_Satina, bon sang de bonsoir, lâche cette écoutille et viens me remplacer à la barre !
Oui, car cette superbe chienne était aussi agile qu'un humain à bien des égards, et elle était parfaitement capable de tenir une barre, même sur un vaisseau aussi massif que celui de sa maîtresse.
Cette dernière ronchonna encore un moment, lâchant finalement les commandes à sa compagne. La mer était calme. Beaucoup trop calme, même. Mais il ne faut pas oublier qui est Ilithye, une déesse ! Certes, elle ne pourrait rivaliser avec son oncle Poséidon (et d'ailleurs rivaliser de puissance avec lui serait signer son arrêt de mort, il est bien trop fier pour pouvoir supporter une telle concurrence), mais au moins pouvait-elle un peu influer sur la mer pour accélérer son voyage. Et, ainsi, de lourdes vagues commencèrent à se soulever, faisant doucement craquer le bois du navire, le faisant lentement rouler sous la houle, et, finalement, le faisant avaler bien plus de mètres que précédemment.
Avec un sourire satisfait, la déité revint près de sa chienne et, posant une main amicale sur le museau de cette dernière, reprit sa place aux commandes du navire.
Imposant et majestueux, une tête de lion, gueule ouverte et crocs en avant constituait sa proue. La grand'voile était en fait constituée de deux gigantesques toiles tant l'envergure était grande, il y avait encore deux voiles qui l'encadraient, un total de quatre voiles énormes, et deux autres encore, plus petites, qui surplombaient les deux encadrant la grand'voile. Sur la coque, on pouvait lire « Esperanza ».
_Va dormir, ma douce, tu es restée longtemps éveillée, et maintenant que Septendora est loin derrière nous, tu mérites un bon repos.
Avec un jappement d'acquiescement, la chienne s'éloigna en battant de la queue. Le temps était clément, un soleil chaud et réconfortant illuminait le ciel d'azur, et la bête vint s'allonger sur le pont de bois à l'agréable chaleur, réchauffée par un rayon sous son épaisse fourrure blanche.
Ilithye regardait loin à l'horizon, l'air détendu, apaisé. Ses souvenirs allaient malgré elle vers Septendora et, plus précisément, vers Bernacher et Andora, et leur petite fille nouveau-née. Elle espérait que tout irait bien pour cette nouvelle famille et que la petite n'aurait aucun besoin de l'intervention divine pour être en bonne santé. Il fallait se dire que la nature était bien faite et que l'enfant saurait se débrouiller par elle-même, encadrée par ses deux parents aimant. Il fallait se dire que tout cela n'était plus de sa divine responsabilité, qu'il fallait avancer, continuer, et que Septendora saurait se débrouiller seule, sans l'aide de la déesse...
Le regard vert intense d'Ilithye vint capter les abords d'une plage. Le blanc cristallin du sable attirait la déesse. Il lui rappelait celui de la neige qui recouvrait le petit village qu'elle venait de quitter. Les micro-climats qui parcouraient les contrées de Terra ne cessaient d'étonner la jeune femme : Septendora ne devait pas être à plus de trois cents kilomètres de cette plage, peut-être quatre cents, tout au plus, et déjà on passait d'une neige et d'un froid vif à une chaleur estivale. Oui, cet univers était étonnant, et toute immortelle qu'elle était, elle ne se lassait pas d'être surprise par ce monde des mortels.
Virant légèrement de bord, elle s'approcha un peu de la plage pour mieux profiter de cette blancheur éclatante des grains délicats qui constituaient la grève idyllique.
Elle profitait du vent marin chargé d'iode qui caressait sa longue chevelure dorée quand une voix l'interpellant la tira de sa rêverie :
_Je n'ai pas pour habitude de voir ce genre de navire. Pourtant, il me semble bien plus complexe à manœuvrer qu'un bateau de base. Il n'en est pas moins plaisant à voir, mais n'est-ce pas difficile pour une personne seule de le faire naviguer ?
Son regard vert se vrilla sur le rivage pour apercevoir, en contrebas, pataugeant dans l'océan bleu, un homme qui paraissait tout petit depuis l'altitude du pont. Elle sourit et, lâchant un court moment la barre, la coinçant pour conserver le cap, avec une sorte poutre la crochetant, elle vint s'appuyer aux bastingages et hurla en retour :
_Oh, ce n'est qu'une question d'habitude ! Il me paraît pourtant bien plus aisé de manœuvrer mon bâtiment que de vouloir traverser cet océan à la nage ! Que faîtes-vous, monsieur l'inconnu, à patauger ainsi dans notre magnifique océan ? Comptez-vous rejoindre quelques terres à la brasse ?
Elle eut un sourire éclatant, rieuse. Un coup de vent manqua emporter son chapeau à plume, qu'elle retint de justesse d'une main élégante.
_Avez-vous besoin d'aide, peut-être ? Finit-elle par demander, cordialement.