De petits nuages de vapeur apparaissaient et disparaissaient devant la bouche des hommes emmitouflés dans leur couverture. Certains avaient fait de petits feux avec le peu de combustible qu'ils avaient dans leur paquetage, car la végétation inexistante du désert ne permettait pas d'en trouver sur place. Les esclaves se battaient pour les maigres haillons troués dont personne ne voulait, et se blottissaient les uns contre les autres pour se tenir chaud. Personne n'avait encore remarqué que l'esclave disparue était retournée dans sa cage sans crier gare.
William, quant à lui, lisait des documents à la lueur d'une lanterne. Il avait beau être un soi-disant noble Nexusien, gardien des sceaux de la couronne, et tous les titres pompeux et sans substances qui s'en suivaient, il restait un avocat, consacrant chaque minutes de son temps libre à relire ses notes. Cependant, la fatigue commençait à lui piquer les yeux et la faible lueur de sa chandelle avait du mal à percer les ombres de la nuit.
Il décida donc de se lever, frottant ses yeux douloureux. C'est alors que, par hasard, son regard passa sur la cage supposée vide et dut se rendre à l'évidence que son occupante était revenue. William s'en approcha donc, posa la lanterne sur le rebord du chariot, et jeta un coup d'oeil soupçonneux à son occupante. Il ne dit rien mais commença à inspecter la porte de la cage en passant son doigt sur les jointures afin de déceler toute forme d'effraction. Il vérifia ensuite que la serrure était toujours fermée, puis repointa un regard méfiant sur l'esclave sans dire un mot.
C'était Berrick qui n'allait pas être content. Peu importe, comment elle s'était échappée, elle devait avoir une bonne raison d'être revenu et si ce n'était pas pour faire tourner son maitre en bourrique, les autres raisons avaient de grandes chances de lui causer du tord.
-Toi, fit Dolan non pas en désignant la jeune femme mais une terranide derrière elle. Dis-moi comment elle est rentrée dans cette cage et tu es libre.
Bien entendu, il ne posait pas cette question à celle qui était concernée, sachant très bien qu'il n'aurait qu'un mensonge en guise de réponse. William avait un ton très calme et doux, comme si sa question n'avait d'autre but que de satisfaire sa curiosité. La terranide s'agita alors sous l'effet de l'excitation que lui instillait une telle promesse et se mit à parler.
-J'sais pas. Elle avait disparu et elle est r'venu, s'empressa de raconter l'esclave. Mais on dirait qu'elle est un peu simplette, elle s'rend pas compte de sa disparition... Alors... Vous allez me libérer?
-Non, rétorqua tout simplement William. Tu ne m'as pas dit comment elle a fait.
-Elle... Elle a crocheté la serrure avec sa magie, s'empressa de mentir l'esclave.
Mais William ne lui prêtait plus d'attention. De toute façon, il ne comptait pas lui rendre sa liberté, surtout pour un information dont, finalement, il n'avait pas grand chose à faire. En effet, la curiosité de William Dolan ne s'étendait qu'aux frontières de ce qui pouvait lui être profitable, ou préjudiciable. Toujours sans un mot, il s'éloigna et revint quelques secondes plus tard avec une grosse couverture de laine qu'il passa à la jeune fille à travers les barreaux de sa cage. Puis, sans un mot ni un regard, il s'éloigna...
* * *
L'aube.
Les grandes étendues de sable permettaient de voir le soleil émerger lentement des eaux diaprées de l’horizon, comme un océan d’or en fusion accueillant l’astre diurne dans une fanfare de couleurs. Au nord, sous un amas de nuage gris, une frise de lumière rivalisait encore avec le soleil timide, irisant de rouge l’étroite bande de ciel enchâssée entre cet ilot de jour et les premiers hérauts d’un très lointain orage.
Sur terre, les hommes s'agitaient sur les ordres clairsemés, mais autoritaire de Dolan. Il y avait maintenant suffisamment de luminosité pour voyager sans risque. C'est alors qu'un bruit de cavalcade étouffé attira l'attention du jeune homme. C'était Berrick qui revenait au galop forcé. Aussitôt, arrivé au niveau du convoi, il sauta prestement à terre et décrocha une gourde d'eau afin d'y boire d'amples gorgées ruisselantes. A voir son cheval, dont les pattes tremblaient, il avait dû couvrir une longue distance durant ses recherches. Le fait qu'il soit bredouille n'avait pas dû le rendre de bonne humeur.
-Pas trouvé, s'expliqua-t-il d'un air sombre. J'ai fait tout le chemin qu'elle aurait pu parcourir à pied. Je l'aurais forcement croisé. Elle a du s'enfoncer dans le désert, dans l'autre direction, et elle va y crever comme la dernière des...
Berrick interrompit son discours amer lorsque ses yeux noirs se posèrent sur la petite cage qui abritait son esclave. Les yeux ronds, il la fixait d'un air ahuri.
-Il semblerait qu'elle soit revenu d'elle-même pendant la nuit, déclara William d'une voix neutre, qui prouvait bien qu'il ne compatissait absolument pas.
William voyait bien que le bonhomme essayait de se calmer, mais connaissant l'animal, c'était peine perdue. Celui-ci se dirigea à grand pas vers la cage et eut un sourire mauvais à l'adresse de son esclave. Berrick sortit alors la clé qui reposait dans le fond de sa poche et ouvrit patiemment le cadenas. Il attrapa ensuite la laisse qu'il avait laissé à son cou et tira avec force pour la faire tomber par terre. Il ne s'arrêta pas là et traina même la fille dans le sable, pour finalement la relever, en lui serrant le cou. Il arborait un sourire mauvais, remplit de cruauté et de malveillance, qui promettait mille souffrance à celle qui s'était moquée de lui.
-T'es revenue voir papa, dit-il entre ses dents serrées. Et bien tu ne vas pas le quitter dans ce cas.
Avec une force qu'il ne maitrisait pas, il serra la jeune fille dans ses bras au point de lui rompre les os puis lui infligea un « baiser » qu'il était difficile de qualifier comme tel, tant il était violent et dépourvu de la moindre douceur. Il fit ensuite passer sa langue sur sa joue, tout en lui murmurant des promesses d'agonie, et finit par la caler sous son bras pour la transporter comme un vulgaire sac.
William n'avait eu aucune réaction et observait simplement Berrick de son habituel regard perçant.
-Alors sir Dolan, on y va? Fit-il avec entrain. J'ai une pêche d'enfer ce matin!
-Tant mieux pour vous, Berrick, déclara William d'un ton égal. Ouvrez donc la voie, ça vous occupera.
Avec un sourire ravi, le bonhomme acquiesça et s'éloigna avec son fardeau. Cependant, il dut s'arrêter lorsque Dolan l'interpella.
-Et à propos Berrick, commença William tout en enfilant sa cape beige. Cette fille m'appartient maintenant. Veuillez la lâcher sur le champ.
Berrick ne comprit pas tout de suite les propos de l'avocat et le regarda d'un air bête. William n'ajoutant rien d'autre, et il dut donc pousser un « Quoi? » décontenancé. Le noble ne lui prêtait pas attention et comptait plutôt les pièces d'or qu'il introduisait dans une petite bourse en cuir. Lorsqu'il eut fini, il jeta la bourse qui atterrit devant Berrick.
-J'espère que vous n'avez pas exagéré en prétextant qu'elle vous a coûté deux mois de salaire, sinon j'aurais l'impression de me faire flouer.
Berrick ne répondit rien et ne fit que fixer la bourse de cuir. Cela dut lui faire réaliser que Dolan ne plaisantait pas, et il finit par plisser le nez pour signifier son désaccord.
-Cette garce est à moi et elle est pas à vendre, sir Dolan.
-Je ne demande pas, je commande, rétorqua aussitôt l'avocat dont la voix commençait à se faire orageuse.
Avec une lenteur délibérée, sa main glissa sur son côté, repoussant la cape qui masquait la garde de sa rapière. Elle se posa sur le manche et la lame eut un tintement lorsqu'elle commença à glisser le long du fourreau. A vrai dire, William ne faisait pas tant peur que cela. C'était surtout ses hommes qui commençaient à approcher dangereusement de Berrick, qu'il fallait craindre en priorité. Ce qui ne l'empêcha pas d'hésiter longuement, lançant des regards désespérés à Dolan pour qu'il se rende compte de l'injustice qu'il était en train d'opérer. Pourtant, ce dernier restait imperturbable, sa lame à moitié hors de son fourreau, ses hommes attendant qu'elle soit totalement sortie pour transpercer Berrick de leur tulwar. Finalement, l'incrédulité de Berrick se changea en colère et il lâcha la jeune fille sans douceur, la laissant sur le sable avant de décocher un dernier regard haineux à William, et de s'en aller à grand pas.
-Venez, fit doucement William en tendant sa main vers la jeune fille.
L'incident était clos. Dolan avait rengainé sa rapière et les hommes retournaient à leur préparatif. Il n'y avait que lui qui ne bougeait pas, proposant sa main avec patience.