Cette région avait probablement connu des jours meilleurs... Ou, sous un œil formien, on aurait pu dire, au contraire, qu’elle était
en train de connaître des jours meilleurs. Là où la Reine des Lames posait ses valises, rien ne restait jamais tel quel. La flore était la première à être modifiée, par le biais d’agents s’infiltrant dans les racines. La modification florale présentait l’avantage de ne pas pouvoir être détectée par les Tekhanes, éternelles et farouches ennemies des Formiens. Et, outre ce souci sécuritaire, elle permettait aussi un changement profond de l’environnement, dans la mesure où tout dépendait de la flore. De la simple abeille qui venait butiner dans les fleurs, et répandait le virus dans sa ruche, au chien venant boire dans l’eau, la faune était, par voie de conséquence, progressivement contaminée. Les humains venaient généralement en dernier, et c’est ce qui avait été le cas des villageois de ce petit hameau forestier planté dans la forêt.
Il n’avait pas vraiment de nom. C’était un lieu-dit, qu’on appelait tout simplement la «
Ferme du Moulin », en raison du moulin se trouvant au centre du village. Un élégant moulin à eau, le long d’une rivière qui découpait le hameau en deux. Le hameau, quant à lui, était une grosse exploitation agricole avec une ferme et une scierie. La ferme comprenait un certain nombre de bâtiments et d’animaux : une écurie, une porcherie, des champs agricoles, un enclos avec des vaches, un poulailler, un entrepôt, des silos, et un abattoir, sans oublier les champs agricoles. Toute l’exploitation était organisée autour d’un grand manoir, qui abritait le propriétaire terrien et les fermiers, généralement des esclaves, même s’ils n’en avaient pas officiellement le nom. C’était l’endroit parfait pour Sarah. Si cette dernière résidait habituellement dans la Fourmilière, où elle passait son temps à accoucher de nouveaux Formiens pour protéger le refuge de son peuple, certains de ses Formiens partaient avec elle dans des régions exploitables, c’est-à-dire des endroits où elle avait la possibilité d’implanter un nid, et de répandre l’infestation. Cultivée, Sarah comparait cette stratégie avec celle qui, sur Terre, avait prévalu au temps de la Guerre Froide, les Tekhanes agissant comme des barrières pour contrer des expansions adverses.
Le Moulin était un hameau qui n’avait aucune défense digne de ce nom, les fermiers se chargeant eux-mêmes de repousser les loups qui tentaient parfois de les attaquer. Autant dire qu’ils n’avaient rien pu faire quand Sarah, pour une fois, était venue en personne s’occuper d’eux. Elle aurait pu laisser ce petit plaisir à sa fille,
Thorne, mais elle préférait s’amuser en personne, histoire de se dégourdir les jambes. Elle avait du tuer plusieurs humains, mais tous, dans l’ensemble, avaient été préservés. Cette époque lointaine où les Formiens massacraient à tout prix les humains n’était pas, selon Sarah, une bonne stratégie. De son point de vue, il était bien plus profitable de les laisser vivre, et d’en faire des esclaves. Hommes, femmes, enfants, tous avaient été réunis dans le manoir, enfermés dans des cocons, afin de former un nid secondaire dans cette bio-infestation. Thorne se chargerait de veiller sur eux.
Ce fut quelques jours après cette opération qu’ils arrivèrent. Fendant l’air, ils amenaient avec eux les problèmes. Dans le village, ce fut Thorne qui repéra la première le vaisseau, car elle était sur son moulin, et le vit approcher, se posant à quelques lieues du village, et en profita pour alerter sa Mère, qui veillait sur ses œufs. Thorne s’était approchée, tandis que tous les Formiens s’étaient repliés. Si Sarah laissait Thorne sur la surface, c’était à cause de sa seconde peau, cette excroissance liquide noire. Quand elle recouvrait totalement son corps, elle brouillait les signaux thermiques du corps de Thorne. Sarah connaissait les techniques des Tekhanes, étant, après tout, une ancienne Tekhane. Thorne put ainsi voir tout un groupe de marines, qui intéressaient peu Sarah... Et surtout une superbe femme, une femme blonde dans une combinaison moulante, qui moulait à la perfection son petit cul. La combinaison moulante était un fantasme formien, vu le nombre de soldates que les Formiens avaient capturé ainsi. Et, outre de sa beauté, Sarah pouvait sentir la puissance magique de cette femme. Depuis son nid, dans une grotte, elle se mit à sourire, sentant une onde d’excitation la traverser. Un solide frisson de plaisir.
Thorne, de son côté, s’occupait des Marines. Les soldats s’avançaient le long de la rue principale du hameau, se dirigeant vers le manoir, pointant prudemment leurs armes, utilisant, eux aussi, des capteurs thermiques. L’un d’entre eux disposait, entre les mains, d’une sorte de capteur de mouvements, totalement inutile en la matière, vu que Thorne restait complètement immobile, fondue dans le décor.
«
Avancez prudemment, restez attentifs au moindre bruit suspect. -
Ça pue le Formien. »
Sarah savait que leur venue signifiait la fin de sa bio-infestation. Le haut-commandement tekhan n’enverrait pas une femme aussi puissante sans assurer ses arrières, et Sarah connaissait les procédures. Si personne ne leur répondait au bout de plusieurs heures, les Tekhanes enverraient des renforts. A ce stade, la bio-infestation n’avait toutefois plus une grande importance. Seule comptait cette belle femme qui s’avançait dans la forêt.
S’extirpant de son nid, Sarah se mit à remonter vers la surface, tout en envoyant plusieurs Formiens la tester. Il s’agissait de
soldats redoutables. Une dizaine s’avança lentement autour de la femme, sans chercher à être discrets. Ils étaient des pions à sacrifier, afin que Sarah évalue la puissance de cette femme, tant au niveau de ses capacités, que de ses réactions. Grognant et soupirant, les monstres s’approchaient lentement d’elle, en plein milieu de la forêt.
*
Allez-y* ordonna Sarah, et ils chargèrent.