Ainsi, toi, pauvre hère, tu oses apparaître devant nous et nous demander notre nom? A nos yeux tu n'es qu'une feuille morte transportée par la brise du vent. Un court instant où nous te voyons durant notre longue existence, et nous t'oublierons sans jamais le réaliser car tu n'es rien. Ton existence nous est parallèle, tu n'as aucune influence sur nous, car nous sommes puissant, et toi insignifiant.
Mais je daigne te parler, j'ai même bien envie de te répondre. Nous t'honorons d'une conversation, nous qui sommes tout, à toi qui n'est rien. Ce simple fait te rend exceptionnel, tu n'es plus un être passager à nos yeux, mais un interlocuteur. Ceci nous importe guère, de toute façon.
Nous sommes Ayol Cours-le-Vent, et le début de notre existence est à la fois lointain et récent. Nous vivions autrefois comme deux individus distincts, et nous sommes maintenant réuni en un seul homme, un Dieu de l'Olympe aux pouvoirs sans fin. D’Éole, Dieu régisseur des vents, et d'Ayonn, Démon sorcier, nous sommes devenu une nouvelle entité. Le véritable Dieu des Vents.
Oh, bien sûr, nous aimons les plaisirs de la chair, nous délecter du corps chaud et tendre d'une belle femme... Mais il nous arrive, parfois, de jeter notre dévolu sur un homme. Nous sommes puissant. Personne n'est indifférent à la puissance.
Il est préférable pour toi, être inférieur, que tu saches qui nous sommes, empressé que tu es à chercher comment nous sommes. Mais nous sommes bons, et le temps jouant en notre faveur plus qu'en la tienne, nous daignons te l'expliquer.
Commençons par celui que vous connaissez peut-être: Éole, descendant du géant Mimas. Bien que son père fut un simple mortel, Zeus fit de lui le régisseur des vents, distribuant zéphyrs et autres aquilons aux quatre coins du monde depuis les îles Lipari où il avait élu domicile. Il ne vivait pas sur l'Olympe comme les autres divinités, et la tâche qui lui incombait lui était plus aisée depuis son archipel. Cependant, il y avait des règles auxquelles il était contraint, ainsi les vents n'étaient pas soumis à sa seule volonté, mais bien à un ordre minutieux. Sa fonction l'occupait mais ne le gênait pas: tous les Dieux le traitaient d'égal à égal, et il était très ami avec Poséidon depuis une histoire de vents et de courants marins. Il vivait dans le luxe, et eut six fils et six filles qu'il maria ensemble. On entendit parler de lui lors de l'Odyssée d'Ulysse et de l'Enéide, poème de Virgile, mais malgré son statut de divinité, Éole était discret et vivait coupé du monde des hommes.
Et puis, les hommes ont cessé de croire, l'Olympe sombra dans l'oubli, et le Dieu des vents ne fit pas exception. Retiré, il vivait seul, avec sa famille, et ses liens avec les Olympiens se faisaient de plus en plus fragiles. Non pas qu'ils s'oubliaient, ou se détestaient. Ils ne se voyaient simplement plus. C'est l'engouement pour Terra qui changea la donne, car elle fut la première raison de notre naissance. Le régisseur des vents se basa sur les courants marins de Poséidon, et avait créé un système par lequel les vents se renouvelaient d'eux-mêmes. Son labeur n'en était plus un, mais il craignait alors que son statut ne s'en défasse également. Or, ce qui fait un divin, outre sa fonction, c'est sa toute-puissance. Et aussi grand, majestueux qu'il était, il n'était pas le meilleur. C'est ce pourquoi nous vîmes le jour.
Il confia ses craintes à Hadès, qui en sa qualité de frère de Zeus, était sage et de bon conseil. Il ignorait que le Dieu des morts, fort de manipulations et complots, s'amusait aussi de la mauvaise fortune de ses semblables, et c'est ainsi qu’Éole descendit aux enfers, et y rencontra Ayonn. C'était un Démon sorcier, qui avait vécu en Enfer depuis sa création, tirant les ficelles dans l'ombre, toujours présent lorsqu'Hadès avait besoin de lui. Il était fidèle, talentueux, et nous devons l'avouer, fort séduisant. Éole avait besoin de puissance, et le Démon pouvait la lui offrir. Ayonn accepta de lui offrir tout ce qu'il pouvait, à cette condition: "Je te rendrai aussi puissant que tout Olympien si tu fais de moi un Dieu égal à toi". Le Dieu des Vents croyait le tromper en lui promettant cela, lui qui fils de mortel était incapable de faire d'un Démon un Dieu. Mais Ayonn était aussi fourbe et cruel que sanguinaire, et aussitôt le pacte scellé, nous naquîmes de leurs deux êtres réunis.
Nous sommes l'incarnation d'un Dieu assoiffé de grandeur, et d'un Démon assoiffé de puissance. Contrairement à Éole, nous sommes le vrai maître du vent, l'air obéit à notre volonté seule. Nous sommes aussi puissant, sinon de Zeus au moins d'Hadès, une divinité sans limites ni frontières, un Démon féroce sans barrières ni craintes. Et aujourd'hui nous parcourons le monde, avide d'arborer une splendeur nouvelle, répandant derrière nous une odeur de cadavres, balayée par une bourrasque. Nous sommes le vent. Nous sommes invincibles. Nous sommes immortels.
Reprenons ton jeu stupide. Il est idiot de demander à quoi nous ressemblons, alors que nous nous tenons juste devant toi. Es-tu aveugle? Mais soit. Tu es un sot, le temps t'est compté, pas nous. Parlons donc sans tarder de notre magnifique chevelure rouge, faite de mèches ordonnées et se terminant dans notre nuque par une longue queue soyeuse attachée par un ruban blanc. Nous en avons fait de même pour une autre, pendant à notre tempe droite. Nos yeux d'un rouge sombre et profond expriment à la fois notre bonté et notre rudesse, malgré notre apparence juvénile. Quel âge nous donnes-tu? Quinze, seize ans? Ton avis nous importe peu. Nous avons un petit nez pointu, une fine bouche aux lèvres pâles, et de bonnes joues qui se terminent en un petit menton. On penserait que nous avons toute la vie devant nous. Les gens ignorent à quel point c'est vrai. Notre voix est claire, agréable, grave juste ce qu'il faut.
Notre tenue se compose d'un petit haut de laine noir, sans manches, qui s'arrête au bas de notre torse, avec une fermeture éclair. Nous portons aussi des mitaines avec des poignets renforcés, et des sangles noires sur les avant-bras. Une rune sur notre épaule gauche nous permet d'invoquer un cimeterre de taille assez conséquente, vestige de la magie d'Ayonn. Nous ajoutons à cette panoplie un pantalon noir ample, équipé de genouillères et de jambières blanches, le tout agrémenté de ceintures rouges plus décoratives qu'utiles. Le tout laisse à nu nos bras enfantins mais robustes, et notre ventre plat et imberbe. Nous favorisons pour la marche des bottes noires avec des renforts d'acier aux extrémités, nous garantissant des appuis solides.
Ne nous crois pas condescendant envers toi et ta condition de Mortel, nous sommes simplement réaliste. Notre supériorité est indéniable, et c'est simple constat de le dire. Il est peut-être dur de nous croire après que nous ayons changé ton village en champ de ruines, mais nous sommes d'ordinaire sympathique, chaleureux, aimable, amical -bien qu'en général assez taciturne. Simplement, la seule vue du sang nous plonge dans une frénésie meurtrière, un autre reste des instincts de Démon d'Ayonn. Nous ne pouvons plus nous retenir après ça, une irrépressible envie de tuer nous envahit, et nous y cédons, dévastant tout sur notre passage dans de féroces rugissements. Nous te devons des excuses pour ce qui est arrivé à tes parents et aux autres villageois. Si tu veux nous retrouver, et essayer de nous tuer, ne te gêne pas. Si tu t'en crois capable nous t'attendrons. Nous ne portons pas le fardeau de nos pêchés, mais nous n'empêchons personne de venir nous les rappeler. Car nous sommes bon.
Si tel est ton choix, je vais te dire de quoi nous sommes capable. Nous manipulons l'air. Nous le créons, le dissipons, le faisons disparaître à notre guise. Il n'y a aucune limite autre que notre imagination. Il y a ça, et notre maniement du cimeterre qui s'est affiné au fil du temps. Regarde-nous bien, et ne nous oublie pas. Dans notre fureur sauvage, il n'est pas rare que nous arrachions les gorges à l'aide de nos mâchoires puissantes. Sers-t'en, si tu veux nous pister.
Nous sommes désolé.