Le repos donnait au corps ses fonctionnalités pleines. Mais il existait d'autres options pour se donner un semblant de vie, quand on atteignait le stade de zombie. Des options que les jumelles connaissaient bien. Des options qui coûtaient cher, aussi. Mais dans leur cas, ça n'était pas le plus important.
Le concert battait son plein et était à entrée libre, permettant à n'importe qui d'y passer et de faire un pogo sur un bon morceau de punk traditionnel. Kali et Mali étaient passés d'une Rave Party à ce bar d'où la musique sortait. Les oreilles et la gorges explosés, ça ne les empêchait pas de faire marcher leur cloison nasale à grand coups de paille et de ce que la petite vendeuse de la soirée avait appelé avec humour des "œufs de fées". Ce qui n'était rien d'autre que de la cocaïne un peu coupée avec dieu savait quoi était quand même assez efficace sans toutefois les amener au stade de larve décomposé : la preuve en était qu'elles avaient très bien entendu les flics s'arrêter en haut de cette rue du centre-ville avec leur fourgon et indiquer que la fête était finie. Le voisinage n'était apparemment, pas très content.
S'en était suivi une sorte de stéréotype bizarre que tout le monde démentirait dés le lendemain. Un nouveau pogo, avec en son centre, des policiers qui sortaient les matraques pour calmer ces jeunes dégénérés, bourrés, drogués. Les clochardes multicolores avaient été les premières à se lancer dans la bataille. Compteur : quatorze bosses causées par la batte de traviole de Mali, et un évanouissement dont Kali était la cause, à force d'avoir frappé comme une bourrine sur le visage de sa victime.
Cet évanouissement, c'était le policier numéro trois qui en avait été victime.
"... Ça faisait un de trop, je crois."
"Ouaip."
Après coup (sans mauvais jeux de mots), elles avaient été forcés de s'échapper en grimpant à la gouttière et en se baladant sur les toits pour éviter que les flics ne les rattrapent. La prison, elles savaient vaguement ce que c'était -leur premier et dernier séjour en taule avait été accompagné de prises d’héroïne et elles ne se souvenaient que vaguement de ce que ça avait impliqué... mais la sensation désagréable était resté.
Puis, mince, c'était les criminels qui allaient en prison. Elles avaient l'air d'être des criminelles ?
"Bien sûr que non !"
L'adolescente aux cheveux longs avait lâché cette phrase au hasard du détour qu'elles prenaient toutes les deux pour aller se cacher dans la forêt. Sa sœur la regarda d'un drôle d'air. Enfin, derrière la vase qui envahissait ses yeux et causée par la drogue, ça avait l'air d'un regard perplexe.
"Tu parles à qui, là ?"
"... Et toi, tu parles à qui, là ?"
"... Bah..."
C'était définitivement un trip étrange. Les évènements de la soirée avaient dû bousculer leurs cerveaux abîmés plus qu'elles ne le pensaient.
"... Bah, je parle à elle, là ! Ça se voit pas ? Putain !"
Un doigt ganté de cuir se pointa immédiatement vers le bout de cheveu flamboyant qui suintait de derrière le tronc d'arbre, comme la flamme d'un volcan. L'habituel sourire du Cheshire étira les lèvres sur les deux visages. Leurs dents semblèrent briller dans la nuit, reflétant la lumière des lampadaires proches, leur donnant un air carnassier. En réalité, elles étaient juste heureuses à l'idée d'avoir trouvé un compagnon pour la fin de cette soirée. Elles n'avaient pas forcément de mauvaises intentions, mais qui sait ce qu'un esprit embrumé par la drogue pouvait contenir... quoique. Dans leur cas, l'habitude reprenait surtout le dessus.
Mali éclata de rire en poussant son coude dans les côtes de sa sœur, transformant dans sa conscience la phrase de sa jumelle comme une bonne blague très fine.
"Qu'est-ce que t'es con, Kali ! Elle t'as même pas parlé, tu crois que je l'ai pas vu ?"
"... Bah, ça va pas tarder. Attends, je l'appelle."
La bouche de l'ado aux cheveux verts s'ouvrit comme le bec d'un oiseau, elle inspira de l'air...
Avant de se rendre compte qu'elle ne connaissait pas le prénom de cette gamine.
Elle resta dans cette position, tandis que sa moitié s'esclaffait de nouveau en se tenant les côtes. Leurs paroles, leurs rires étaient audibles, très audibles même. Ly ne pouvait plus espérer la moindre once de tranquillité tant qu'elles seraient dans les parages, c'était sûr.