Nous continuions notre errance, allant aux quatre vents, sans but précis. Nous recherchions la puissance, toujours plus de puissance, toujours plus de défis. Nous étions un Dieu. Nous étions fort. Il faisait nuit noire ce soir-là, et les rayons de la lune filtraient à peine au travers des nuages. Le souffle glacial du vent nous revigorait, et nous profitions à cœur joie de ce système que nous avions nous-même élaboré, et qui était parfait, car il nous laissait libre. Mais très vite un évènement vint perturber le calme de la nuit.
La bise amenait à nos narines l'odeur du sang, et nous succombâmes soudains à nos instincts les plus primitifs, ceux qui faisaient de nous autant un Démon qu'un Dieu. Attiré par une curiosité que nous savions malsaine et dangereuse, nous ne pûmes résister à l'appel de ce liquide rouge et chaud, et très vite, nous atteignirent le lieu du crime.
Perché sur un haut talus, nous virent la scène: le sol ouvert, une créature colossale morte, et son assassin, maculé de sang, qui cheminait à quelques mètres de là, comme si de rien n'était. Mais la voix d'Ayonn, lointaine au fond de notre esprit, résonnait, et ne cessait de répéter du sang, du sang, avec toujours plus de hargne, toujours plus de frénésie. Mais comme d'habitude, toute tentative de résister à cet appel primal était vain.
Nous cédâmes à la violence, la brutalité et la furie.
Du dioxygène se rassemblait au creux de notre main, alors que des vents ascendants nous soulevaient du sol en silence. Arrivant au-dessus de sa proie, nous étions la mort elle-même qui planait de façon funeste sur cette âme errante. La lumière était trop faible, notre ombre se distinguait à peine des autres, notre souffle se mêlait à celui du vent hurlant. Et nous fondîmes vers lui, tel un oiseau de proie sur son gibier, sans aucun bruit.
La première chose qu'il put voir de nous était notre dos: nous posèrent nos pieds juste devant lui, entravant son chemin. Sans crier gare, nous fîmes alors volte-face, plaquant contre son visage la petite boule d'air qui s'était condensée tout ce temps contre notre paume. Et nous la fîmes éclater vers lui.
Le relâchement d'air était si intense, soudain et violent qu'il le repoussa à plusieurs mètres. Nous n'avions pas donné de tir de sommation. Nous voulions juste tuer un individu fort. Car nous étions le meilleur. Invoquant à notre main notre cimeterre, nous riions:
- Héééhéhéhéhé! Du sang, du sang! Du sang!
Nous n'avions aucune humanité dans ces moments-là. Nous étions pire que des bêtes sauvages. Mais nous étions vraiment fort. Et ce qu'il venait de subir n'était qu'une simple mise en bouche.