L’erreur fondamentale de Nathan n’avait pas été de croire qu’il serait intelligent de revenir chez lui, alors que les Guramu connaissaient son nom. Sa grande erreur avait été de faire confiance à un chauffeur de taxi de Seikusu travaillant au sein de la Toussaint. Le taxi n’avait pas appelé les Guramu juste après avoir déposé Nathan et Sunday, mais il connaissait bien la ville. Discrètement, lentement, il avait pris tout son temps, étant après tout payé, non pas au nombre de kilomètres, mais au temps passé. Il connaissait les chemins à prendre pour ralentir le voyage, tout en donnant l’impression aux voyageurs d’avancer en prenant des raccourcis. Il n’avait eu aucun scrupule à escroquer ainsi les deux passagers, car la femme sur la banquette arrière l’énervait autant qu’elle l’excitait, et il enviait autant qu’il méprisait l’homme. Il avait évidemment vu qu’ils allaient se rouler une pelle dans son taxi, et ce fut la raison qui l’avait décidé à arrêter sa course, près de l’endroit indiqué par l’homme. Que Nathan n’ait rien vu était en soi le signe que Sunday l’obsédait au point qu’il en négligeait les éléments les plus simples.
Ainsi, tandis que le chauffeur de taxi promenait le duo dans les rues de la ville, et que Nathan luttait contre son érection, Kiba Guramu avait eu tout le temps d’appeler un contact au sein de la police. On lui avait fourni sans hésitation des informations sur Nathan Joyce. Il était peu apprécié de la brigade. Un flic efficace, mais avec une forte propension à l’alcoolisme... Et c’était un
gaijin au passé flou. Dès qu’il avait eu l’emplacement de l’appartement du flic, Kiba avait appelé deux de ses hommes, afin d’y aller. La fille s’était évadée, visiblement à l’aide de pouvoirs magiques (un problème dont Kiba allait devoir s’occuper), et, si son appartement était surveillé, il était désormais évident, pour Kiba, qu’ils n’étaient pas que deux à avoir fait le coup. Il avait donc envoyé deux hommes surveiller cet appartement, en espérant que la fille y irait. Deux hommes étaient donc venus : Zango et Aritsune. Zango et Aritsune faisaient partie de la branche des Guramu chargés des rapports sociaux, un délicieux euphémisme pour parler du racket et de l’intimidation, l’une des bases des revenus des Guramu. Aritsune faisait partie des Yakuzas qui étaient envoyés dans les boutiques quand les commerçants estimaient ne plus avoir besoin de protections. Zango, lui, participait à l’activité dite du
sōkaiya, une activité spécialement yakuza, qui consistait à devenir actionnaire minoritaire d’une société, afin d’assister aux conseils d’administration, et de menacer, par sa simple présence, des actionnaires qui auraient pu être hostiles à la bonne marche de l’entreprise, et à la prise de mesures favorisant les bénéfices. Ils formaient donc un beau couple, et Zango, tout en étant une armoire à glace, était aussi un spécialiste du crochetage, ce qui lui permettait ainsi, quand il allait dans les sociétés, de crocheter les serrures de certains bureaux, afin d’obtenir des documents pour faire chanter des individus par la suite.
Zango n’avait eu aucune difficulté à crocheter la porte, et le duo avait fouillé l’appartement. Ils avaient trouvé les revues pornos de Nathan, les avaient fouillés, sans rien voir d’intéressant. Aucune disquette, aucun livre de comptes, c’était un appartement pour minables, un endroit de pouilleux. Aritsune s’était rendu dans la salle de bains, tandis que Zango avait utilisé son expérience au sein des sociétés pour installer discrètement une caméra WiFi. Encore une fois, c’était une chose qu’il faisait au sein des sociétés. Quand il fallait faire pression sur un actionnaire, ou sur un PDG récalcitrant à suivre les directives de son conseil d’administration, la force brute n’était pas recommandée dans tous les cas. Zango avait installé de petites caméras dans des bureaux, et avait ainsi filmé de joyeuses parties de jambes en l’air entre un honorable PDG et sa jeune secrétaire. Zango se disait que, si la fille revenait ici, savoir ce qu’elle avait pouvait être une bonne idée.
Aritsune, quant à lui, avait préparé un petit cadeau qu’il faisait contre les commerçants
trop récalcitrants. Il avait trouvé l’arrivée de gaz, et était en train de la saboter, la raccordant à un petit dispositif. C’était une espèce de briquet spécialement modifié, afin d’agir comme un détonateur à distance. Quand il appuierait sur le déclencheur, le briquet s’enclencherait, et le gaz exploserait. De cette manière, Aritsune avait pu faire sauter toute une épicerie, sans que la police ne puisse conclure à rien d’autre qu’à une fuite de gaz.
Ils avaient agi rapidement. Ils étaient des professionnels, qui savaient que leur métier impliquait d’agir rapidement. Zango avait accroché la caméra sur la tringle d’un rideau, un endroit que personne ne pensait à voir. Elle était minuscule, presque aussi grosse qu’une webcam. Ils étaient sortis sans inquiétude, et se tenaient maintenant dans une voiture stationnée à côté de l’immeuble, sous le métro aérien. Zango avait allumé son ordinateur portable, qu’il amenait toujours avec lui, et avait lancé un logiciel permettant d’afficher la caméra-espion. Aritsune, quant à lui, avait sorti un sachet de madeleines, et ils attendaient, écoutant des imbécilités à la radio.
«
C’est pas le flic que Kiba a refroidi ? » demanda Zango.
Aritsune vit sur l’écran qu’ils étaient entrés dans l’appartement. La salope, ainsi qu’un gars bien bâti. Aritsune et Zango n’étaient pas dans le métro quand Kiba avait refroidi le flic, mais ce dernier leur avait dit que le flic était mort. Les deux Yakuzas le trouvaient cependant bien vivants, et Zango utilisa sa caméra pour prendre une photographie de la tête de Nathan, l’envoyant ensuite à Kiba pour avoir confirmation.
«
Elle a niqué son corset, la chérie..., commenta Aritsune.
-
C’est une étrangère, sûrement une Occidentale... Ce sont toutes des salopes. »
Ils virent l’homme lui amener une chemise, et le métro passa ensuite, faisant trembler toute la place. Les Guramu virent la caméra trembler, mais l’image, fort heureusement, se stabilisa. Cette immeuble, comme tous les autres, étaient tenus par les Guramu depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Si le métro n’avait pas été enfoncé dans le sol, et si les bâtiments n’avaient pas été rénovés, c’était de leur faute. Les Guramu n’étaient pas l’assistance publique, et tous ceux qui vivaient ici savaient qu’ils n’engageraient pas de l’argent pour rénover les infrastructures. Ils n’y gagneraient rien.
Ils virent l’homme et la femme s’embrasser. Zango se mordilla les lèvres. Il reçut alors un message de Kiba, son portable se mettant à tilter.
«
Alors ? -
Kiba comprend pas. Il dit qu’il a refroidi ce type dans le métro. -
’M’a pas l’air très frais, cet oisillon-là, vu la manière avec laquelle il lui roule une pelle... Je dirais plutôt qu’il est chaud comme le cul du Diable. »
Comment un mort pouvait-il embrasser une fille en lui roulant un gadin ? Les Guramu savaient qu’il existait à Seikusu des individus paranormaux, et le fait de tomber sur deux d’entre eux au sein d’un même groupe laissaient envisager pas mal de possibilités. La femme était en train de se déshabiller, finissant dans un string très court, tandis qu’elle s’attaquait au pantalon de l’homme. Elle s’y attaquait avec une certaine habileté. Le son n’était pas très bon sur ces caméras-là, mais ils virent l’homme soulever la femme, son jean glissant le long de ses jambes, avant de la plaquer contre le mur, à côté de la fenêtre. Zango déplaça lentement l’objectif de la caméra. La femme était plaquée contre le mur, et l’homme était manifestement en train de la pénétrer. On voyait ses seins, que l’homme pétrissait fermement.
«
Diable, il lui fait le grand numéro... »
Le fait est qu’ils n’étaient pas taillés contre des mutants, n’ayant rien de plus que leurs armes à feu. Kiba hésitait entre leur dire de les interpeller, de l’attendre, ou de les tuer. Aritsune avait le doigt sur son détonateur, attendant le SMS fatidique.
C’était comme une écluse. Quand on ouvrait les portes, l’eau se déversait, et, si on n’y prenait pas gare, le courant pouvait vous échapper. Une véritable tempête se déchaînait dans le corps de Nathan,e t il avait
mal. Le benêt qui prétendait que le sexe n’était qu’amour et douceur n’avait jamais eu une telle trique. Son pénis l’élançait douloureusement, une douleur de tous les diables, une démangeaison terrifiante. Son membre était tendu comme un soldat au garde-à-vous, comme une corde de violon prête à claquer. Les lèvres de cette femme étaient magnifiques, ses seins s’enfonçaient dans sa chair avec une tendresse insoupçonnable. Il la sentit se déshabiller, l’entendait gémir et soupirer. Tout avait disparu. Les Guramu, le coup de feu dans le métro, la Bête, les magazines pornos, le métro... Tout... Tout, et même ce léger sifflement que Nathan, en d’autres circonstances, aurait pu percevoir dans la salle de bains. Ce
Fssschiiii... qui indiquait la fuite de gaz.
Il ne pensait qu’à une chose.
Sunday. Ses lèvres. Son corps.
«
Fais-moi tienne, Nathan... » sussurrait-elle.
Ses mots étaient magiques. Un appel irrésistible, irrépressible. Comment pouvait-il seulement
espérer lutter contre ça ? Il était vaincu d’avance. Elle était en string, et tirait sur sa fermeture. Il l’accompagna, tirant sur son jean, entraînant le caleçon avec lui, et la souleva d’un coup, l’envoyant contre le mur, à côté de lui. Le dos de Sunday fit craquer ce dernier, ses jambes glissèrent le long de ses hanches, il tira sur le string d’un coup sec, l’arrachant, et la pénétra dans la foulée.
Sentir son sexe en elle fut comme une joyeuse libération, une délivrance... Mais son sexe lui faisait toujours aussi mal.
Le téléphone portable de Zango se mit à vibrer une nouvelle fois. Il l’attrapa, et appuya sur le bouton central.
«
On les tue » trancha-t-il.
Aritsune hocha la tête, et éteignit alors l’autoradio.
«
Qu’est-ce que tu attends ? -
J’ai mon petit rituel, Zango... Ouvre la boîte à gants, et donne-moi ce CD, là... »
Interloqué, Zango obtempéra, tandis que, devant l’écran, l’homme usait de ses muscles pour donner des coups de reins enjoués. Le CD était une compilation de musiques françaises. Aritsune l’attrapa, et le mit dans l’appareil, puis passa à la neuvième chanson.
«
Il faut une musique de circonstance. »
Une délicieuse musique, un petit air enjoué, se mit en marche dans l’habitacle. Zango crut discerner une espèce de trompette, mais il n’avait jamais été doué pour distinguer les différents appareils de musique. Une voix amusée et élancée se mit à chanter. Zango connaissait un peu le français, car il avait suivi des études dans les relations des affaires internationales, afin de justifier son statut d’actionnaire au sein de certaines sociétés.
« La pendule fait tic tac tic tac
Les oiseaux du lac font pic pic pic pic
Glou glou glou font tous les dindons
Et la jolie cloche ding deng dong
Mais... »
Aritsune suivait le rythme, tenant dans la main gauche le petit détonateur. Le refrain s’enclencha avec le premier couplet, et Zango commença à comprendre l’importance du fond musical :
« Boum
Quand notre cœur fait Boum
Tout avec lui dit Boum
Et c'est l'amour qui s'éveille.
Boum
Il chante "love in bloom"
Au rythme de ce Boum
Qui redit Boum à l'oreille »
«
Ces Français sont de vrais poètes... »
Il se laissa taller, tandis que la musique se poursuivait, et que les deux tourtereaux continuaient à se faire l’amour sous leurs yeux.
« Boum
Le monde entier fait Boum
Tout l'univers fait Boum »
Il appuya sur le bouton.
« Parc'que mon cœur fait Boum Boum
Boum »
Dans la salle de bains, où le gaz s’échappait, un petit mécanisme s’enclencha à l’intérieur d’un briquet négligemment abandonné là. Le clapet s’ouvrit sans prévenir, et le feu s’enclencha. Le réservoir du briquet contenait de l’hydrogène, ce qui en faisait plus une bombe artisanale spéciale qu’un vulgaire briquet.
« Je n'entends que Boum Boum
Ça fait toujours Boum Boum »
Nathan sentit le souffle, et eut à peine le temps de tourner la tête que les flammes de l’enfer se répandirent dans l’appartement.
« Boum Boum Boum... »
*
BRRRRRRRRAAAAOOOOOOOOUUUUUUUUUMMM !!!*
Le temps que Trenet se taise, tout un étage partit en fume. Une formidable explosion. L’image de la caméra se vrilla instantanément, et les deux Yakuzas virent des langues de feu jaillir hors des fenêtres, formant de jolis champignons. Une formidable explosion, qui projeta des morceaux de bétons et de briques sur le sol, ainsi que les corps des deux amants. Les deux Yakuzas les virent s’envoler à travers le mur, formant une belle torchère, avant de s’écraser dans une ruelle, renversant une série de poubelles et de cartons. L’explosion avait complètement soufflé l’appartement, mais, les murs étant peu résistants, ils avaient aussi été pulvérisés, ce qui faisait que l’incendie s’était répandu dans les autres appartements alentour, provoquant une superbe explosion. La voiture ne bougea pas, alors que toute une série d’alarmes s’enclencha le long des voitures stationnées, que des lumières s’allumèrent tout autour. Lentement, Aritsune démarra le moteur, enclencha la première, et s’écarta, laissant tout un étage rongé par les flammes. Ils regardèrent du côté de la ruelle, et virent des flammes brûler au milieu de la ruelle.
«
Je crois qu’on peut les dire morts. »
Sur cette bonne parole, les deux truands s’en allèrent, laissant les urgences arriver.
Nathan, quant à lui, avait le corps complètement calciné, et tenait entre ses bras le corps de la femme, les vêtements de la femme ayant été happés par la Bête quand cette dernière, sentant le souffle du feu, avait formé une carapace protectrice autour des deux amants, et avait bondi par le mur, aidé par la déflagration. C’était la carapace de la Bête qui brûlait, et c’était elle qui s’était réceptionnée sur le sol, au milieu de la ruelle, rebondissant, avant de stopper sa course contre un grillage.
*
Par tous les Présidents et par toutes les putes du monde, mais qu’est-ce qui a bien pu se passer ?!* songea-t-il en tentant laborieusement de se relever.