De ce tout qu'il avait visité pour l'instant, Vaelh préférait de loin les Contrées du Chaos. Merveilleuses étendues sauvages, indomptables, à la nature d'une beauté violente, elles dépaysaient l'Incube de ses palais infernaux. Mais surtout, le Démon était tombé amoureux des couleurs. Sa vue hyper-sensible voyait les teintes d'ocre, de rose, de vert, de bleu, avec une netteté si dure, un contraste si brutal qu'il était souvent forcé de plisser les yeux comme pour se les protéger du soleil. Où qu'il regarde s'étalait devant lui un déchaînement de sublimes tonalités qui lui arrachait nombre de soupir de plaisir, sinon d'appréciation.
Vaelh le concédait volontiers, il adorait la nature, tant parce qu'elle est belle que parce qu'elle manque aux Enfers.
Hédoniste en toute chose, Vaelh souhaitait pouvoir savourer plus intensément son escapade ; du plaisir, toujours plus de plaisir ! Quel meilleurs moyen d'y parvenir que de sentir le vent tiède vous fouetter le visage alors vous êtes lancés à pleine vitesse sur le dos d'une puissante monture ? Les Terres Sauvages sont l'endroit tout désigné pour ça. Ah, ça c'était une idée ! C'est ainsi que l'Incube s'était rendu au village Terranide le plus proche. Sur place, il avait suscité nombre d'émotion : animosité, curiosité, jalousie et évidemment, le désir. Coup de chance, le palefrenier du village s'est avéré être... Une palefrenière ! Parfait pour Vaelh qui, plutôt que de dépenser le moindre sous, à laisser entendre à la Terranide -une hybride entre l'humaine et la gazelle- qu'il lui serait "intimement reconnaissant" si elle voulait bien, au comble de son amabilité, lui céder temporairement un étalon.
Habitué à monter des créatures bien plus fantastiques que des chevaux -sans sous entendu-, Vaelh s'était retrouver perturbé par l'affligeante banalité de l'étalon. Juste un tronc, quatre pattes, une tête ; le minimum syndicale, scandaleux ! Pas d'ailes, pas de cornes, des couleurs banales. Mais quand il avait réussit à passer outre son mécontentement, Vaelh s'était d'emblée bien débrouillé. La bête avait été bien dressée, rendue docile, et ne renâcla même pas aux manœuvres sèches de son cavaliers. Bien !
Tandis qu'il retournait dans les immensités dans landes, l'Incube s'était autorisé à tergiverser un peu. Malgré que les Terranides soient mi-humanoïdes, mi animaux, ils employaient quand même des bêtes pour leurs services. Ainsi, lorsqu'un Terranides chevauchait, cela ne revenait-il pas à dire qu'il ne faisait que monter sur le dos d'un de ses cousins sous-évolués ? Par analogie, ça aurait été comme si un humain chevauchait un singe. Ah, l'image ridicule qu'un de ces idiots sur le dos d'une bestiole si laide !
Arrivé à destination, Vaelh avait semblé retomber en enfance, éprouvant une joie puérile mais délicieuse à pousser sa monture au galop le plus rapide. Le paysage, devenu un corridor de couleurs floues, défilait autour de lui tandis qu'une brise tiède lacérait sa peau sensible de caresses si plaisantes qu'elles devenaient douleur. Cet amusement qu'il ressentait lui fit tant oublier la Terranide du village que le fait que la monture n'était pas à lui ! Bah, tant pis, le principal est qu'il se distrayait.
Puis soudain, un tonnerre de galops. L’insouciant Démon se dévissa le cou, avide de trouver l'origine du bruit et de débusquer de potentiels camarades de jeux, et tomba... Sur une petite femme qui, à elle seule, mettait honteusement en déroute un groupe de quatre grands gaillards ! Instantanément, Vaelh pouffa, amusé par cette mauvaise répartition des rôles : normalement, ce sont les femmes qui sont ainsi poursuivies par des bandes de prédateurs vicieux. Puis, réalisant qu'il y avait matière à se distraire, Vaelh avait lancé son cheval au galop pour intercepter tout ce beau monde. Il apparut alors clairement à leurs yeux depuis les profondeurs d'un petit bosquet qu'il avait dangereusement traversé, magnifique, impérial, parfait sur sa monture affolée. Ses cheveux de platine et d'encre s'envolaient en tout sens, ne dévoilant que mieux l'or surnaturel de ses iris. Ses traits -sont corps entier même- irradiait d'une absolue et impossible perfection.
Imaginez un instant que pour vous, les couleurs n'existent pas ; votre vie se résume à des nuances de gris. Et là, en cet instant, s'impose à vos yeux un cavalier abstraitement beau vêtu d'or, de blanc et de rouge. Troublant pas vrai ? Mais magnifique.
Profitant de son élan, Vaelh sembla s'orienter pour arriver près des fuyards pour les aider dans leur fuite... Mais non ! Ce fourbe se rangea brusquement aux côtés de la femme, dégaina une épée d'une finesse improbable et rugit son excitation. Que les humains se tiennent près, ils étaient maintenant suivis par une dragonne et un malade aux sourire bien trop large et hystérique pour être celui d'un humain.
Bien sûr, il aurait été plus prudent de savoir pourquoi un groupe d'homme s'enfuyaient si lâchement devant une femme seule. Peut être était-elle une puissante magicienne ? Une meurtrière ? Les deux à la fois, ou pire ? Mais Vaelh ne connaissait même pas le mot prudence !
Il avait juste eu l'intuition qu'il y aurait du divertissement, alors le voilà, faisant fi de toute précaution.