Il savait qu’Ameyn avait une bonne réputation. Leurs tournois attiraient quantité de gladiateurs redoutables, et c’était ce qu’il souhaitait. Il voulait que ses filles s’endurcissent, et, pour ça, elles avaient besoin d’adversaires de valeur. Oh, Flagg savait qu’elles étaient fortes, très fortes, même. De redoutables guerrières, endurcies et entraînées, avec un moral inflexible, mais il savait aussi que l’être humain était tout, sauf parfait. Elles étaient fières, et la fierté entraîne l’arrogance. Le Magicien en savait quelque chose, car, malgré sa redoutable intelligence, et sa grande clairvoyance, il était également soumis à ce genre de choses. L’arrogance était le signe distinctif de deux types de groupes : les sots et les gens puissants. Son orgueil n’était pas démesuré comme pouvait l’être celui d’un minable dissimulant sa faiblesse derrière une excessive confiance en soi. Non, elle résultait de ses talents légendaires, et de ce qu’il savait, que les autres ignoraient. Il méprisait l’existence pathétique et ridicule que les humains se livraient. Il ne détestait pas l’humanité, il détestait
cette humanité, ce gaspillage immense, intolérable, perpétuel, qui subsistait à toutes les guerres à et toutes les avancées technologiques. L’humanité était un gigantesque gâchis de compétences et de talents. Plus il pensait, et plus ça l’attristait, tout en lui donnant la motivation nécessaire de poursuivre son œuvre.
Flagg menait le groupe, et entra dans la tente de la femme. C’était la souveraine, il le savait, il le sentait. Eyma. Une belle dame, avec un nez proéminent, et une redoutable beauté. Un charme légèrement asiatique qui lui rappelait ses longues excursions dans des civilisations asiatiques. Elle avait la peau pâle, était légèrement vêtue, exhibant fièrement un pistolet, tandis qu’un petit dragon tournait autour d’elle.
Randall Flagg l’observait silencieusement, ressemblant à une espèce de vieillard ridée. Qu’on ne s’y trompe pas, son pouvoir était terrifiant, même s’il avait appris à le dissimuler. Il la laissa parler, tandis que ses filles restaient en retrait, silencieuses. Elles ne parlaient pas par respect, même s’ils pouvaient deviner leurs pensées. Il n’y avait même pas besoin de lire dans leurs esprits, il les connaissait trop bien. Keriya était surtout attirée par ce petit dragon, se disant qu’il deviendrait un jour un immense dragon furieux, et qu’il incendierait des villages entiers. Shaina observait cette femme en se demandant comment elle pouvait être la dirigeante d’Ameyn, et même sa créatrice. Natalia se disait qu’elle était plutôt belle, et qu’elle se verrait bien lui faire l’amour, tandis que Maria s’imaginait qu’elle avait un pouvoir politique, commandait à une ville, et pouvait donc ordonner à des peuples entiers de mourir pour elle.
Elle imposa ses exigences. Le tournoi se déroulerait en quatre manches, mais, en contrepartie, ils devraient payer. Ils n’avaient effectivement aucun gîte, aucune tente, mais ils n’en avaient pas besoin. Ses filles savaient dormir à la belle étoile. Elle parlait rapidement, leur expliquant qu’elles voulaient connaître leurs conditions. Flagg, toujours très diplomate, comprit que ce fut à lui de parler quand elle se releva, en leur souriant.
«
Les humbles voyageurs que nous sommes présentons nos remerciements pour votre accueil, noble et belle Eyma. On m’avait conté depuis les belles auberges des hauts-quartiers de Nexus la redoutable beauté de la gouverneure d’Aymen. Le spectacle de la beauté rajeunit toujours le cœur boursouflé qu’est le mien. »
Il exécuta une élégante révérence, et, pendant quelques secondes, on put voir sa robe verte rapiécée se transformer, changeant de couleur, des formes et des motifs runiques complexes apparaissant dessus. Ce n’était pas un simple habit, et, tandis qu’il le faisait, tout son visage sembla brièvement rajeunir, sa longue chevelure grise devenant brune et longue, ses rides s’évanouissant comme par enchantement pour révéler un visage plutôt long, élégant. Il ne semblait pas être une beauté sculpturale, mais être tout simplement
beau, de cette beauté anodine et ordinaire qu’on avait envie d’avoir... Mais cette image ne dura que quelques secondes, avant que les plis de la robe ne retombent sur le sol, et que Flagg ne retrouve sa contenance.
«
Je crains fort de ne pas pouvoir participer à ces jeux. J’ai donc pris la liberté d’y inviter mes charmantes filles. Il va de soi que leurs compétences sont redoutables. »
Un léger sourire amusé termina cette remarque, empreinte d’une certaine forme d’ironie. Il imaginait sans peine la foule de gladiateurs se présentant à Eyma en affirmant être invincible, refusant de payer le moindre acompte, en prétextant qu’il la rembourseraient à l’aide des gains obtenus pendant la compétition.
«
De gauche à droite, nous avons donc, suivant leurs noms d’artistes : Crying Wolf, qui préfère les terrains naturels et sauvages, Laughing Octopus, qui se battrait volontiers dans une flaque d’eau, Raging Raven, qui privilégiera toujours les espaces grands, de préférence aériens, et Screaming Mantis, dont le terrain importe peu. Oh, bien sûr, précisa-t-il,
je ne donne que leurs terrains de prédilection. Mes filles sont à l’image du beau sexe, polyvalentes, et naturellement douées en tout art. »
Un ton légèrement charmeur et moqueur. Se moquait-ils d’elles ? Ou du sexe féminin en particulier ? Était-ce une manière de s’amuser des préjugés impliquant naturellement le sexe féminin, quand on savait que, sur Terra, ce qui était beau était forcément précieux ? Il la laissa prendre le temps d’obtenir ces informations, et précisa rapidement :
«
Je dois bien vous admettre ne pas être au courant du système monétaire en vigueur sur Ameyn. Par conséquent, avant d’aller voir Kraal l’Intendante, j’aimerais savoir si cette modeste pierre saura vous ravir. »
La main de Flagg s’ouvrit alors, et, entre ses doigts, une pierre précieuse turquoise apparut alors. Une magnifique
améthyste, qu’il brandit devant le regard d’Eyma, attendant sa réaction.