Il n'y voyait plus rien. Qu'y avait-il à voir? Ce monde était laid. Aucun monde où un père devait tuer son fils n'était beau. Et c'était lui, le responsable de tout ça. Sa vue était floutée par le sang perdu, ses yeux étaient embués de larmes, et des tâches sombres obstruaient son champ de vision. Il sentait les larmes couler sur ses joues, et il n'avait plus ni l'envie ni la force de les retenir. Que lui restait-il? Il n'en savait rien.
L'autre Dieu s'était approché, et avait un ton compatissant. Il n'aurait jamais accepté de la pitié en règle générale, mais fit une exception: s'il était là, c'est qu'il venait de vivre la même chose. Comment pouvait-il endurer ça?
"On fait tous des erreurs alors ne t’en veux pas trop. Surtout qu’il existe bien des manières de réparer ton erreur… Enfin, je pense… Je connais un moyen… Peut être. Tout dépend si tu le veux vraiment ou pas."Kyô sécha ses larmes. Il n'y voyait toujours pas très clair, les yeux gonflés, mais put voir que son cadet lui tendait un genre de bibelot coloré. Il ne comprenait pas tout, mais il arracha des mains avec une force pathétique. Il observait l'objet en question, et dévisagea Vlad comme il le pouvait, en se demandant si c'était une blague. Visiblement, non. A y réfléchir, la baguette émettait une aura bien étrange. Il parla d'un ton mourant, une voix cassée par la boule qu'il avait dans la gorge et par l'épuisement:
"Ton jouet pourrait le faire?... Je ne... Je ne veux plus oublier un être cher... Plus jamais! Je veux vivre avec le fardeau de mes souvenirs, je veux me rappeler de toutes les personnes que j'ai aimées! Parce que... Je veux devenir meilleur pour eux, alors... Quels qu'ils soient... Dieux ou Mortels, amis ou amantes... JE NE VEUX PLUS JAMAIS OUBLIER QUI QUE CE SOIT!"Son cri fit écho dans le vent, et disparut au loin. Rien, aucune réaction. Kyô se maudit de s'être égosillé ainsi, sa gorge le brûlait atrocement. Il respira un bon coup, et tendit l'objet au Dieu des Jeux Vidéo. Son ton était amer et empreint de regrets:
"Rien... Tu peux le reprendre. Laisse-Moi."Mais l'extrémité de la baguette se mit à scintiller, et soudain, il se souvint, avec plus de clarté que jamais. Tous ces gens qu'il avait protégés, tout ceux à qui il avait tenu, et qu'il avait vu mourir. Tous, sans exception. Et parmi eux, Choupi, et le coup de grâce qu'il venait de lui asséner. Et, avant cela, le temps qu'ils avaient passé ensemble, le lien puissant entre un père et son fils. Il en avait la migraine, et la boule de sa gorge en était presque étouffante: sa respiration devenait rauque. Il regarda alors le petit cadavre ensanglanté de son enfant.
"Devenir... Complet, hein?"Il tenta de se relever, mais s'affaissa mollement sur le sol. Ses jambes n'avaient plus la force de le soutenir, alors il avançait en rampant avec la force de son seul bras droit, l'autre trainant sur le sol de façon pitoyable. C'était un spectacle pathétique, mais il
devait le faire.
Il finit au bout d'un moment par atteindre le corps inanimé de son engeance. Il s'assit à côté de lui, le ramassa, et le serra contre lui:
"IDIOT! Pour devenir complet l'un de nous doit mourir? C'est stupide! Tu n'as laissé que du vide, pauvre fou!"Kyô demeurait frustré, frustré et inconsolable. Il prit une nouvelle résolution: s'il avait à nouveau une descendance, il ne l'abandonnerait jamais. Le corps de Choupi se mit à rayonner d'une lumière éblouissante, mais le fils d'Artémis fermait les yeux et ne vit rien de tout cela. Pour ce qu'il savait, il avait l'impression que son fils se fondait en lui, aussi brûlant que de la cire qui coulait sur lui. Il rouvrit les yeux, plus aucune trace de son enfant. Et ses iris perdaient peu à peu de leur éclat rougeoyant. On ne sut s'il parlait à son allié ou non, mais ses paroles inaudibles glissèrent sous le souffle implacable du vent.
"Merci..."EPILOGUE:Six mois après...L'homme écrasait sa cigarette dans le cendrier, décroisait les jambes et se levait. Il resserra sa cravate et remonta les manches de sa chemise, couvrant la cicatrice de son avant-bras gauche. Il s'étira, traversant le salon sous le regard des femmes et des clients. C'était une maison close de petit village, il n'y avait là que des habitués, et l'homme aux cheveux noirs pouvait mettre un nom sur chaque visage. Personne ne connaissait le sien, en revanche.
Cela faisait des mois qu'il était hébergé par les catins qui travaillaient ici, elles l'avaient trouvé devant leur porte, inconscient et dans un état pitoyable. A vrai dire, au départ, elles pensaient qu'il était déjà mort. Ou qu'il en avait pour quelques heures, tout au plus. Il allait bien maintenant, il était entièrement rétabli. Les mains dans les poches, il atteignait la porte d'entrée, et se chaussait avant de sortir, sans un mot à personne. Bien qu'il avait toujours été aimable avec les filles, il ne leur adressait pas la parole, et sortait. Il parcourut à peine quelques mètres, qu'une voix féminine l'interpella:
"Tu t'en vas?"Ce n'était pas la première fois qu'il sortait. Et pourtant, cette jeune terranide chat, Junko, avait compris que c'était la dernière. Elle l'avait senti, et son intuition était bonne. Il était totalement guéri maintenant, il n'avait plus rien à faire là. L'homme levait les yeux vers le ciel, sans se retourner.
"Ouais. Je vous ai suffisamment dérangées. Et puis, ça fait six mois que j'ai pas donné de nouvelles, Onii-chan doit s’inquiéter..."Il avait déjà mentionné cet Onii-chan, mais pour la prostituée, il s'agissait encore d'un être énigmatique, et l'homme n'avait jamais donné de nom, ni le sien, ni celui d'un de ses proches. Junko essayait désespérément de la faire rester encore:
"Je suis enceinte!" Il ricana. Il avait couché avec, oui, et avec d'autres aussi:
"C'est possible, coucher est ton métier non? Rassure-toi, je ne vous oublierai pas. Mais tu vois, j'ai beaucoup de choses à faire. Et je peux pas rester ici éternellement. Remercie les filles de ma part."Elle le regardait s'éloigner, cet homme serviable dont elle s'était occupée, qui faisait tout pour ne pas être une gêne, et qui avait déjà sauvé le village par trois fois malgré son état. Il était en pleine forme maintenant, et il s'en allait. Elle avait compris depuis longtemps qu'il n'était pas humain, mais aussi qu'il était fort, très fort, et qu'elle en était amoureuse. Une pute s'était éprise d'un parfaite inconnue. Elle se mordillait la lèvre inférieure en y repensant.
"Ton nom... Je peux connaître au moins ton nom?"Il daigna se retourner. Son visage éclairé d'un fin sourire, ses yeux bruns et profonds s'ancrant dans les siens. Il était beau, mystérieux et fort. Et son nom était...
"Kyô... Itami no Kyô..."