William glissa sa pièce dans la fente prévue à cet effet et composa le code pour obtenir un café corsé. D’habitude, il ne descendait jamais dans l’aile du building réservée au recrutement et se contentait de le boire à son étage en exhortant sa secrétaire de faire une pause, mais vue qu’il n’en avait plus, il en profitait pour déambuler dans ses locaux et ennuyer ses employés. Le jeune homme attendit donc son arabica avec impatience lorsqu’une voix féminine s’éleva derrière lui.
-La machine ne fonctionne pas, monsieur Dolan. D’après mon expérience, c’est le bruit avant coureur d’une société qui tombe en miette, fit la voix railleuse.
William reconnut la voix sa directrice des ressources humaines et eut un demi-sourire amusé. C’était une femme d’une quarantaine d’année aux cheveux châtains et au visage avenant, même s’il commençait à être attaqué par quelques rides d’expression. Il l’appréciait beaucoup, notamment parce qu’elle ne le considérait pas comme un patron irascible qui renvoie les gens à chaque fois qu’ils se permettent ce genre de commentaires sarcastiques mais amicales. En effet, elle savait bien cerner les gens, et c’était quelque chose d’essentiel dans son métier.
-En effet, confirma William. A croire que le patron risque de s’enfuir avec la caisse à tout moment.
La directrice se permit alors un bref petit rire et s’approcha du jeune homme pour discuter. Bien entendu, il s’enquit de comment elle se portait, et s’intéressa aux évolutions de sa vie et de son travail depuis la dernière fois qu’il l’avait vu. De toute évidence, la quadragénaire semblait tout à fait à l’aise de discuter de choses et d’autres avec le président directeur de sa boite, et pour cause, il n’avait rien du vieux boss aigri qui se complait dans ses profits et dans les excès de pouvoir.
-Bon, je ne peux pas rester trop longtemps en pause, fit la directrice. J’ai du boulot par-dessus la tête et j’ai une candidate qui arrive pour son entretien. Je pense faire une nocturne ce soir. Tu sais que notre psychologue d’entreprise a du démissionner ?
-Pourquoi ?
-Dépression.
-Logique…
C’est un comble pour un psychologue, mais bon… avec tous les avocats sans scrupules qu’il a du voir passer, ce n’est pas si étonnant.
-Au fait, tu sais que je ne suis pas là pour rien ? Fit William avec un sourire de loup. J’ai consulté ton planning sur l’intranet et j’ai vu que tu passais les entretiens pour la nouvelle secrétaire. J’aimerais bien prendre ta place si ça ne te dérange ? Après tout, c’est ma secrétaire.
-Tu veux t’assurer qu’elle sera aussi compétente que Niji ? Devina la directrice qui prouvait une fois de plus qu’elle avait parfaitement cernée le jeune homme.
Une ombre fugace passa sur le visage du jeune homme lorsque le nom de son ancienne secrétaire fut évoqué. Elle était une amie très chère et il avait éprouvé beaucoup de peine en recevant le recommandé qui annonçait sa démission. Pourtant, il n’avait pas le droit de le montrer, car la raison de sa démission était qu’elle allait donner la vie. Tout le monde se réjouissait, mais William sentait que son quotidien allait être beaucoup plus morose sans la bonne humeur de la personne dont il est le plus proche dans l’entreprise. Ainsi va la vie.
-Oui, rétorqua-t-il simplement.
La directrice acquiesça donc et ne chercha pas à discuter plus longtemps. En fait, ça l’arrangeait. Elle lui céda donc le CV et lui souhaita bonne chance avant de quitter la salle de repos. William le parcourra brièvement et fronça légèrement les sourcils en s’apercevant que le profil ne correspondait pas vraiment à celui d’une secrétaire. Il soupira donc et sortit lui aussi de l’air de repos. Après tout, il n’y a pas de mal à vouloir changer d’orientation…
* * *
Il était l’heure et William quitta le bureau qu’il avait sournoisement subtilisé à un employé en congé. L’hôtesse d’accueil venait de le prévenir que la candidate était en route et il arriva juste à temps pour la voir entrer dans la salle d’attente de l’espace de recrutement. Elle était plutôt jolie, voir mignonne avec ses yeux légèrement affolés par le stress. Et oui, on avait beau adopter une expression impassible en espérant que ça cache le trac, les yeux, eux, ne mentaient pas. Quoiqu’il en soit, William essayait de se forcer à ne pas porter son jugement sur l’apparence. Le fait qu’elle soit belle ne devait pas peser dans la balance. Enfin… c’est toujours plus facile à dire qu’à faire.
-Bonjour mademoiselle, fit William avec un sourire qui se voulait rassurant. Je m’appelle William Dolan. C’est moi qui vais vous faire passer l’entretien. Vous venez avec moi ?
Dolan arborait l’expression et la voix les plus charmantes qu’il avait au répertoire. Ce n’était pas un avocat qu’il recrutait maintenant et il n’avait aucune raison de jouer la carte du méchant recruteur qui tente de déstabiliser le candidat. Au contraire, il devait la mettre à l’aise par tous les moyens possibles pour qu’elle s’ouvre sans crainte. Ca, les sourires charmeurs, William savait faire et il valait mieux qu’il en garde sans le coude sinon la pauvre allait croire qu’il la draguait.
Lorsqu’ils furent arrivés dans le bureau aux couleurs dans les tons bleu marine, il présenta le siège qui faisait face aux bureaux, et par habitude, attendit que la dame soit assise pour se permettre de s’asseoir lui aussi. William attrapa alors son CV et le posa délicatement sur le côté pour le moment. Il mit alors ses coudes sur le bureau et posa ses yeux émeraude sur elle. Un autre sourire, puis il commença l’entretien.
-Bien, il me semble que vous postulez pour un poste de secrétaire de direction, s’enquit-il. Si vous voulez bien, je vais vous le présenter puisqu’il se trouve que je le connais bien. En effet, vous auriez pour but de m’assister dans mon travail. Très concrètement, cela consistera à gérer la communication avec les clients, entretenir un planning, recevoir les appels, organiser mes rendez-vous et m’embêter, grâce à l’interphone situé dans mon bureau, à chaque fois que vous le jugeriez nécessaire.
Le sourire de William s’élargit pour lui signifier que la dernière tâche n’était pas dénuée d’humour. Et puis, peu importe que sa blague ne soit pas très dôle, c’était juste dans le but de décontracter la jeune fille. Et il fallait au moins ça, sachant que William avait parfaitement conscience de paraitre assez froid dans ses attitudes et ses expressions. Une personne lui avait dit un jour qu’on avait toujours l’impression que de sombres projets semblaient nager en permanence dans le vert profond de ses iris… Comme il avait raison…
-Hé bien, je vous en prie, présentez-vous, proposa William en lui faisant signe de la main.
Lui, il se cala dans le fond de son fauteuil et ne la lâcha pas des yeux tout en essayant de lui faire le moins peur possible.