La soirée était trop bien partie pour que ça dure. Une blonde était entrée, et était venue s'accouder au bar. Etonnant... D'ordinaire, le public était quasi intégralement masculin. Voir des filles se trémousser en string avec des talons hauts était habituellement plus une histoire de mecs, mais tout était dans le quasi. De temps à autre, une fille se faufilait dans l'établissement. Il n'avait généralement rien contre, aussi longtemps qu'il n'y avait pas d'entourloupes dans le bar. Une prostituée venue chasser le pigeon se serait immédiatement faite jeter, mais là, elle n'en avait déjà pas l'accoutrement, et c'était semble-t-il après lui qu'elle voulait faire la causette. Elle avait voulu du feu, il avait sorti son briquet pour allumer sa cigarette, et lui avait rempli une pinte de bière avant de la déposer juste devant elle. Quant à savoir s'il venait souvent au bar... Il en était propriétaire, et c'est là qu'il passait le plus clair de son temps.
"La bière vient du pays. Donc ouais, c'est de la bonne. C'est pas comme la pisse qu'ils vendent ici et qu'ils osent appeler de la bière. Tu vas vite voir la différence quand t'auras goûté. Par contre, c'est sacrément emmerdant pour trouver un bon circuit d'approvisionnement. Mais bon, quand on cherche, on trouve. C'est ce qu'on dit, non? "
Par contre, il avait un peu tendance à loucher sur sa poitrine opulente qu'elle avait presque posée sur le bar face à lui. Difficile de détourner le regard quand on ne voyait que ça. Mais cherchait-il seulement à en détourner les yeux. Clairement, non. Elle ne cachait pas vraiment ses atouts. C'était donc fait pour regarder, non? Des commandes arrivèrent au bar avec une serveuse qui déposa son plateau sur le zinc, et il se mit à remplir quelques verres avec un bourbon, puis des pintes en tirant la pression à la machine. La routine d'un bar, rien de plus, rien de moins. Sauf qu'il y avait des serveuses presque nues, et des danseuses qui elles ne portaient plus rien alors qu'elles ondulaient sur la scène en chauffant les gars du public. Encore heureux qu'elles dansaient bien. Elles étaient payées pour ça après tout. Et ils les payaient plutôt bien vu les salaires de merde des habitants de cette ville.
"Ben oui je suis souvent là. C'est mon bar. Ch'uis le proprio, et les danseuses..."
Il allait continuer quand deux lascars déboulèrent en gueulant et en agitant des flingues. Plastique ou pas, de loin, pas le temps de regarder. En plus, le grand con qui braillait, il était presque sûr de l'avoir déjà vu dans la rue en train de s'engueuler dans la rue derrière le bar, près de "l'entrée des artistes", comme il désignait l'entrait de service. Il ne fallait pas être bien sorcier pour comprendre que c'était sûrement un petit ami jaloux, ou un frère caractériel. Il jeta un œil sur la planche au dessus de son bar, et se demanda si ça allait percer de nouveau ou pas alors qu'il se penchait pour sortir le fusil à pompe qu'il avait posé sous son bar. Evidemment, quand il se redressa avec, les deux zigues se figèrent. Comme toujours, il balança un coup de semonce en l'air. Lui, il ne rigolait pas. Les deux rigolos tournèrent les talons et entreprirent de détaler. Le tenancier, toujours taquin, avait chargé les cartouches au gros sel. La planche n'avait pas percé. Par contre, le second coup tiré, lui, troua allègrement les pantalons et les culs. Ils s'en souviendraient un moment. C'était de bonne guerre. Les habitués rigolaient, car ce n'était pas vraiment la première fois que cela se produisait. Comme d'habitude, pour calmer tout le monde, il rangea la pétoire et lança après avoir baissé la musique un instant:
"Cadeau de la maison! Une conso achetée, la même offerte! Allez les filles! On y va!"
Il allait à présent pouvoir répondre à la blonde. La blonde? Elle était passée où la blonde. Son tabouret était vide, et plus de grosse poitrine en vue. Il arqua un sourcil devant cette énigme, et une des serveuses, qui n'en était pas à sa première scène du genre, se planta en face de lui, montra la direction du bas avec son index. Il se pencha donc par dessus le zinc, et la vit prostrée sur le carrelage. Voilà autre chose... Il tira un verre d'eau glacée, qu'il laissa sur le bar, avant d'en faire le tour pour passer un bras sous ceux de la fille, et il entreprit de la relever bon gré mal gré en lui tapotant les joues de l'autre main. Il n'allait quand même pas devoir la baffer pour qu'elle retrouve ses esprits non? Bon, ça allait finir par faire désordre là... Il fit signe à la serveuse de prendre sa place derrière le zinc, il prit le verre, et il traîna la fille jusqu'au bureau de la direction, donc son bureau, et la fit asseoir sur une chaise, avant de lui envoyer l'eau au visage pour la tirer de sa torpeur.
"Hey, on se réveille! Tout va bien!"
La serveuse qui devait prendre le bar rappliqua derrière lui, posant un téléphone sur le bureau, avant de filer comme elle était venue. Celle-là, elle risquait bien de finir employée du mois avant longtemps. C'était un peu bête, ça ne rapportait pas de prime. Il se remit à tapoter les joues de la blonde. Il n'était pas secouriste, et si l'eau glacée n'avait pas marcher... Mais bon, en vrai gentleman qu'il était, il n'avait même pas tripoté un peu sa poitrine, pas même par mégarde. A bien y réfléchir, il se décevait presque lui-même... Il avait fallu que ces deux crétins débarquent ce soir. Mais bon, après une petite décharge de sel dans le fion, l'envie de venir le titiller allait certainement leur passer pendant un moment. Et en plus, il n'avait pas percé la planche de bois au dessus du bar cette fois. Rien ne valait l'expérience pour éprouver les bonnes techniques.