«
C’est ici qu’elle se terre, Maîtresse ! Précisément ici ! Nous l’avons pisté, nous en sommes sûrs ! »
Le doigt de l’homme était fébrilement et nerveusement posé sur un endroit d’une grande carte de Seikusu, très précise. Sarah l’observa silencieusement, jambes croisées sur son fauteuil, sa main caressant négligemment le crâne rose et chaud d’un
Zergling, qui remuait lentement ses appendices supérieurs, en se disant très probablement que cet humain nerveux et en manque serait un excellent casse-croûtes. En réalité, l’humain était aussi nerveux qu’excité. Sa nervosité se comprenait : la Reine des Lames avait tué sous ses yeux hier l’un de ses amis, quand ce dernier lui avait communiqué une information erronée, laissant ses monstres le déchiqueter joyeusement. Sarah Kerirgan était à la poursuite de quelqu’un, une créature qui l’intéressait, et elle avait à son service, sur Terre, quelques minables, des gangsters de la Toussaint, des clochards, des individus sans importance. Grâce à ses pouvoirs psychiques, elle n’avait eu aucune difficulté à les soumettre, en appliquant le bon vieux principe qui convenait à cette humanité faible et servile : le bâton et la carotte. S’ils la servaient fidèlement, ces hommes étaient enfermés dans des espèces de chambres de stase, où des tentacules se plantaient dans leur corps pour leur offrir des rêves particulièrement euphoriques, tout en les transformant progressivement en zombies servant sa cause, et voyant la Reine comme une déesse.
Dans son corps en chitine, Sarah Kerrigan planta ses yeux lumineux sur l’homme.
«
Tu es sûr de ton fait ? -
Nous l’avons suivi, Grande Reine ! C’est son repaire ! »
Cet homme était du genre avisé. Il ne s’emballerait pas sans raison. La Reine réfléchit. Elle n’aimait pas perdre son temps à se déplacer, et ce d’autant plus qu’elle finissait toujours par tuer au moins une personne quand elle se promenait dans les villes humaines. Elle ne supportait pas qu’on la toise, et la spécialité des humains envers le sexe féminin étaient justement d’être méprisants. Le Zergling sentit son hésitation, l’interprétant comme une possibilité de briser les jambes de l’humain, et poussa un léger grognement. L’homme se mit à paniquer en voyant les yeux de braise du monstre l’observer, déglutissant lentement. Sarah s’extirpa alors de son fauteuil.
«
Très bien. Je vais aller voir ce que c’est. Si ce que tu dis est vrai, mes hommes te mettront dans une chambre de stase. Si c’est faux, tu finiras dans le ventre de mes Zerglings. »
L’homme s’écroula sur le sol, la remerciant fidèlement, s’écrasant comme une larve, ce qui donna envie à Sarah de le tuer sur-le-champ. Ils se tenaient dans ce qui, vu de l’extérieur, ressemblait à un immense hôtel de luxe. Cet hôtel avait été fermé pendant la Seconde Guerre Mondiale, où il avait été réquisitionné par les troupes impériales japonaises, du fait de sa position avantageuse dans la région, et du fait que l’armée japonaise craignait une invasion américaine sur leur territoire. Cette réquisition avait perduré avec l’arrivée des troupes américaines. Les soldats japonais n’avaient jamais réglé l’addition, pas plus que les Américains, et l’hôtel de luxe avait mis la clef sous la porte. Il faisait partie des quelques rares bâtiments luxueux de la ville que les Yakuzas n’avaient pas, et Sarah l’avait racheté à prix d’or à leurs anciens propriétaires. L’argent n’était pas un problème pour elle, et tuer les anciens propriétaires aurait attiré plus de problème qu’autre chose. Sur Terre, ce monde que la majorité des Formiens dénigraient pour son absence de magie, et parce que l’Overmind n’y avait aucune influence, Sarah Kerrigan y avait établi sa base, son QG, agissant totalement en-dehors des directives de l’Overmind, ce qui était précisément ce pour quoi l’Overmind avait décidé de la créer. Une Annexienne ayant toujours son libre-arbitre.
Or, cette Annexienne sentait depuis quelques semaines la présence d’une curieuse Formienne dans les rues de la ville. Comment l’expliquer ? Ce sentiment était troublant, car elle semblait être à la fois une puissante Formienne, mais aussi incomplète. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. En réalité, c’était comme si cette Formienne n’avait pas été conçue par l’Overmind ou par l’un de ses Annexiens, et qu’elle errait donc sans but, se consumant lentement. Le sexe était la seule chose qu’elle connaissait, ce qui en faisait un prédateur sexuel, et c’était bien comme ça qu’elle faisait parler d’elle. Sarah la traquait, mais Seikusu était une ville énorme, et repérer un seul esprit dedans tenait du miracle. Elle avait passé de longues nuits à essayer de se concentrer, mais tout ce qu’elle en récoltait, c’était des migraines.
Plus elle se rapprocherait de la créature, géographiquement parlant, et plus elle serait en mesure de la sentir. Ne pouvant pas sortir dans Seikusu sous sa forme normale, elle opta donc pour sa
forme humaine, avec le seul vêtement qu’elle connaissait : son uniforme de Ghost. Ce n’était pas forcément plus discret, mais elle se voyait mal faire des emplettes. Elle sortit donc, et grimpa dans l’une des voitures stationnées à l’hôtel, conduites par ses larbins.
Eux étaient des zombies pleinement formés, mais, contrairement aux films de science-fiction, les zombies de Kerrigan n’étaient pas des êtres décérébrés avançant à la vitesse d’une tortue, les bras ballants. Il s’agissait d’humains aseptisés, leurs lunettes de soleil cachant leurs yeux verdâtres fluorescents. Ils étaient très résistants, et, en mourant, ils explosaient dans des gerbes d’acide dévastatrices. Le zombie ne parla pas à Kerrigan, cette dernière lui ordonnant mentalement où il devait aller. Silencieusement, il programma le GPS intégré dans la voiture, et se mit en route.
Vingt minutes plus tard, Sarah arrivait devant l’usine désaffectée, dans les profondeurs de la Toussaint, près du quartier industriel désaffecté, une série d’usines à l’abandon depuis la grande crise économique de 1990. Le quartier de la Toussaint avait été ravagé par cette crise, donnant lieu à beaucoup de fermetures, d’immeubles saisis par la justice pour créances impayées, et, par conséquent, d’usines en train de fermer. La réputation de la Toussaint s’étant dégradée, aucun investisseur n’avait décidé de les reprendre, et la municipalité n’avait pas encore décidé de détruire ces bâtiments pour les reconstruire, par manque de moyens, et aussi parce qu’ils savaient que les investissements ne seraient pas rentabilisés tant que la réputation de la Toussait serait aussi basse.
Sarah avait bien retenu ses leçons, elle s’était renseignée. Elle ordonna à son chauffeur de s’arrêter dans une ruelle isolée, et de l’attendre. Il ne posa aucune question, et, quand sa Reine sortit, une ultime trace d’humanité en lui l’amena à lutter contre l’ennui, en allumant l’autoradio.
*
Je te sens, songeait Sarah.
Tu es proche, seule, effrayée... J’arrive...*