettre au jus, mais l'Inquisiteur me devança. Il semblait "légèrement" méfiant vis-à-vis de Nathan.

« Vous n’êtes qu’un vulgaire pilleur de tombes que je devrais mettre immédiatement aux fers.
— Chasseur de reliques, pas pilleur. J’ai toujours remis mes artefacts aux musées, moyennant une juste rétribution...
— Votre avarice est un blasphème avoué à mes oreilles ! Une faiblesse que la Reine a su utiliser pour vous retourner, et utilisera à nouveau !
— Nous n’avons pas tous la chance d’avoir une armée de fidèles fournissant généreusement de l’argent par le biais de dons tout à fait honnêtes »

Eh, doucement les gars. Je pinçais les lèvres, sans rien dire du coup. Mais le ton de la conversation ne me plaisais pas trop. J'espérais que ça ne dégénérerais pas en rixe. Parce que je ne suis pas sûre de tenir le coup pour protéger Nathan de la magie de l'Inquisiteur.

A mes pieds, le molosse releva la tête, comme s'il sentait mon inquiétude. Je m'accroupis donc, et je le caresse, attendant la suite des évènements avec un peu d'anxiété. Heureusement, ça se calma. Et Kairns daigna donner quelques précisions à Nathan.

« Cependant, je pense qu’il ne faut pas nous précipiter vers ce Sanctuaire. La Reine est très puissante, et je préfère, avant de m’enfoncer dans ce château, avoir le temps d’enchanter des amulettes et des talismans pour nous protéger de l’influence de cette créature. Seul notre Sauveur avait le pouvoir de refuser les paroles du Serpent. Les êtres humains sont par nature appelés à échouer et à succomber à la Tentation, et je ne veux prendre aucun risque. De plus, il reste encore des éléments à éclaircir... Par exemple, savoir quels sont les liens vous unissant à Desmond, Nathan Joyce. »

Oh la la. Il parlait de Desmond. Une légère rougeur me monta aux joues. J'étais toujours honteuse d'avoir si facilement cédé à cet homme, sans réussir à discerner sa vraie nature avant qu'il ne soit trop tard. J'étais vexée aussi. Peut-être même frustrée. Moi qui me targuais de savoir juger les gens avec discernement...

« D’une manière ou d’une autre, ce Desmond et ses amis sont liés à cette histoire. Il est curieux, vous ne trouvez pas, que deux vulgaires baroudeurs sans attache aient pu venir dans cet endroit ?
— Laissez-moi deviner : vous ne croyez pas aux coïncidences, hein ?
— Ma charge d’Inquisiteur m’a appris à appréhender cette notion avec la relativité qui s’y impose, acquiesça Kairn. Quand cet endroit sera scellé, je lancerais personnellement une enquête sur ce Desmond et ses associés, afin de déterminer leur implication dans la hausse des cultes aux Grands Anciens... Pour l’heure, mes hommes m’ont assuré d’avoir vu votre ami discuter à plusieurs reprises dans les tavernes de Nexus avec des hommes travaillant pour Desmond. »

Je fronçais les sourcils, attendant la réponse de Nathan. J'espérais qu'il n'avait rien à voir avec Desmond. Je l'espérais de tout coeur. Sinon, ça voudrait dire que je me suis royalement plantée en lui accordant ma confiance aussi facilement. Mon coeur s'emballa légèrement lorsque Nathan reprit la parole.

« Écoutez, Inquisiteur Kairn, je sais que tout ça a l’air suspect, mais... Honnêtement, si on voulait vraiment capturer Camille et la ramener à son mec, on l’aurait fait avant de tomber sur vous. C’est pas les occasions qui y ont manqué. »

Un soupir m'échappa. Soulagement. J'avais mené le même raisonnement, mais l'entendre de sa bouche me rassurait un peu. J'étais presque certaine qu'il n'avait rien à voir avec mon époux.

« Il vous aurait fallu affronter son molosse... Peut-être espériez-vous affaiblir ce chien de garde... »

Ah non. J'ai eu le dogue infernal après qu'il m'ait sauvé. Après l'altercation sur le toit avec la Sorcière. Il aurait eu amplement le temps de me neutraliser, épuisée comme j'étais, et de me ramener à Desmond s'il travaillait pour lui.

Je voulu intervenir, mais Nathan fut plus rapide.

« J’ai une confiance totale en Victor, c’est mon mentor... C’est juste qu’il lui arrive parfois de fréquenter de mauvaises personnes... Ce qui, une fois ou deux, a pu nous foutre dans la merde. Mais je vous assure que je n’ai rien à voir avec toute cette situation. »

Les battements de mon coeur se calmaient, et le chien reposa sa tête sur ses pattes. Il grondait légèrement tandis que je le caressais, mais il me semblait que ça se rapprochait plus du ronronnement d'un chat que d'un grognement menaçant. Surtout que, dès que j'enlevais ma main, il venait quérir des caresses à nouveau.

« J’ignorais que tu étais mariée, en tout cas... C’est lui qui... Euh, enfin... A contribué à faireça, non ? »

Je masquais un sourire en hochant la tête. Lentement, je me redressais. Parler de Desmond me donnait un peu le cafard. Et ça ravivait mon inquiétude d'être retrouvée par cet homme. Je ne voulais surtout pas retomber entre ses griffes.

« Si j’ai bien compris, ce Dormin veut votre enfant... Mais est-ce que c’est parce qu’il est votre progéniture... Ou celle de ce Desmond ?
— Alors ça... J'imagine que c'est un croisement des deux. Apparemment, comme on l'a constatée avec la Reine, ma lignée est plutôt puissante. Mais j'ignore presque tout de lui. De Desmond. J'ai été... Aveuglée je dirais. Je pensais connaître Desmond mais... Je me suis royalement plantée. J'ai été... Droguée. Je ne sais pas ce qu'il a utilisé, mais ça me rendait docile comme un enfant. Je ne posais aucune question, je ne faisais aucune remarque... J'étais... La petite épouse modèle, selon lui. »

Je soupirais, me frottant la nuque.

« J'ai fui Desmond dès que je m'en suis rendue compte. Dès que j'ai été en mesure de le faire. J'aimerais briser l'union, mais je n'ai aucun recours s'il ne veut pas. A part sa mort. »

A ces mots, mon regard brilla d'une flamme vindicative. Je serais tout à fait capable de mettre fins aux jours de Desmond. Mais à distance seulement. J'ignore comment je réagirais si j'étais à nouveau en face de lui.

Posant ma main sur mon ventre, je portais mon regard vers l'Inquisiteur.

« Inquisiteur Kairns... J'ai confiance en Nathan. Je suis certaine qu'il ne me veut aucun mal. Je déglutis, avant de poursuivre. Que fait-on en attendant ? Je peux vous aider pour les amulettes, ou bien seule la Magie de... Du Sauveur peut être utilisée ? »

Le chien choisit se moment pour se redresser, et revenir coller son flanc contre mes jambes.

« J'ai fui Desmond dès que je m'en suis rendue compte. Dès que j'ai été en mesure de le faire. J'aimerais briser l'union, mais je n'ai aucun recours s'il ne veut pas. A part sa mort. »

Diable. Nathan écoutait sans rien dire. Droguée pour servir ? L’homme savait qu’il existait des produits similaires sur Terre, mais, sur Terra, avec la magie et tout ce fatras, ils devaient être encore plus efficaces. Ce Desmond apparaissait comme un homme fort peu recommandable.. Et surtout quelqu’un dont Camille n’était pas amoureuse. C’était une information utile à retenir. Néanmoins, Nathan était tracassé que Victor se soit rapproché de cet homme. Que savait-il ? Il allait falloir le cuisiner un peu. Pour l’heure, il essayait d’en savoir plus. Sa confiance envers cet Inquisiteur était plutôt limité, car ses hommes avaient essayé de le tuer, après tout. Pouvait-on vraiment le lui faire confiance ? Camille semblait le croire, mais... Et bien, il était toujours possible qu’elle soit droguée, sans s’en rendre compte.

Camille était donc mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, et, visiblement, divorcer à Nexus ne devait pas être si facile que ça. Elle posa ensuite une autre question à Kairn, pour savoir si elle pouvait se rendre utile :

« En attendant... Je vous suggère de vous reposer, et de continuer à vous rapprocher de ce chien. Essayez de méditer, de replonger dans vos souvenirs. Ce n’est pas que je ne veux pas de votre aide, Camille, mais façonner des amulettes n’est pas vraiment facile... De fait, si vous êtes certaine de l’innocence de vos coéquipiers, vous pourriez aussi interroger ce Victor à ma place.
 -  J’avais déjà l’intention de le faire. »

Le Haut-Inquisiteur hocha lentement la tête. Sa confiance était visiblement limitée, et, chez lui, elle se justifiait par le fait qu’un individu mortel ne pouvait pas lutter contre l’influence de Dormin. Ce Nathan avait été possédé par la relique, tout comme son ami, et ils constituaient donc deux menaces potentielles. Kairn ne pouvait pas ignorer ce détail, faire comme si de rien n’était... Pourquoi ne les avait-il pas enfermés, alors ? Il sentait qu’il y avait chez ce Nathan une force de caractère. Ce n’était pas un vulgaire individu qui s’était perdu par hasard, mais quelqu’un de suffisamment talentueux pour avoir réussi à survivre dans ce fort maudit sans perdre la raison. Les voies du Seigneur étaient impénétrables, et il ne devait négliger aucune aide, même si elle semblait isnignifiante. On ne jugeait pas un livre à sa couverture.

Nathan se retira ensuite de la tente, en compagnie de Camille. Victor était déjà dehors, en train d’inspecter des caisses abritant des armes et des munitions. Nathan alla le voir, et lui demanda des explications, en lui résumant brièvement la situation. Camille avait été mariée de force à un Nexusien qui avait visiblement une bonne influence, Desmond, et les informations de Victor venaient de Desmond.

« Ah... Attends, ces types nous suspecteraient quand même pas de... ?
 -  Devine ! »

Le ton soupçonneux et le regard circonspect de Nathan n’échappèrent évidemment pas à Sullivan, qui soupira en secouant la tête.

« Tu vas pas encore ressortir cette vieille histoire, si ? Putain, ce que t’es rancunier !
 -  J’ai failli mourir à cause de tes dettes, Sullie !
 -  Bah, bah, t’exagères toujours un peu. Bon... Les types qui m’ont donné l’info’, je les ai rencontrés en jouant. Le poker, tout ça... »

Sullivan jouait encore. Nathan aurait peut-être pu se sentir surpris dans une autre vie, mais, en réalité, il trouvait ça prévisible. Victor leur expliqua qu’il avait sympathisé, qu’il leur avait dit être un chasseur de reliques.

« Ils m’ont parlé de cet endroit... C’est aussi simple que ça.
 -  Vraiment ? Tu leur offres à boire, et ils te donnent l’endroit d’un château infernal ?
 -  Je dois être quelqu’un de très sociable, répliqua Victor en haussant les épaules. Putain, Nate, on est dans la même merde, toi et moi ! J’ai rien à voir avec ce Desmond, et je suis aussi paumé que toi ! Mais, pour être honnête, je crois que ces types se sont foutus de moi, et voulaient m’envoyer à une mort certaine. »

Ce récit ne tenait pas debout. Il était plausible, Nathan ne prétendait pas le contraire, mais ces types s’étaient joués de lui, et ne lui avaient pas tout dit.

« Bon, on fait quoi ?
 -  Vu que tu as l’air doué pour trouver des informations, Victor, je pense que le mieux est que tu fasses parler ton talent. Ces types ne nous disent pas tout, j’en suis persuadé. »

Victor hocha lentement la tête. Nathan regarda ensuite Camille.

« J’ai déjà été trompé par des femmes, moi aussi... Je sais ce que ça fait. Tu ne sais vraiment rien sur ce qui aurait amené Desmond à te faire ça ? Et... C’est qui, d’ailleurs ? Un marchand, un esclavagiste, un noble ? Comment est-ce qu’il a fait pour te droguer ? »

Une véritable rafale de questions, mais Nathan en avait beaucoup à poser, après tout.

« En attendant... Je vous suggère de vous reposer, et de continuer à vous rapprocher de ce chien. Essayez de méditer, de replonger dans vos souvenirs. Ce n’est pas que je ne veux pas de votre aide, Camille, mais façonner des amulettes n’est pas vraiment facile... De fait, si vous êtes certaine de l’innocence de vos coéquipiers, vous pourriez aussi interroger ce Victor à ma place.
― J’avais déjà l’intention de le faire. »

Je me contentais de hocher la tête, et de sortir. Avec Nathan, et avec le chien. Ce dernier me suivait à la trace. Sa présence, et celle de Nate, me rassurait. Inexplicablement. Plus que celle de l’Inquisiteur. Peut-être parce que le brun m’avait sauvée. Et que je gardais toujours cette… Rancune, envers l’Ordre. J’ai failli être torturée, étant gamine. Ça marque, ce genre de chose.

Je laissais également Nathan et Victor discuter, posant ma main sur l’encolure du chien. En le touchant, j’essayais de visualiser le lien que j’avais avec lui. J’essayais de comprendre comment le transfert d’allégeance s’était produit. Je me laissais aller à une transe, pas très profonde car je saisissais toujours des bribes de la conversation entre les deux hommes, mais suffisamment pour me focaliser sur la magie qui coulait dans mes veines, et dans celles du dogue.

Finalement, la voix de Nathan s’adressant à moi me sortit de ma transe. Je me relevais, un peu trop vite peut-être car je chancelais, et je laissais le sens de ses paroles atteindre mon esprit, regagnant lentement la conscience de l’extérieur.

« J’ai déjà été trompé par des femmes, moi aussi... Je sais ce que ça fait. Tu ne sais vraiment rien sur ce qui aurait amené Desmond à te faire ça ? Et... C’est qui, d’ailleurs ? Un marchand, un esclavagiste, un noble ? Comment est-ce qu’il a fait pour te droguer ? »

Je pris un temps avant de répondre, cherchant mes mots.

« J’ignore tout des motivations de Desmond. Quand je l’ai rencontré… Je venais de revenir à Nexus. J’ai quitté la ville étant gamine, poursuivie par l’Ordre. Je venais d’y remettre les pieds, à la recherche d’une personne dont m’avait parlé ma grand-mère. Une personne possédant une collection de pierres aux pouvoirs incroyable. Le genre de pierres que je recherche pour créer des bijoux que j’ensorcelle après, selon les demandes. J’ai rencontré Desmond en tentant de trouver l’adresse que je cherchais. Il m’a aidé, et m’a offert un verre après. J’imagine qu’il me connaissait, mais qu’il a fait semblant de ne rien savoir de moi. Il a dû droguer mon verre à ce moment-là. Parce qu’après, je me sentais attirée vers lui. Par lui. C’est vrai qu’il était beau, mais je n’ai vraiment ressenti cette attirance qu’après l’avoir quitté ce soir-là. »

Je m’interromps un instant. Je suis en train de livrer le récit de ma mésaventure à un homme rencontré aujourd’hui même. Et ça me faisais un bien fou, d’en parler.

« Après ce soir-là, nous nous sommes revus plusieurs fois. J’ai rencontré sa mère. Il m’a dit être une sorte de diplomate, de noble ayant fort affaire au palais royal. Mais je n’en sais guère plus. Je n’ai pas songé un seul instant à mettre sa parole en doute, à questionner plus avant. Et nous nous sommes mariés. Un peu précipitamment. Je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait. J’étais devenue Madame Thornbrush. »

Alors que le chien collait son flanc contre le mien, je passais une main sur mon front, chassant les mèches qui s’y étaient collées.

« Quelques jours après, ou quelques semaines, je ne sais plus, j’ai arrêté de boire ce qu’il m’offrait. Un thé, dont la recette était dans sa famille depuis des générations selon lui. Je crois que c’est à ce moment là que mon esprit s’est éclairci. Quand j’ai réalisé ce dans quoi j’étais embarquée... J’ai mis les voiles. Je suis partie aussi vite que j’ai pu. Desmond était toujours absent la journée, j’en ai profité. Et c’est tout. Depuis, il me recherche. J’ai réussi à lui échapper, mais de justesse à chaque fois. »

Posant ma main droite sur ma hanche, je soupirais.

« J’ignore ce qu’il me veut. Je peux émettre des hypothèses, mais… Rien de bien concluant. Peut-être en veut-il à mes pouvoirs, peut-être connaît-il ma famille mieux que moi… Peut-être est-il lui-même un sorcier, et souhaite un héritier surpuissant… Non, vraiment, tout ce que je peux dire, c’est qu’il est dangereux. Je ne suis même pas sûre de pouvoir lui résister, si je le revoyais. Ses yeux ont un pouvoir magnétique. Je me souviens… Dès que je croisais son regard, ma volonté était comme annihilée. »

Mais je sais une chose. Je ne veux jamais revivre ça. Je ferais tout pour ne pas retomber dans ses filets.

D’ailleurs, que Desmond ait parti lié avec tout ça m’inquiète. Je croise les mains, tordant mes doigts entre eux, machinalement. J’ai un nœud dans l’estomac rien qu’en y pensant.

« Je ne veux pas revivre ça. J’en tremble rien qu’en y songeant. »

Je serre mes mains, à m’en faire blanchir les jointures. J’ai senti ma voix trembler sur la fin. Ma gorge se nouer.

Le chien, sentant mon angoisse, pousse mes mains du bout de son museau. Je desserre l’étreinte de mes doigts et je le caresse, doucement. Gratouillant derrière ses oreilles, je relève les eux vers Nathan.

« J’espère sincèrement que Victor n’a rien à voir avec Desmond. De près ou de loin. J’espère que ce n’est qu’une foutue coïncidence. »

Avoir parlé de mon histoire m’a libérée, d’une certaine façon. Mais ça a aussi ravivé mes angoisses.

Le temps des explications était venu. Victor avait choisi de quitter la tante, laissant Camille et Nathan entre eux... Si on faisait exception de la présence du molosse, bien sûr. Ce dernier restait évidemment là, continuant à surveiller la femme. La sorcière parla alors à Nathan de son parcours. Elle lui expliqua qu’elle avait été traquée par l’Ordre Immaculé quand elle était petite, et qu’elle s’était rendue à Nexus après l’avoir quitté. Ces noms évoquaient vaguement des notions à Nathan, qui comprit ce qu’elle disait. Elle était retournée à Nexus pour trouver des pierres précieuses, et y avait trouvé le grand amour, en la personne de Desmond Thornbrush. Loin d’être un simple coup du soir, Desmond avait visiblement utilisé une drogue, un genre de philtre d’amour, pour séduire Camille, et ainsi pouvoir se marier avec elle, et l’engrosser. Camille lui avoua avoir été ensorcelée, probablement à cause du thé que Desmond lui servait, et, quand elle avait cessé de le boire, elle avait compris qu’elle n’éprouvait rien pour lui, et s’était tout simplement enfuie. Nathan n’y connaissait rien en droit nexusien. Il ignorait si Camille aurait pu aller se réfugier chez un avocat. La jeune femme semblait sincère, et visiblement inquiète par ce Desmond. Nathan pouvait le lire dans ses yeux. Elle n’avait pas été battue, mais elle lui évoquait un peu toutes ces femmes qu’on pouvait voir, ces femmes terrorisées par leurs anciens maris, et qui, plutôt que de chercher à les affronter, préféraient fuir, les croyant invincibles. C’est en tout ce qu’il se dit quand elle lui affirma que les yeux de Desmond avaient un pouvoir magnétique. C’était peut-être vrai, mais, pour un Terrien, même quelqu’un de suffisamment ouvert à l’occulte et au paranormal pour ne pas avoir fait une syncope en débarquant sur un autre monde, c’était tout de même dur à avaler.

Camille avait peur, peur que Desmond ne la retrouve, et Nathan sentit que ce serait à lui de s’exprimer quand elle avoua ses inquiétudes concernant Victor :

« J’espère sincèrement que Victor n’a rien à voir avec Desmond. De près ou de loin. J’espère que ce n’est qu’une foutue coïncidence. »

Il répondit en prenant un risque, car il posa chacune de ses mains sur les épaules de la femme. Un risque, car elle pouvait paniquer, s’énerver, et ce gros molosse pouvait lui sauter dessus. Son regard croisa le sien. Nathan avait beau passer son temps à raconter des blagues de plus ou moins bonne qualité, il savait aussi, quand la situation l’exigeait, être sérieux... Comme en ce moment.

« Si tu as confiance en moi, Camille, tu peux croire Victor. »

Ce fut à son tour de parler. Naturellement, il ne pouvait pas lui dire qu’il venait d’une autre planète sans qu’elle ne le prenne pour un cinglé, mais, pour autant, il ne mentit pas. Il lui avoua être un orphelin, et avoir passé son enfance dans un orphelinat religieux strict, où il se faisait souvent punir par les mères supérieures quand elle le voyait contrevenir aux ordres stricts de l’orphelinat.

« Je grimpais aux arbres, je grimpais le long des murs pour impressionner les filles, ou pour aller sur le toit, et voir la ville... J’ai toujours rêvé de voyager, d’être libre, mais, dans un orphelinat religieux, nos mouvements sont plutôt restreints. »

Il avait relâché les délicieuses épaules de la femme, pour lui parler, à son tour. Comme elle s’était confiée, ce n’était que justice de lui rendre la pareille. Il avait fugué. Sur Terre, il s’était rnedu à Carthagène. Il se contenta de dire à Camille qu’il avait toujours eu avec lui un carnet qui aurait appartenu à son père. En réalité, Nathan ignorait qui était son père, mais il voulait être le fils d’un grand explorateur, aussi s’était-il convaincu, comme il l’expliqua à Camille, qu’il était de descendant de Sire Francis Drake, un personnage aussi méconnu sur Terre que sur Terra. Il s’était rendu à un musée, et, progressivement, avait ainsi fini par rencontrer Victor.

« Victor a toujours eu le temps de s’acoquiner avec des personnes peu recommandables, mais c’est lui qui m’a formé, qui m’a entraîné. Nous sommes des chasseurs de reliques. Je pense que Victor a été d’autres choses avant, probablement un agent des services secrets ou quelque chose comme ça, car il connaît bien du monde. Je sais qu’on apparaît un peu comme des étrangers, et que, par conséquent, il peut être difficile de nous croire, mais je t’assure qu’on ne te veut aucun mal. Lui et moi, on a affronté pas mal de sales types, et vu pas mal de trucs bien bizarres, mais... Là, je dois dire que ce château dépasse un peu mon entendement. »

Il lui sourit alors légèrement, et attrapa l’une des mains de Camille, la serrant.

« J’ai peut-être aucun pouvoir magique, mais j’ai survécu à ben des choses. Ce n’est pas ce château qui m’effrayera, ni ton Desmond. Je te protègerai, Camille. Peut-être pas aussi bien que ton chien, mais tu peux compter sur moi. »

Et, quand il disait ça, ce n’était pas une parole en l’air. Nathan n’avait jamais été quelqu’un qui ne tenait pas ses paroles. Son côté british, sans doute. Et puis, Camille était suffisamment jolie pour qu’il se permette de jouer le protecteur, même si, en réalité, il avait surtout le sentiment que ce serait elle qui le protègerait... Ici, en tout cas.

Nathan prenait un risque, oui, en posant ses mains sur mes épaules. Mais non, je ne me déchaînais pas contre lui. Au contraire. Plonger mon regard dans le sien me calma. M'apaisa.

« Si tu as confiance en moi, Camille, tu peux croire Victor. »

Oui, j'avais confiance en lui. Et j'avais vraiment envie de croire Victor. De tout mon être. Puisque Nathan avait foi en lui, et que j'avais foi en Nathan, ça ne devrait pas être trop dur.

J'écoutais attentivement le récit de l'homme, comprenant ce qu'il avait vécu. Ce n'était pas exactement la même expérience, mais les similitudes pouvaient me permettre de comprendre.

« Je grimpais aux arbres, je grimpais le long des murs pour impressionner les filles, ou pour aller sur le toit, et voir la ville... J’ai toujours rêvé de voyager, d’être libre, mais, dans un orphelinat religieux, nos mouvements sont plutôt restreints. »

C'était un récit qui confirmait l'impression qu'elle avait eu de Nathan en le rencontrant. Celle d'une homme honnête. Qui se bat pour ses idées, avec l'esprit libre et aventureux. Un homme à qui elle pouvait se fier.

« Victor a toujours eu le temps de s’acoquiner avec des personnes peu recommandables, mais c’est lui qui m’a formé, qui m’a entraîné. Nous sommes des chasseurs de reliques. Je pense que Victor a été d’autres choses avant, probablement un agent des services secrets ou quelque chose comme ça, car il connaît bien du monde. Je sais qu’on apparaît un peu comme des étrangers, et que, par conséquent, il peut être difficile de nous croire, mais je t’assure qu’on ne te veut aucun mal. Lui et moi, on a affronté pas mal de sales types, et vu pas mal de trucs bien bizarres, mais... Là, je dois dire que ce château dépasse un peu mon entendement. »

On ne te veux aucun mal. Pile la phrase qu'il fallait pour me rasséréné. Je serrais sa main à mon tour en souriant, plus calme.

« J’ai peut-être aucun pouvoir magique, mais j’ai survécu à ben des choses. Ce n’est pas ce château qui m’effrayera, ni ton Desmond. Je te protègerai, Camille. Peut-être pas aussi bien que ton chien, mais tu peux compter sur moi.
― Merci. Je t'en suis vraiment reconnaissante. »

Je gardais sa main dans la mienne tandis que le chien marquait son assentiment par un soupir appuyé. Un soupir m'échappa d'ailleurs.

« Il faut que j'essai de déterminer jusqu'où va mon lien avec le chien, du coup. D'ailleurs... Il faudrait peut-être que je lui trouve un nom. Pour éviter de me référer à lui par "le chien" tout le temps. »

Plus sereine, un rire m'échappa. Un rire nerveux, soulageant la tension qui m'habitait.

« Féroce ? Vorace ? Rage ? Il faudrait un nom qui fasse peur je crois... »

Je me concentrais sur l'histoire du prénom pour éviter de songer à ce qui nous attendait plus tard. On avait un peu de temps, pour y réfléchir.

* * *

« Le Haut Inquisiteur Kairn vous demande, sorcière. Et vous aussi, chercheur de relique. Il dit que ça va être le moment.

L'homme venu nous prévenir ne semblait pas fan de nous. Mais j'avais l'habitude de ça.

Le temps avait filé plutôt vite. Déjà, le soleil disparaissait. J'en savais un peu plus sur le molosse lié à moi. C'était un lien de fidélité indefectible. Je suppose, comme l'a dit l'Inquisteur, que mon ancêtre avait encore un peu d'humanité, et qu'elle me l'a transmis pour me protéger. D'après ce que j'ai vu, il n'y a aucun moyen de me couper ce lien, sauf si je le désire. Donc, globalement, il était fiable.

« Je suppose que c'est le moment de vérité. On va enfin voir si on peut détruire ce Dormin... »

Et savoir si Desmond est bel et bien derrière tout ça, également.

Je soupirais, résignée à la tâche qui m'attendais. Qui nous attendait. C'était nécessaire. Il fallait libérer le monde de ce fléau.

Leur discussion se prolongea encore un peu, jusqu’à ce que le soleil commence lentement à décliner. Nathan s’était promené avec Camille, et ils se tenaient sur un balcon quand un soldat vint les voir pour annoncer que Kairn souhaitait revoir Camille. Le balcon se tenait en bordure du camp, dans le périmètre de sécurité... Si tant est qu’il puisse y avoir un périmètre de sécurité dans un tel endroit. Nathan avait mis du temps à comprendre ce qui se passait dans ce château, tant toute cette histoire semblait issue de l’imagination d’un mauvais acteur d’heroïc fantasy. Dormin, un démon surpuissant, qui avait pris le contrôle de l’ancienne propriétaire du château, une femme qui s’avérait être l’aïeule de Camille... Même pour Nathan, ça faisait beaucoup à avaler, et l’aventurier était un peu perdu. Il ne se faisait en tout cas aucun doute. S’il était toujours là, c’était pour elle, pour Camille. Chevaleresque, il s’était toujours sacrifié pour les vies, et ce même quand il avait le sentiment qu’il ne serait pas d’une grande aide.

« Bon... Ne le faisons pas attendre, alors. »

Les paladins et les novices ne les appréciaient pas des masses, mais ce n’était pas surprenant... Et c’était même réciproque. Ils avaient continué à patrouiller dans le château, mais c’était comme si la Reine s’était calmée, ne cherchant plus à les attaquer. Il était probable qu’elle soit en train de méditer sur ses cibles, de chercher une piste, un moyen de pouvoir les vaincre efficacement. Nathan vit Victor, dans un coin, près d’un feu de camp, en train de discuter avec les novices. Ils se saluèrent brièvement, mais Nathan choisit de rester aux côtés de la belle. Le molosse les suivait, et, s’il continuait à veiller sur Camille, Nate avait le sentiment que les choses commençaient à s’arranger entre lui et ce monstre, et que les chances pour que cette créature le dévorent étaient en train de diminuer.

Ils entrèrent dans la tente de Kairn. Le mobilier était resté fondamentalement le même ;, si ce n’est que le Haut-Inquisiteur avait dressé, au centre de la tente, une belle table avec une maquette du château.

« Entrez, entrez, je vous en prie... »

De nombreux livres étaient ouverts, et Nathan nota la présence d’un guéridon, avec un gros livre figurant dessus. Il s’avança vers le sol, et consulta les livres. L’écriture de certains d’entre eux était étonnante, troublante.

« Ce sont des livres hérétiques, je vous déconseille de les lire.
 -  Curieuse lecture pour un Inquisiteur..., commenta sobrement Nathan en se redressant.
 -  Je prends bonne note de votre scepticisme, Monsieur Joyce. Voyez-vous, je considère que la tâche d’un Inquisiteur ne devrait pas simplement être de se réfugier derrière nos convictions, nos dogmes, et notre foi. Connaître son ennemi, je suppose que vous connaissez le principe ? »

Nathan hocha lentement la tête, acquiesçant sans rien dire.

« La Reine est en train de concentrer ses forces dans cette partie-ci du château. Il y a un énorme moulin à vent qui se trouve ici, et qui était jadis utilisé pour fournir de l’eau, à partir de tout un réseau de conduits et de canaux filant depuis le lac, et passant sous le château. »

Le moulin se trouvait dans l’autre partie du fort, à l’extrémité du château, en réalité. Il était juché sur une plate-forme. Le Haut-Inquisiteur leur expliqua que de l’eau circulait sous le fort, et que sa construction avait été assurée par des architectes nains. Il leur expliqua que les nains avaient conçu une mine sous les fondations du château, afin de trouver des gisements de matières précieuses, comme des cristaux magiques, afin de les revendre. Nathan continuait à suivre.

« Il faut nous rendre vers ce moulin, non seulement pour protéger l’artefact, mais également pour rejoindre le sanctuaire de Dormin. J’avais pensé que vous pourriez nous guider, Madame Temple. Quant à vous, Monsieur Joyce... Quelque chose me dit que vous devez être plus costaud que ce que je pense, car, dans le cas contraire, vous n’auriez pas survécu aussi longtemps.
 -  Je suis sincèrement flatté du compliment. »

Le Haut-Inquisiteur ne dit rien de plus, observant Camille, ainsi que le molosse... Quand il sentit des vibrations magiques intenses se rapprochant. Sa maquette se mit à trembler, et les livres remuèrent également.

« Qu’est-ce qui se passe ?!
 -  Il semblerait que j’ai sous-estimé la ténacité de la Reine... Elle est en train de nous attaquer ! »

Le Haut-Inquisiteur Kairn sortit précipitamment de la tente. Des ondes noires volaient dans le ciel, rebondissant contre le dôme magique qui protégeait le camp, tandis que, autour du camp, des barghest grondaient en claquant des dents, leurs yeux rouges perçant dangereusement dans la nuit. Kairn leva son bâton, afin de protéger davantage le dôme. Le cristal de son bâton magique se mit à luire, envoyant des rayons magiques qui dispersaient les vagues noires ondulant dans le ciel. Nathan vit alors qu’elles étaient constituées des mêmes oiseaux que ceux qui les avaient attaqué sur le toit. Les vagues se dispersaient, puis se reformaient, fragilisant le bouclier.

« Non... Aaaaahhh... »

Kairn n’arrivait pas à maintenir le bouclier, et les barghest purent alors rentrer, se heurtant aux paladins et aux novices, convergeant dans le camp en poussant des hurlements sauvages et de profonds grognements haineux. Ils avaient soif de chair humaine.

Quand nous entrâmes à nouveau dans la tente du Haut-Inquisiteur, mon regard s'attarda immédiatement sur la maquette du château. Très réaliste. Tellement ressemblante que ma vision se troubla un instant. Quand elle redevint nette, je n'avais plus l'impression d'être avec Kairn. Je n'avais plus l'impression d'être avec Nathan, ou avec le molosse. J'étais dans les couloirs. J'entendais la voix de l'Inquisiteur, et celle de l'aventurier. Inconsciemment, je suivais le chemin dont ils parlaient.

« La Reine est en train de concentrer ses forces dans cette partie-ci du château. Il y a un énorme moulin à vent qui se trouve ici, et qui était jadis utilisé pour fournir de l’eau, à partir de tout un réseau de conduits et de canaux filant depuis le lac, et passant sous le château. »

Je visualisais parfaitement le chemin, ayant l'impression de marcher dans les couloirs de la bâtisse de pierre.

« Il faut nous rendre vers ce moulin, non seulement pour protéger l’artefact, mais également pour rejoindre le sanctuaire de Dormin. J’avais pensé que vous pourriez nous guider, Madame Temple. [...] »

J'y étais. Métaphysiquement, sans doute. Mais je visualisais parfaitement l'endroit, comme si j'y étais vraiment. Comme si j'étais déjà venue là. C'était encore une vision, mais différente de toutes celles que j'ai pu avoir.

Physiquement, je devais avoir l'air un peu absente. Le chien sentait ma vision, mais il ne semblait pas inquiet. Et tout à coup, aussi soudainement que la vision s'était imposée à moi, ma vue se troubla, et la tente réapparut. Au même instant, la terre trembla. Ou du moins, c'est l'impression que j'ai eue quand l'afflux magique revint à l'assaut.

Récupérant brusquement mes facultés motrices, je suivis l'Inquisiteur qui sortait de la tente. Une vision de cauchemar se déroulait devant nos yeux. Le dôme magique, formé avec la magie de l'Ordre, céda face à l'obscurité. Des chiens-loups, des corbeaux... Des monstres venus de nos cauchemars. Dormin attaquait de nouveau. En une seconde, ce fut le chaos.

Je n'avais rien pour me protéger, sinon la magie et le molosse. Je laissais ce dernier s'occuper de ma protection, et je touchais le bras de Nathan pour lui offrir une protection magique. Un bouclier qui ne laissait aucune attaque entrer, mais qui lui permettait de tirer, de frapper ou qu'importe ce qu'il comptait faire.

Pour sceller le sort, j'ôtais ma bague. Un anneau d'or, simple. J'y ancrais le bouclier magique, et je donnais la bague à Nathan. La protection allait tenir, mais combien de temps ? Je n'avais pas eu assez de préparation. J'aurais pu, en temps normal, créer un bouclier éternel, qui fonctionnait tant qu'on portait la bague. Mais il m'aurait fallu les accessoires adéquats, et plusieurs heures de boulot.

« Tiens. Je ne sais pas combien de temps ça tiendra, mais ça te protégeras un minimum. »

Je n'étais pas sûre qu'il puisse la mettre. Elle était à mon index. Il pourrait peut-être la placer au petit doigt. J'espérais.

Je venais juste de finir de parler quand un corbeau fonça sur moi. Molosse le choppa au vol, et je pus clairement voir venir un Barghest. Je frissonnais en voyant ses yeux rouges, mais je tendis les mains devant moi. Un éclair bleu en jaillit, et frappa la bête en plein poitrail, alors qu'elle me sautait dessus. Le choc la ralentit, mais ne l'arrêta pas. Je me retrouvais le dos à terre, sous la créature de cauchemar. Ses crocs luisants s'approchèrent de ma gorge, mais elle n'eut pas le temps de faire plus. Le chien infernal la bouscula, et roula plus loin avec, cherchant la gorge de la bête. Je me relevais, juste à temps pour éviter une nuée de corbeaux qui fonçaient vers moi.

C'était le chaos. Partout, on entendait des cris déchirants. On entendait des grognements, des hurlements. Des pleurs. Des bruits de lutte, et des croassements. C'était un vrai champs de bataille, aussi sanglant et terrifiant que pouvait l'être un combat. Un massacre. Les novices de l'Inquisiteurs n'étaient pas de taille à une telle confrontation.

Je perdis Nathan de vue dès lors qu'un autre loup se profila devant moi. Grognant, les babines retroussés... Il avait le museau tâché de sang, et des bouts d'entrailles sur son pelage. Ses yeux menaçants ne me lâchaient pas. Je me préparais, réunissant une grosse charge magique entre mes mains. Qu'il approche. Je ne le laisserais pas faire. Derrière moi, le chien démoniaque s'occupait de ce qui arrivait en traître.

L'ennemi fonça soudain, et je libérais la magie. Un peu trop, je crois. Sans que je ne l'aie voulu, une gigantesque vague magique déferla sur le camps. Elle assomma les créatures de cauchemar, et épargna les membres de l'Ordre. Certains furent même guéris. Mais cette vague de pouvoir me pompa beaucoup d'énergie. Même liée au chien, je me sentis épuisée. Je tombais à genoux, incapable de faire un geste. Je ne savais plus où était Nathan, où était Kairns. Je sentais juste le flanc du molosse contre moi, haletant lui aussi, qui cherchait à me communiquer une énergie qu'il n'avait plus. Levant, avec beaucoup de difficulté, une main, je la posais sur son encolure. On s'effondra d'un coup, d'un même ensemble.

« Le moulin... Il faut aller au moulin... »

Je murmurais, incapable de parler à voix haute. Mon champs de vision n'était réduit qu'à des silhouettes floues. Et puis, un souffle à mon oreille. Un regain d'énergie. Et une voix douce. La voix de mon aïeule, mais... Différente de l'abominable sorcière de tout à l'heure.

« Dormin est affaibli. Tu es puissante Camille, mais modères-toi. Je t'offre un peu de pouvoir. Libères-moi. Mets Dormin en échec. Libères-moi... »

La voix s'affaiblit, tandis que je regagnais un peu d'énergie. Assez pour me lever. Assez pour bouger. Et apparemment, le molosse aussi. Je passais une main sur mon visage, chassant les mèches, le sang et la terre. Autour de moi, il n'y avait plus que les hommes et les femmes de l'Ordre.

« Nathan ? Victor ? Kairn ? »

J'étais encore désorientée. Une femme en uniforme m'aida à trouver les hommes dont j'avais parlé. Je la remerciais, passant une main sur son front, barré d'une grosse entaille. A tel point qu'on voyait l'os du crâne en dessous. Quand je retirais ma main, il ne restait plus que du sang. Je l'avais guérie.

« Il faut nous presser. Aller au moulin. Je sais y aller. J'y suis allée tout à l'heure. Pendant que vous parliez, je voyais le chemin à suivre comme si j'y étais. »

C’était le chaos dehors. Nathan reçut de la part de Camille une amulette destinée à le protéger... Une bague. Il pensa vaguement à une bague de fiançailles, avant de revenir à des sujets de préoccupation plus prosaïques. Ses chances de survie étaient minces, car ce Dormin avait l’air en fureur, attaquant le bouclier magique qui protégeait le camp. Les attaques furieuses des oiseaux l’ébranlaient, provoquant des espèces de grosses tâches lumineuses, faisant onduler le dôme, provoquant des bosses. Kairn sortit de la tente, brandissant son bâton, essayant de les retenir, de protéger le dôme, mais les ennemis étaient trop nombreux. Dormin avait choisi d’attaquer pendant la nuit, car la magie sacrée, qui se nourrissait de lumière, y était naturellement plus faible. Aucun rayon lunaire ne venait éclairer le fort, des nuages recouvrant le ciel. La protection magique ne tenait plus.

« Battez-vous !! hurla Kairn. Repoussez ces monstres, ayez foi en la puissance supérieure du Seigneur ! »

Les oiseaux fondirent sur eux, et Kairn se concentra sur eux, envoyant des ondes de force pour les repousser. Des traits lumineux jaillissaient, dispersant les oiseaux, mais certains arrivaient à frapper les novices, les entraînant alors. Les malheureux poussaient de terribles hurlements de douleur en étant soulevés comme des fétus de paille, leurs jambes gesticulant en vain, avant que leurs carcasses déchiquetées ne soient balancées contre les murs du fort. C’était un véritable carnage, et les barghest chargeaient. Les armes enchantées des novices arrivaient à les repousser, les blessant, mais ils étaient nombreux, furieux, et la nuit opaque les protégeait. Les torches qui éclairaient le camp étaient soufflées par un vent infernal, émanant de Dormin, permettant aux barghest de se faufiler dans le manteau de la nuit pour attaquer leurs cibles, les déchiquetant et les brisant.

Un barghest bondit sur un Nathan désemparé, et la vague brilla alors, formant comme un bouclier contre lequel le barghest rebondit, renversant Nathan. Ce dernier s’affala sur le sol, surpris, et, vit à côté de lui, le cadavre d’un novice, avec une épée. Nathan, instinctivement, l’attrapa. Le barghest, sonné, grogna, et l’attaqua à nouveau. Nathan le frappa avec son pied, repoussant la bête infernale, puis se redressa, et fit tournoyer sa lame, la manipulant pour frapper le visage du barghest. Au contact de ce monstre noir, la lame s’illumina, tuant la bête, faisant couler sur le sol un sang rouge et noir, particulièrement sombre.

*Tout d’un coup, je ne regrette plus mes nombreuses heures d’entraînement avec Lara...*

La situation restait terriblement tendue, proche du désespoir. Les barghest sortaient de l’ombre, frappant des novices et des paladins désemparés. Kairn employait de multiples sorts pour les repousser, et les novices tentaient de se regrouper auprès de lui. La défense devenait désespérée, et Nathan frappa un autre barghest. La bague de Camille continuait à le protéger... Partiellement. Un monstre le chargea dans le dos, et ses crocs, malgré la présence magique de la bague, meurtrirent son dos, faisant couler son sang. Poussant un hurlement, Nathan tomba au sol, roula dans l’herbe. Le barghest allait l’achever mais la lance d’un novice transperça alors la gorge du monstre. Nathan leva la tête vers le novice, mais eut à peine le temps de le voir qu’un autre monstre frappa le malheureux dans le dos, l’égorgeant, faisant jaillir son sang, qui fusa dans l’obscurité. Nathan trembla sur place, et tenta de se redresser. Le barghest le frappa d’une charge, le renversant sur le sol, et planta ses griffes dans ses épaules. Écroulé sous la masse de cette bête, Nathan poussa un hurlement de douleur. La gueule du monstre claquait devant lui, ses dents cherchant à le tuer.

Alors que Nathan sentait ses forces l’abandonner, une immense lueur blanche jaillit alors. Le barghest poussa un couinement, les oiseaux hurlèrent, et Nathan, aveuglé, ne sentit plus rien pendant quelques secondes. Une intense onde de chaleur vint à tous les recouvrir, englobant la cour du fort, et, quand elle se dissipa, ne durant que quelques secondes, Nathan constata que ses blessures... Étaient cicatrisées. Comme par un enchantement. Ses vêtements étaient déchirés, mais il était soigné.

*Quelle est cette diablerie ?*

Il eut rapidement la réponse à sa question en tournant la tête vers Camille. C’était elle qui avait lancé ÇA ?! Ce n’était sûrement pas Kairn, qui était épuisé. Les novices se relevaient lentement, blessés, et, peu à peu, les opaques nuages dans le ciel diminuèrent. Des rayons lunaires apparurent alors, éclairant le fort, éclairant les sinistres tours de ce dernier, semblant chasser Dormin et ses sortilèges. Nathan soupira lentement, et fut rassuré de voir que Victor était toujours en vie.

« Sacrée bataille, putain... » commenta-t-il.

Il portait sa croix. Camille ne tarda pas à les retrouver, et leur expliqua qu’il était temps d’y aller, de rejoindre le moulin.

« Il faut nous presser. Aller au moulin. Je sais y aller. J'y suis allée tout à l'heure. Pendant que vous parliez, je voyais le chemin à suivre comme si j'y étais. »

Nathan l’observa silencieusement. Comment être sûr que ce n’était pas une autre ruse de Dormin ?

« Je pense qu’on ne devrait pas s’emballer inutilement. Est-on vraiment sûr que... ?!
 -  Elle a raison, intervint alors Kairn. Je le sens, Dormin s’est affaibli en nous attaquant. Il n’est pas vaincu, non, mais il a besoin de reprendre des forces. Si nous restons ici, nous ne survivrons pas à cette nuit. Il faut profiter de notre avantage.
 -  Hey, minute ! D’après ce que vous m’avez dit, ce Dormin veut cette nana, et vous nous proposez de la laisser s’enfoncer dans le château ?! Après la branlée qu’on a reçu, je dis qu’on devrait se tirer d’ici, et appeler des renforts ! Merde, il n’y a qu’à faire exploser ce foutu fort ! »

À cette idée, Kairn tourna sa tête vers Victor, répondant rapidement, sur un ton sec :

« Surtout pas ! Savez-vous ce qui se passera si nous détruisons ce fort ?! Ces murs retiennent Dormin ! Si on les rase, il s’évanouira dans la nature !
 -  Moi, je dis qu’une bonne bombe, ça nettoie bien tout comme il faut... »

Kairn secoua la tête, et observa Camille.

« Ce sort que vous avez lancé... Je suppose que vous n’avez pas du comprendre comment vous avez fait, hein ? J’ai ressenti une autre présence en vous... Une sorte de connexion psychique. C’est... C’était très troublant. Je pense qu’une force a du vous aider, un allié inattendu... »

Nathan n’y comprenait pas grand-chose.

« Vous avez raison, trancha le Haut-Inquisiteur. Il nous faut aller vers ce moulin. Plus tôt nous y irons, et plus vite nous y serons. »

Nathan ne pouvait que s’incliner devant une telle logique.

La sueur collait mes cheveux à mon front. J'étais épuisée, désorientée, mais en vie. Et le molosse, toujours sur mes pas, n'était guère mieux.

« Je pense qu’on ne devrait pas s’emballer inutilement. Est-on vraiment sûr que... ?!
— Elle a raison. Je le sens, Dormin s’est affaibli en nous attaquant. Il n’est pas vaincu, non, mais il a besoin de reprendre des forces. Si nous restons ici, nous ne survivrons pas à cette nuit. Il faut profiter de notre avantage.
— Hey, minute ! D’après ce que vous m’avez dit, ce Dormin veut cette nana, et vous nous proposez de la laisser s’enfoncer dans le château ?! Après la branlée qu’on a reçu, je dis qu’on devrait se tirer d’ici, et appeler des renforts ! Merde, il n’y a qu’à faire exploser ce foutu fort !
— Surtout pas ! Savez-vous ce qui se passera si nous détruisons ce fort ?! Ces murs retiennent Dormin ! Si on les rase, il s’évanouira dans la nature !
— Moi, je dis qu’une bonne bombe, ça nettoie bien tout comme il faut... »

Dans une autre situation, j'aurais été d'accord avec Victor. Mais pas aujourd'hui. Pas dans ce cas-là.

« Victor... J'ai déjà fait exploser un sceau. La pierre du diadème. Et c'est à cause de ça que cet assaut était aussi dévastateur. C'est entièrement ma faute. Alors si on fait exploser le reste, il risque de déferler sur la surface de Terra, ce Dormin, et de tout anéantir. »

Je passais une main sur mes joues, essuyant la terre, le sang et la sueur. Kairn s'adressa alors à moi.

« Ce sort que vous avez lancé... Je suppose que vous n’avez pas du comprendre comment vous avez fait, hein ? J’ai ressenti une autre présence en vous... Une sorte de connexion psychique. C’est... C’était très troublant. Je pense qu’une force a du vous aider, un allié inattendu... »

Je hochais lentement la tête.

« Je ne sais pas comment j'ai réussi à lancer ce sort, en effet. C'était comme... Instinctif. Elle m'a aidée. Ce n'était pas l'horrible sorcière à laquelle j'ai eu affaire sur le toit. Je la sentais... Différente. Innocente. Je pense que c'est ce qui reste de sa bonté, de sa conscience et de son esprit d'avant. L'énergie que j'ai dépensé dans le sort... Elle m'en a redonné une bonne partie. »

Mais malgré tout, je ne me sentais pas au top de ma force. Je remarquais alors les traces de sang sur Nathan, et des déchirures sur ses affaires. Mais il semblait aller bien. J'avais dû le guérir. Ce constat me soulagea. J'aurais été mortifiée qu'il soit grièvement blessé. Car ç'aurait été entièrement de ma faute, n'est-ce pas ? Je lui décochais un sourire fatigué tandis que Kairn m'approuvait.

« Vous avez raison. Il nous faut aller vers ce moulin. Plus tôt nous y irons, et plus vite nous y serons. »

Alors en route, non ?

Je flattais l'encolure du chien infernal, et j'ouvris la marche. Je revoyais, dans ma tête, le chemin à suivre une fois dans le château. Et l'entrée du château, elle n'était pas bien compliquée à trouver. Les portes étaient grandes ouvertes. Il nous attendait. Dormin me déroulait presque le tapis rouge.

Une fois dans l'édifice, mes pas me portèrent instinctivement vers la bonne route.

« C'est par ici. »

Je me dirigeais comme si j'étais chez moi. Naturellement, j'empruntais des couloirs étroits, je nous faisais passer par des portes dérobées, et en une vingtaine de minutes, le moulin apparut devant nos yeux. Je m'arrêtais subitement au seuil. Le moulin, immense, dégageait une sensation maléfique. Je me sentis mal à l'aise, hésitant tout à coup à entrer. Un vertige me pris, et je me raccrochais à la première personne qui se trouvait près de moi. Un chuchotement me glissa à l'oreille que Dormin m'attendait. Qu'il sentait que j'étais accompagnée, et qu'il chercherait à anéantir mon escorte.

« Il va vouloir vous écraser le plus vite possible. Il ne veut que moi. Il va vous falloir être vraiment sur vos gardes. »

Je me repris, et relâchais mon étreinte sur mon pilier providentiel. Un sourire désolé aux lèvres, je redresse la tête. Et j'entre, en premier, poussée par une pulsion que je ne m'expliquais pas. J'vais te démonter, Dormin. Je te le garantis. Sale bête.

« Je te le dis, Nate : on aurait jamais du aller ici.
 -  À qui la faute, hein ?
 -  En plus, je suis sûr que ce château n’a pas de trésor. On s’est fait berner, Nate ! »

Nathan ne dit rien. Le duo s’avançait dans le couloir sombre d’un château, éclairé par le bâton magique du Haut-Inquisiteur Kairn. Les deux fermaient la marche, et, si Victor trouvait complètement absurde l’idée de s’enfoncer dans ce château, il suivait le groupe. Nathan, de son côté, était un peu plus réservé que lui. Il avait bien compris que ce qui se passait ici les dépassait, tous les deux, mais il ne se voyait pas se défiler maintenant. Peut-être était-ce ce fameux côté chevaleresque qui brûlait encore en lui... Ou alors était-ce la vue du postérieur de Camille qui l’encourageait à aller devant ? L’aventurier ne saurait pas trop le dire, mais, sous les reflets de la boule de lumière, il ne se privait pas beaucoup pour observer son déhanché.

Victor et lui avançaient, en se disant qu’ils n’avaient jamais été dans un endroit aussi flippant que ce château... Ce qui n’était pas peu dire. Pour le coup, Nathan aurait bien aimé que Lara traîne dans le coin. Aussi arrogante soit-elle, Miss Croft avait une bien meilleure expérience que lui sur tout ce qui traitait au paranormal.

« Ouais... J’comprends pourquoi t’as envie de rester dans ce merdier, Nate.
 -  Comment ça ?
 -  La petite est pas mal. »

Il aurait pu objecter, mais ça n’aurait servi à rien. Victor était comme un père pour lui. C’était lui qui lui avait tout appris, et, si Nathan avait parfois été déçu par lui, à devoir le sauver de ses erreurs, de son penchant pour l’alcoolisme et les jeux, il savait aussi que Sullivan était talentueux, et qu’il connaissait toutes les ficelles du truc. Honnêtement, Nathan aimait bien Victor, même s’il était insupportable. Les deux se complétaient plutôt bien, mais semblaient pour autant bien impuissants ici. S’il y avait bien quelque chose qui faisait rage Nathan, c’était bien ça. Le sentiment de ne servir à rien.

Ils rejoignirent finalement le moulin à vent. Le vent venant depuis le lac faisait remuer les pales du moulin, qui se tenait sur une sorte de cour faite d’herbe avec un lac à côté de ce dernier. Il se tenait à l’extérieur de la forteresse, sur une petite plateforme surplombant le vide. Nathan s’en rapprocha, et eut un frisson. La chute était vertigineuse, menant à des récifs et à des rochers escarpés en contrebas, où la mer se fracassait.

« Il va vouloir vous écraser le plus vite possible. Il ne veut que moi. Il va vous falloir être vraiment sur vos gardes avertit alors Camille.
 -  C’est très rassurant » grogna Victor.

Un escalier entourait le moulin, menant à la porte d’entrée. Camille s’y dirigeait la première, et Nathan, après avoir brièvement observé le paysage, marcha vers elle. Ils n’avaient pas été attaqués durant toute la trajectoire, mais il avait un mauvais pressentiment là-dessus... Un mauvais pressentiment qui se confirma dès que Camille entra dans le moulin. Les pales du moulin continuaient à tourner, quand l’eau du petit lac se mit à bouillir.

« C’est lui ! »

Kairn serra sa main sur son bâton... Et un tentacule aqueux, noirâtre, jaillit du lac, et frappa Kairn au plastron. Le Haut-Inquisiteur poussa un hurlement de douleur en étant soulevé du sol, et en lâcha son bâton, tandis que de nouveaux oiseaux jaillirent, et le frappèrent, l’écorchant à de multiples reprises. Kairn fit parler sa magie, et une aura lumineuse l’enveloppa, repoussant les oiseaux. Nathan ne savait plus où donner de la tête, et il vit un autre tentacule aqueux jaillir dans les airs, s’abattant sur lui. Il bondit sur le côté, l’esquivant de justesse, et courut vers le moulin. Kairn, de son côté, continuait à se battre, mais son corps était traversé d’ecchymoses. Il fit venir dans le creux de sa main son bâton, et le brandit vers plusieurs tentacules aqueux, les faisant exploser. Il leva son bâton, envoyant des ondes lumineuses qui repoussèrent les corbeaux, mais l’eau de la mare se concentra, jusqu’à ce qu’une silhouette finisse par en apparaître.

C’était la Reine. Elle tendit sa main vers Kairn, et une onde de magie en jaillit, créant une sorte d’arc qui aplatit l’herbe sous son passage. Le Haut-Inquisiteur créa un bouclier magique, et l’onde magique passa à côté de lui, déchirant ses vêtements. La Reine se concentra alors, silhouette fantomatique et spectrale, et envoya une autre attaque magique. Kairn poussa un hurlement de douleur, tandis que son bâton s’effritait sur place. Ce dernier se concentra davantage, son bâton se mettant à luire... Mais il reculait de plus en plus, se rapprochant du bord.

« Kairn ! » hurla Nathan.

Il allait sortir du moulin pour l’aider. Des barghest couraient depuis le mur derrière le moulin, descendant vers le sol en grognant, mais Kairn tourna alors sa tête vers Nathan.

« Protège-là ! » parvint-il à dire.

Une onde de choc le frappa alors à nouveau... Et Kairn bascula dans le vide.

« KAIRN !! » répéta Nathan.

Victor avait choisi de rebrousser chemin, et la Reine se retourna vers le moulin. Ce dernier se mit à trembler, et de la poussière tomba du plafond. Nathan tenta de sortir, mais un tentacule aqueux jaillit, et le frappa au ventre, le repoussant sèchement. Il roula sur le sol, arrivant près de Camille. Ils étaient faits comme des rats, et l’homme se releva.

« Il faut trouver un moyen de sortir d’ici ! »

Il regarda autour de lui, et ne tarda pas à voir, au milieu du sol et du dallage, un long carré uniforme. Sûrement un passage secret, mais encore fallait-il trouver l’interrupteur permettant de le déverrouiller.

« Tu ne peux pas échapper à ton destin, Camille, lâcha soudain la voix de la Reine. C’est pour ça que tu es venue ici, pour ça que tu portes un enfant. Ne le comprends-tu donc pas ? Ton destin est de dominer sur ce monde. »

Les tentacules aqueux s’avançaient dans le moulin, comme des espèces de terrifiants serpents.

« C’est très rassurant »

Un sourire hésitant se plaqua sur les lèvres. Après un dernier regard vers les protagonistes qui m'accompagnaient, je m'engageais vers le moulin. Mais à peine y avais-je posé un pied que tout se mit à trembler. Je reçut une éclaboussure bouillante aussi, preuve que le lac se réchauffait rapidement.

« C’est lui ! »

Bonne déduction, Mr l'Inquisiteur. Son cri, juste après, me poussa à me retourner. Un tentacule noir sortait du lac, cherchant à frapper le religieux. Des oiseaux s'y mirent également. Le pauvre était surmené. Je tentais de courir vers lui, mais un autre tremblement me fit tomber, et un pilier me barra le passage en se brisant devant moi. Le Haut-Inquisiteur se défendait bien, mais l'attaque était puissante. Bientôt, la Reine en personne, possédée par Dormin, jaillit des eaux, silhouette liquide mais néanmoins bien présente.

Je hurlais quand elle attaqua Kairn, mais impossible pour moi de sortir du moulin. Une sorte de bouclier invisible me rejetais en arrière dès que je tentais d'aller secourir le pauvre Inquisiteur.

« Kairn ! »

Nathan, lui, n'était pas visé par Dormin. Il pouvait peut-être...

« Protège-là ! »

Oh merde, d'autres chien-loups démoniaques. Je me mordit la lèvre pour ne pas crier à nouveau. Kairn lutta jusqu'au bout, et je ne pouvais rien faire pour lui. Même ma magie était impuissante.

« KAIRN !! »

Trop tard. Mes yeux se remplirent de larmes alors que l'Inquisiteur disparaissait, submergé par la puissance de l'attaque. Je vis vaguement Nathan qui tentait d'aller voir ce qui était advenu de l'Inquisiteur. Mais, tandis que je séchais mes yeux d'un geste agacé (je déteste pleurer), je le vis atterrir près de moi. Repoussé à l'intérieur. Et la Reine, à l'extérieur, qui nous fixait de son regard rouge vif...

« Il faut trouver un moyen de sortir d’ici ! »

Je hochais la tête. C'était le plus évident. Mais... Mais je tenais malgré tout à supprimer la menace de Dormin. Pour l'Inquisiteur. Pour le reste du monde. Pour mes ancêtres qui avaient souffert par sa faute.

« Tu ne peux pas échapper à ton destin, Camille. C’est pour ça que tu es venue ici, pour ça que tu portes un enfant. Ne le comprends-tu donc pas ? Ton destin est de dominer sur ce monde. »

Je levais alors la tête, faisant face à la menace le dos droit, tandis que je me redressais.

« NON ! »

Je pris une pierre par terre, et je la lançais de toutes mes forces vers la Reine. Le projectile ne fit que la traverser, sans lui faire de mal.

« Je ne suis pas le jouet de vos manigances, Dormin. Je suis libre de mon destin. Ce n'est pas négociable ! »

A cet instant, alors que les tentacules aqueux venaient vers moi, menaçants, j'entendis un aboiement. Une voix forte et imposante. C'était le chien démoniaque. Il traversa les tentacules, créant -et j'ignore comment- une faille en eux, brisant ainsi l'illusion. La Reine poussa un cri de souffrance. Apparemment, le chien pouvait la toucher elle. Il sauta d'ailleurs de nouveau, et mordit férocement son bras.

Quand il retomba au sol, il courut vers moi et Nathan.

« NON ! Tu ne t'échapperas pas, Camille. J'ai de grands projets pour toi. Et si tu ne veux pas me suivre de ton plein gré... Et bien, ce sera de force... »

La Reine lança alors une vague de magie, sans doute dévastatrice, vers nous. L'animal démoniaque lié à moi bondit sur une dalle, et le passage que Nathan cherchait s'ouvrit de lui-même. Juste à temps. On eut donc le temps d'y plonger, avant que la vague de magie ne nous percute. Je ressentis quand même les effets de cette magie, frissonnant en roulant sur le sol.

A présent que nous n'étions plus en présence de la Reine, j'observais autour de nous. Malgré l'obscurité, je distinguais assez d'éléments pour que les visions que j'avais eu me permettent de nous guider.

« C'est par là. »

Je montrais le chemin, nous guidant jusqu'au centre névralgique du pouvoir de Dormin. L'artefact dont parlait Kairn un peu avant ne devait pas être loin. Mais le sanctuaire non plus.

« Je crains qu'on ne puisse pas quitter cet endroit sans avoir... Accompli la mission. Dormin ne nous laissera jamais repartir. »

Un frisson me parcouru, alors que je passais devant une porte dérobée.

« C'est là... Le sanctuaire... Il est par là. »

Et il m'attire ce bougre. Piège, ou juste une magie trop puissante ?

Ils étaient face à des tentacules noirâtres se ruant sur eux. Nathan n’avait que son arme pour se protéger, et il ne voyait pas ce qu’elle pourrait faire contre de tels tentacules. Plus que jamais, il se sentait totalement inutile ici, et cherchait un moyen de sortir...  Son arme se pointait vers les tentacules, et, alors qu’il allait ouvrir le feu, le molosse infernal de Camille bondit à travers ces derniers, comme s’il semblait immunisé. La Reine ennemie hurla, comme si le monstre avait réussi à la blesser, et le molosse revint, et réussit à enclencher la trappe. Une trappe s’abaissa, et, alors que les tentacules fondirent sur eux, Nathan se mit à descendre, glissant le long d’une espèce de toboggan, un long conduit avec de l’eau. Ils finirent par tomber ensuite sur le sol, et roulèrent sur une plateforme en pierre. Nathan Drake roula sur le sol, et heurta un mur.

« Bordel... »

Sonné, Nathan soupira, et tenta lentement de se redresser. Ses cheveux étaient trempés, et il entendait des roulements de cascade. La plateforme en pierre surplombait un vaste lac souterrain d’où d’importantes conduites d’eau jaillissaient. Des canalisations épaisses libéraient des jets d’eau dans ce lac, et Nathan comprit qu’ils avaient atterri dans le château d’eau souterrain. Il y avait de multiples ponts en bois surplombant le vaste lac souterrain, avec d’autres plateformes en pierre, et des échafaudages en bois, ainsi que des canalisations. C’était une imposante structure, sans aucun éclairage extérieur, si ce n’est quelques fentes dans la pierre, libérant des rayons lunaires qui jaillirent dans la grande grotte.

C’était impressionnant, et il s’empressa de suivre Camille. Avec l’eau sur son dos et sur ses cuisses, sa tenue était encore plus moulante, et même lui eut du mal à ne pas loucher trop longtemps sur ses fesses. Ils s’avancèrent, Camille les guidant vers le sanctuaire de Dormin. Ils longèrent un pont en bois, filant le long du château aquatique, surplombant le lac, passant près de massives cascades. L’aventurier avait déjà vu bien des spectacles impressionnants, et il devait bien admettre que celui-ci était... Bluffant. Ils approchèrent d’une porte dans un coin, une sorte de structure ressemblant à un temple creusé dans la roche.

« C'est là... Le sanctuaire... Il est par là » glissa Camille.

Nathan hocha la tête. Une porte sombre se tenait devant eux, menant vers l’inconnu. Il se saisit de son Glock, et alluma la lampe-torche de son pistolet, puis s’avança en premier. Il brandissait l’arme devant lui, et s’aventura dans un sombre couloir, une grotte étroite, et suivit le chemin, sentant, peu à peu, le roulement de l’eau s’éloigner. Peu à peu, un autre grondement se fit entendre. Nathan continuait à s’avancer, jusqu’à sentir le vent parcourir ses cheveux, remplaçant la sensation pesante de chaleur qui amenait ses cheveux à se plaquer sur son crâne.

« Ce couloir mène dehors... »

Il le suivit, et ils arrivèrent hors du château, sur un sentier escarpé filant le long de la falaise, descendant vers le bas. Un vent dangereux commençait à se lever, et les vagues se fracassaient contre les récifs, en contrebas, dans un décor typiquement lovecraftien.

« Je pense que ça doit être en bas... »

Nathan s’avançait lentement. La pente était parfois très raide, le contraignant à avancer lentement .De petits cailloux roulaient le long du sol, et il restait prudent, continuant à suivre le chemin. Il s’enfonçait parfois dans une petite grotte, pour ressortir ensuite. Si le sanctuaire était par là, il était logique de supposer qu’il soit en contrebas.

Lovecraftien.

« Ce couloir mène dehors... »

Je suivis Nathan sans un mot. Il était là, physiquement, et il me rassurait plus que les pouvoirs que je possédais. Pourquoi ? C'est une grande question. Peut-être parce qu'il ouvrait la marche. Je suis courageuse, oui, mais je ne sais pas si j'aurais continué en étant seule. Parfois, je ne suis pas téméraire. Et puis, il y a quand même le poid de l'action que nous allons faire. Sauver le monde, selon Kairn. Ce n'est pas rien.

Mais, peut-être  est-ce sa prestance, ou bien le simple fait qu'il soit en dehors des machinations diaboliques de Dormin, qui me rassure. Quoi qu'il en soit, tandis que nous cheminions dans le boyau étroit, mon regard ne lâchait pas sa nuque. J'admirais son dos. La largeur de ses épaules, les muscles qui roulaient dans son dos à chaque geste, ses hanches étroites... Un homme de ce style me provoque toujours un petit effet. Peut-être parce que j'aime le stéréotype des hommes au buste en V, qui ont bien souvent les muscles qu'il faut pour se mettre en valeur. Damon aussi était comme ça.

Non. Pas Damon. Il ne faut pas que je pense à lui. Sinon, je vais automatiquement penser à ma captivité, à mon évasion. Et à ma... Ma grossesse.

Et voilà, j'y pense. Fais chier.

Je manque de glisser. Un moment d'inattention. Un moment où je me flagellais mentalement pour faire sortir mon époux de ma tête.

Je me reconcentre sur Nathan. Bientôt, une brise vient nous rafraîchir. La chaleur est écrasante, dans ce couloir. Mais au moins, il n'y a pas de pièges.

« Je pense que ça doit être en bas... »

Alors que nous débouchions à l'air libre, je ressentis tout de suite la magie négative de Dormin. Je confirmais à Nathan d'un signe de tête. Oui, le sanctuaire devait être en bas. Un sentier y conduisait. La falaise me paraissait abrupte, comme ça. Son contour déchiré se dessinait sur l'horizon. Mais en se rapprochant, on voyait que le sentier continuait de filer vers le bas.

La pente s'adoucissait légèrement pour permettre un cheminement. Difficile, mais pratiquable quand même. J'en viens à penser que je n'ai peut-être pas les bonnes chaussures pour une descente de ce type. Ce sont des bottes noirs, qui montent jusqu'à mes genoux, enserrant fermement mes mollets et mes chevilles. Le seul problème, c'est les talons. Aiguilles, en plus. Oh, j'arrive à marcher avec, et même à courir. Et puis, à vue de nez, le talon doit faire dix centimètre. Je ne m'amuse pas à le mesurer, mais je pense que ça doit être ça. Ce genre de talons haut donne une touche de féminité en plus. Une touche de sensualité. Naturellement, avec ces talons, je roule des hanches. J'ai une cambrure de rêve avec, en plus.

Mais pour descendre un sentier aussi escarpé et incertain, ce n'est définitivement pas les bonnes chaussures.

Je réussis malgré tout, à pas prudents, à suivre Nathan. La sueur produite par l'effort qu'il déployait collait ses cheveux dans sa nuque. Je suis presque captivée par les mouvements de son corps quand il descend progressivement. Le chien, sur mes pas, semble n'avoir aucune difficulté lui.

En bas, les vagues se jettent contre les roches, et s'éclatent dessus. Le ressac témoigne de la violence du choc, répercuté par un drôle d'écho. L'écume qui en résulte couvre la côte telle de la neige. Une étendue blanche, mousseuse, uniquement brisée par d'autres vagues qui viennent se fracasser entre elles, et sur les roches.

Tandis que je note ces détails, un caillou se déloge sous mon pied. Je perds l'équilibre. Merde.

L'instant semble durer une éternité. Je me sens tomber en arrière. Je glisse contre le sentier escarpé, et bouscule également Nathan. Pas le temps d'émettre un cri. On tombe. J'ai l'impression qu'on chute sur des kilomètres, mais en fait, deux mètres plus bas, nous heurtons brusquement le sol. Mon dos le premier. Je ne vois pas où est tombé Nathan.

Mais immédiatement, je sens une vague magique m'assaillir. Pesante, négative et maléfique. Dormin. Mes yeux suivent le lande qui borde la falaise. Je suis tombée sur un petit talus de sable, où quelques herbes sauvages poussent aléatoirement. Un peu plus loin, une portion de sable blanc cède la place à des galets. Des herbes poussent, éparses, parmis ces galets. Et le Sanctuaire est à présent bien visible. Des colonnes blanches, de type corinthiennes, qui supportent un fronton imposant, et sculpté de bas-reliefs. C'est de là que viens la vague magique.

J'essaie de me relever, mais la magie dans l'air m'en empêche, me cloue au sol. Je peine à respirer. Un aboiement rauque, bref, suivi d'un couinement, m'apprends qu'il en est de même pour le chien démoniaque. Difficilement, je halète. Et je hoquète.

« Nathan... »

Je pense qu'il peut m'aider. Comment ? Je l'ignore. Mais l'assaut magique ne vise que les personnes qui ont des pouvoirs. Il me cloue au sol, physiquement et métaphysiquement. Pareil pour le molosse. Mais pas Nathan. Il doit être épargné. Peut-être que si je prends sa main, je peux lutter ? Parce que pour le moment, j'ai l'impression d'étouffer. Mon énergie est muselée. Mais ça peut aussi provoquer l'effet inverse, et subermerger Nathan.

Putain de merde, Dormin, tu fais chier.

La pente était abrupte, escarpée, et glissante. Devant Camille, Nathan avançait prudemment, rassuré. Ce genre d’escapades lui parlait en effet nettement plus que des combats magiques et des malédictions millénaires contre des sorcières capables d’invoquer des chiens noirâtres et des tentacules meurtriers. Là, il retrouvait ce qui avait fait le cœur de son existence de chasseur de reliques : l’exploration, le défi perpétuel contre la Nature. Il suivait le chemin, et ce n’est pas de lui que vint la chute finale. Dans son dos, il entendit du bruit, comme si Camille venait de poser son pied sur un mauvais appui. Une pierre se mit à rouler, et il se retourna rapidement...

« Cam... »

Ce fut la seule syllabe qu’il arriva à sortir avant que Camille ne tombe en avant, et ne le heurte. Nathan perdit également son équilibre, et partit à la renverse. Son dos heurta la pente, il tourna sur lui-même, devenu un simple objet entre les mains de Mère Gravité... Et tomba un à deux mètres plus loin, s’affalant sur ce qui ressemblait à une petite crique, une plage avec du sable blanc. Camille heurta le sol la première, et Nathan rebondit à côté d’elle, roulant par terre. Sa tête s’enfouit dans le sable, et il se releva rapidement, entendant, derrière lui, le roulement du lac, et les embruns. Le lac était en train de se déchaîner, ressemblant alors plus à une sorte de mer en train d’accueillir une tempête qu’à un simple lac... Sûrement cette maudite magie à l’œuvre.

En se relevant, il vit devant lui ce qui, selon toute probabilité était le Sanctuaire. Devant, le sable laissait place à des galets, et une ouverture dans la paroi conduisait à une sorte de structure composé de colonnes ioniques se dressant en forme de mur, supportant une ouverture en pierre menant tout droit vers le Sanctuaire. D’un revers de la manche, Nathan s’essuya le sable sur son visage. Même pour lui, néophyte en matière de magie, il sentait la puissance sombre de cet endroit. Kairn n’était malheureusement plus là pour les aider. Soit il était mort, soit suffisamment blessé pour n’être rien de plus qu’un poids. Fugacement, penser à Kairn amena Nathan à s’inquiéter aussi sur le sort de Sully. Son vieux mentor en avait vu d’autres, et il n’y avait donc aucune raison objective de penser qu’il soit mort, mais il était troublant de voir à quel point les choses avaient dégénéré. Il y a quelques heures, Nathan était avec toute une expédition faisant penser à un contingent militaire, flottant dans une impression toute relative de sécurité. Maintenant, il n’y avait plus qu’eux deux... Et le chien.

« Camille, vous... »

Il se retourna vers elle, et l’entendit alors l’appeler. Elle était juste à côté de lui, mais n’arrivait pas à se relever. Nathan pouvait voir la douleur tirailler son visage, ainsi que son effort physique. Est-ce qu’elle s’était fait mal en chutant ? Il rejeta rapidement cette idée. Le sable avait tout amorti, et leur chute n’avait pas été nombreuse.

« Merde, Camille ! »

Comprenant que cette dernière était en souffrance, Nathan tendit sa main vers elle, saisissant son poignet, et sentit alors une décharge électrique le saisir, ainsi qu’une onde magique le frapper. Nathan poussa un hurlement, et se sentit repoussé par une force supérieure. Il s’étala sur le sable, repoussé à plusieurs mètres d’écart, et se releva rapidement, serrant les dents sous l’effet de la douleur. Un sortilège semblait retenir la jeune femme, et, pour une obscure raison, il n’y était pas soumis. Il n’y connaissait rien en magie, et soupçonna qu’il devait s’agir d’une protection antimagie. L’homme se releva, et regarda autour de lui, cherchant un dispositif, un moyen quelconque capable de rompre le sortilège.

Sortant son pistolet, il se rapprocha du Sanctuaire. Il y avait un petit talus de galet à grimper pour rejoindre la faille dans la falaise, et il regarda devant lui, observant les piliers, et la porte d’entrée, donnant sur un sentier qui se prolongeait dans la falaise.

« Bordel, comment je coupe cette saloperie? »

Il regardait autour de lui quand une voix se mit à résonner dans sa tête... Elle semblait émaner de ses propres pensées, mais rien n’en était moins sûr, dans la mesure où Nathan n’aurait jamais pensé à un tel scénario.

*Les cristaux sur les colonnes... En-haut... Détruis-les !*

La vie de Camille semblant en danger, l’âme chevaleresque de Nathan ne discuta pas sur l’origine de cette mystérieuse voix, ni sur son bien-fondé. Il releva la tête. Sur chacune des colonnes, en hauteur, au milieu de signes et de gravures, il y avait une sorte de point violet qui brillait dangereusement. Réagissant rapidement, Nathan brandit son arme, et fit feu, explosant consciencieusement chacun des cristaux, une balle suffisant à les détruire. Plus il les explosait, et plus il sentit la falaise gronder, un grondement qui s’échappait des profondeurs de cette dernière, comme si, en un sens, la falaise était furieuse du comportement de Nathan, de ses tentatives de s’opposer à elle, et entendait bien le lui rappeler.

Il réussit à exploser tous les cristaux, et se retourna vers Camille, maintenant toujours son arme. Il retourna sur la petite plage.

« Camille ! Vous allez bien ?! » s’exclama-t-il, inquiet.

Son angoisse était sincère. Elle était visiblement bien moins paumée que lui dans tout ce bordel, et sa connaissance de la magie représentait un plus indéniable... Ainsi que son molosse infernal. Entendant du bruit au-dessus de lui, Nathan vit une multitude de petits rochers dégringoler le long de la paroi, et leva la tête. Malgré l’obscurité de la nuit, il put discerner, en hauteur, une assemblée de barghest se tenant sur des corniches et des promontoires rocheux, observant depuis les hauteurs le duo, leurs yeux rouges luisant dans la nuit. Comme une sinistre menace.

Ils disparurent bien rapidement, s’évanouissant dans la nuit, les laissant seuls...

... Pour le moment.