Protéger ses proches. Marrant comme les apparences sont parfois trompeuses. Lyan n’avait pas vraiment l’air de l’homme rangé, peinard dans ses charentaises devant une cheminée, le flingue sur l’accoudoir d’un fauteuil avec sa petite famille à ses côtés. Bien sûr, le trait était exagéré, mais l’homme qu’elle avait à côté d’elle ne ressemblait pas au héros qui protège la femme qu’il aime. Rien dans son attitude ne l’avait pour l’instant confirmé, et pourtant Andrea aurait pensé être tombée sur un solitaire. Il avait beau être plutôt affable, sympathique et prompt à la bonne entente, ses yeux ne reflétaient pas un tempérament social. Andy avait l’impression qu’il lui ressemblait sur ce point, qu’il se permettait d’être poli sans jamais aller plus loin. Pendant combien d’années avait-elle répondu à toutes les attentes, les demandes, des gens qu’elle croisait ? Pour se faire apprécier, pour recevoir un peu de considération, pour la définir et asseoir son existence. Elle avait semblé être l’amie parfaite, l’amante idéale, la voisine agréable, la camarade altruiste… Sans être aucune de ces filles. Est-ce qu’il était semblable, coquille vide à l’intérieur mais préservant les apparences ?
Si c’était le cas, il n’aurait sans doute pas fait tout ce chemin pour une arme afin de protéger une construction sociale, certes ordonnée, mais ne faisant pas le poids dans les risques meurtriers d’une épopée de ce genre. Alors il était véritablement attaché à quelqu’un. Marrant comme ça ne se voyait pas, de prime abord. Là où certains se forgent une carapace des plus séduisantes pour camoufler la chair pourrie et les mauvaises intentions réelles, Lyan paraissait plus dur et sec que ses paroles ne le laissaient paraître, au fur et à mesure. Un détail intéressant, toutefois, d’apprendre qu’il avait des gens à revoir. Voyager avec quelqu’un qui n’a rien à perdre dans les contrées du chaos n’était pas forcément une excellente idée. Elle-même, il y a quelques temps, n’aurait pas survécu bien longtemps ici. Depuis, elle avait un endroit où retourner, des personnes à voir. Si Lyan aussi, alors il ferait tout pour sauver sa vie. Il serait un bon combattant. Peut-être un peu trop, même. Être prêt à tout n’était pas forcément une excellente chose.
Pourtant, Andrea décida de chasser toute cette méfiance malvenue. Non, elle n’accordait pas sa confiance aussi facilement, à présent. Mais rien ne l’empêchait de descendre un peu sa garde tout en restant observatrice. Lui offrir au moins le bénéfice du doute, et ne pas le juger dans l’immédiat. Après tout, tant qu’elle n’aurait pas prouvé qu’il était coupable de mauvaises intentions, il devrait rester innocent à ses yeux. Il fallait juste qu’elle se tienne prête au cas où, sans juger ni se méfier outre mesure.
« Jamais entendu parler, non. Mais si elle a un nom, ce doit être une arme puissante. Tu n’as pas peur que ça fasse légèrement désordre, sur Terre ? Tuer quelqu’un d’une balle, encore, ça peut se gérer. Mais, tout procureur que tu es, si tu attaques avec une arme inconnue ça risque de faire des dégâts tu ne crois pas ? »
Le bruit l’arrêta, tandis que Lyan continuait de parler. Andrea fixa son regard dans les buissons tandis qu’elle sortait sa dague mais restait en retrait. Soyons pragmatique, elle était épuisée, pas lui, et il avait une arme de distance. Il ne fallait pas être très intelligent pour comprendre que son intérêt était vite calculé. Il valait mieux ne pas approcher, et le laisser venir à bout de la menace en le secondant si besoin était. Et, quand bien même quelqu’un devrait y passer, Andy préférait que cela ne soit pas elle. Avec le temps, elle avait appris à devenir égoïste, à songer à elle pour toujours revenir auprès de Law en vie. Peu lui importait de n’être plus droite, honnête et respectable. Elle se fichait bien de paraître lâche, faible et couarde. Sa vie avait de la valeur, à présent. Plus qu’elle n’en avait jamais eue. Elle ne pouvait pas en disposer comme bon lui semblait, puisqu’elle n’en était plus la seule bénéficiaire.
Elle ne put retenir son cri, cependant, quand elle vit quelque chose voler en direction de Lyan, trop vite pour qu’il l’esquive. Une ‘’Chatoyante’’ venait de lui porter un coup fatal. La vitesse de sa queue était presque impossible à éviter, et celle-ci était mortelle. Il avait subi le coup, l’arme naturelle du monstre transperçant son foie et sans doute le bas de son poumon gauche. Autrement dit, il était mort. Hémorragie interne, choc hémodynamique. Environ dix minutes d’espérance de vie. Quand elle entendit Lyan crier, elle recula de deux pas. Au moins cela lui donnerait l’occasion de fuir… Même si elle se voyait mal le laisser mourir seul. Mais une Chatoyante, ce n’est pas rien à tuer. Resserrant sa main droite sur sa dague, Andrea grimaça de compassion. Le cri de son compagnon éphémère faisait peine à entendre. Un hurlement d’agonie qui couvrait les feulements de la bête.
La bête qui se prit une balle entre ses yeux brillants, qui se vidèrent instantanément de tout éclat vital. Que… Quoi ? Est-ce que Lyan, supposé mort, venait d’occire son meurtrier ? Avec une précision maîtrisée, en plus de ça ? Et… Est-ce qu’il venait de hurler comme un putois ? Sa silhouette s’écrasa au sol, se tordant de douleur alors qu’il essayait d’enlever la queue de son corps. Andrea pensa tout d’abord à un réflexe de lézard, dont la l’appendice caudal continue de frémir une fois la vie ayant quitté son corps. Mais occire une Chatoyante est un dernier réflexe assez étrange, à bien y penser. Et considérer sa mort comme une mauvaise journée encore plus. Et… Et demander de l’aide encore p…
« T’ES PAS SUPPOSE ÊTRE MORT ? »
Andrea hésitait entre tourner de l’œil et fuir, très loin. Depuis quand les procureurs terriens étaient-ils increvables, même à moitié terranides ? La jeune femme était totalement perdue et sentit ses jambes l’abandonner durant un quart de seconde, mais l’instant d’après son pragmatisme reprenait le dessus sur son corps. Elle se précipita en avant, à côté de Lyan, et lâcha son arme à ses côtés. Elle tenta de l’immobiliser, bandant ses muscles développés malgré sa silhouette fine, et le bloqua à terre en essayant de le calmer.
« Arrête de bouger bordel ! De toute façon, t’en as pour deux minutes avant d’y passer, que j’enlève ou pas ce truc. Arrête de tirer dessus, les lames sont ouvertes dans ton dos ça ne peut pas passer. Tu ferais mieux de me dire qui je dois prévenir pour ton décès, moi je te le dis. BOUGE PAS ! »
La jeune femme le retourna comme elle put, et trancha la base du dard dont les lames acérées dépassaient. Elle dégagea le bout mortel du plat de sa lame, avant de le remettre sur le dos et de tirer à nouveau sur la queue de la Chatoyante, libérant enfin le torse de Lyan. Elle repoussa le morceau de chair sanguinolent, et observa avec horreur le trou dans le corps de son compagnon de route. Pire, elle le regardait se refermer. Transpirante, épuisée, accroupie à côtés d’un homme qui aurait dû être mort, Andy essuya du revers de sa manche son front déjà sale et à présent taché de sang, avant de souffler :
« Tu es quoi exactement ? Un putain de monstre ou un dieu ? Je crois pas que tu aies besoin d’une autre arme… »
Ce n’est ni le sang sur ses mains, ni la vision du corps de Lyan qui conduisit Andrea à se sentir mal. Juste, c’était trop d’informations et beaucoup, beaucoup trop d’inattendu. Elle était tombée sur le seul mec immortel de Terra et de Seikusu réunis ? Elle ne perdit pas connaissance, non. Mais Andy se releva, posa son sac, dégagea son front de ses cheveux et fit quelques pas avant d’aller vomir son dernier déjeuner mais surtout de la bile acide qui lui brûla la gorge et la cavité buccale. Elle était tombée où et sur qui, sérieusement ? Andrea ne pensait pas qu’aller chercher un bête miroir allait être aussi compliqué. Et là, elle avait besoin d’expulser un peu sa peur de voir encore quelqu’un mourir devant elle, son angoisse de l’attaque, sa fatigue physique et ses nerfs qui commençaient à lâcher. Il allait vite falloir trouver un endroit où elle pourrait s’arrêter et prendre le temps de souffler, ainsi que de reconstituer un repas, le dernier finissant présentement entre deux buissons avoisinant.